"On n’arrêtera pas les tentes de prédication. Depuis quand il faut une
autorisation pour faire de la dawa (prédication) ? Bientôt on demandera
une autorisation pour faire le ramadan. Et pour prier dans la rue quand
les mosquées sont pleines", lance Abou el-Mouwahed, membre du mouvement
djihadiste Ansar el-Charia. Depuis quelques semaines, le gouvernement a
durci le ton envers la mouvance djihadiste. Leur congrès annuel a été
interdit. Et les autorités ont entrepris de déloger leurs activités de
prosélytisme, qui n’ont pas d’autorisation, comme hier à Kalaa Kebira où
des échauffourées ont du coup éclaté. Un jeune homme a été blessé par
des tirs de chevrotine en caoutchouc, selon les photos diffusées sur le
Net. Et ce samedi, c’est en banlieue de Tunis qu’une tente de
prédication devrait être organisée.
Jeudi, lors d’une conférence de presse, Ali Laarayedh, le chef du
gouvernement, a considéré ces tentes comme "des manifestations
culturelles, mais s’il y a des atteintes à la sécurité générale, des
appels à la haine, ces personnes seront jugées". "Si une organisation
est impliquée dans des opérations terroristes et de violence, les
activités caritatives seront interdites", a-t-il ajouté, qualifiant
Ansar el-Charia d’organisation "illégale", "non terroriste, mais dont
certains dirigeants sont impliqués dans le terrorisme et en relation
avec des organisations terroristes", sans donner plus de précision. Le
21 mai, le Cheikh Ahmed Abou Abdallah, d’al-Qaida au Maghreb islamique,
a, dans un message audio, délivré des recommandations à Ennahda, mettant
en garde le parti contre les conséquences d’une "oppression" des
jeunes. Il a également ajouté que la Tunisie était une terre de
prédication et que Aqmi ne l’attaquerait pas, mais que "l’organisation
se réserve le droit légitime à l’auto-défense".
"On assiste à une transformation du djihad international qui passe d’un
djihad de combat à un djihad de dawa (prédication)", observe Fabio
Merone, chercheur sur la mouvance djihadiste. Et Abou el-Mouwahed répète
qu’il "est hors de question de prendre des armes contre les Tunisiens.
Ils sont asséchés de religion et assoiffés de culture religieuse. [...]
Contrairement à ce que voulait faire le gouvernement, ces attaques nous
donnent un appui populaire. Quand on a décidé d’organiser le meeting à
Cité Ettadahmen, des femmes non voilées faisaient les sentinelles pour
nous dire si la police arrivait", soutient celui qui a fait la navette
de Kairouan à cette banlieue populaire pour y préparer le meeting. Après
l’interdiction du congrès dans le centre du pays, la semaine dernière,
les supporteurs de clubs de foot ont annoncé leur participation. Cette
semaine, à Sousse, des viragistes ont déployé un immense drapeau noir
frappé de la profession de foi. Un appui qu’Abou el-Mouwahed sait
essentiellement "contre les autorités" ou "contre la discrimination que
l’on subit. Seule une minorité croit en notre projet", nuance-t-il. Leur
projet ? Instaurer un État islamique qui applique rigoureusement la
charia. Et pour cela, le mouvement mise essentiellement sur le caritatif
et la prédication, même s’ils ont parfois agi avec violence, comme lors
du sit-in de la Manouba où ils défendaient le droit aux jeunes filles
en niqab d’étudier.
"Ansar el-Charia est certainement le mouvement le plus enraciné dans la
jeunesse des quartiers populaires du pays. On ne peut pas dire que ce
soit une organisation terroriste. Il n’y a rien d’établi, rien de
concret. Le gouvernement cherche à différencier les membres", commente
Ommeyya Seddik, président de l’association El-Mouqassima et représentant
du centre de Genève pour le dialogue humanitaire. "Ce n’est pas parce
qu’ils se sentent de la même famille idéologique qu’al-Qaida qu’ils sont
liés à eux", nuance Michael Ayari, chercheur à l’International Crisis
Group, qui met en garde contre "une mise en scène sécuritaire". Dans son
rapport "Violences et défi salafiste", paru en février, il alertait :
"Une répression non ciblée visant des individus selon leur appartenance
politique et religieuse présumée, comme sous l’ère Ben Ali dans les
années 2000, ne ferait qu’encourager nombre de salafistes à se tourner
vers la violence". Selon les autorités, à la suite de l’interdiction du
congrès de Kairouan, 274 personnes ont été arrêtées. À Douar Hicher, les
membres du mouvement dénoncent des maltraitances à l’égard de sept
jeunes arrêtés avant d’être relâchés : coups, membres "fracturés",
"barbes arrachées"... des photos d’un jeune homme frappé ont été
diffusées sur Facebook.
Pour Allani Alaya, spécialiste de l’islam maghrébin qui estime que "sur
le terrain, Ansar el-Charia a la même organisation que celle des
Talibans en Afghanistan", "chaos économique à venir", "crainte
d’installation de structures liées à l’Aqmi" mais aussi "crainte d’une
perte électorale" ont poussé le gouvernement à agir avec fermeté. Et le
chercheur préconise, outre l’application de la loi, qu’il appelle à
faire dans le respect des droits de l’homme, un "programme de
réhabilitation des djihadistes pour contrer la montée de la mouvance".
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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