La levée par l’Union européenne de l’embargo sur les livraisons
d’armes aux rebelles syriens donne des arguments à la Russie, qui
s’affiche en défenseur scrupuleux du droit international, voire lui
délie les mains pour ses propres livraisons d’armes au régime de Damas.
La décision des 27, annoncée lundi soir alors que Moscou et Washington,
malgré les divergences, s’efforçaient d’asseoir gouvernement syrien et
opposition à la table des négociations pour une conférence de paix, "est
un signal psychologique et politique fort pour la Russie", souligne
Alexandre Choumiline, un spécialiste du Proche-Orient à l’institut
USA-Canada de Moscou.
Alliée du régime syrien depuis l’époque soviétique, la Russie s’est
employée depuis le début de la crise il y a deux ans à opposer le droit
international, l’intégrité territoriale des États et le principe de
non-ingérence aux velléités occidentales de sanctionner Damas à l’ONU,
voire d’intervenir par la force dans le conflit. Membre permanent du
Conseil de sécurité de l’ONU, elle a bloqué avec la Chine toute
résolution contraignante, martelant que lorsqu’elle avait laissé faire,
au moment de la crise libyenne, les pays de l’Otan avaient outrepassé le
mandat qui leur avait été accordé pour une zone d’exclusion aérienne,
et avaient de facto opéré un changement de régime par la force.
"Illégitime par principe"
La diplomatie russe a donc tiré à boulets rouges sur la décision de
l’UE. "La levée de l’embargo rend la situation encore plus difficile, et
met de sérieux obstacles à la tenue d’une conférence internationale sur
la Syrie", a déclaré mercredi le ministre russe des Affaires
étrangères, Sergueï Lavrov. La veille, il avait souligné que cette
décision de l’UE, soutenue par les États-Unis, était "illégitime par
principe", le droit international n’autorisant pas de livraisons d’armes
autres qu’à un État.
La Russie de son côté maintient qu’en l’absence d’un embargo onusien,
elle est en droit de livrer des armes au régime syrien, y compris des
systèmes sol-air sophistiqués S-300, l’équivalent russe des Patriot
américains. Ces S-300, qui sont à même d’empêcher des frappes en
territoire syrien, voire l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne,
donnent des sueurs froides aux dirigeants israéliens qui y voient aussi
un danger potentiel pour leurs avions civils. "La levée de l’embargo
donne à la Russie un atout pour continuer ce jeu", estime Fedor
Loukianov, rédacteur en chef de la revue La Russie dans la politique
mondiale.
"Toute décision est à double tranchant"
Cet expert observe du reste que les Européens sont convenus de ne pas
livrer d’armes pour l’instant, et que les livraisons de S-300 à Damas
semblent rester pour l’instant à l’état de menace. "Puisqu’il est permis
officiellement de livrer des armes aux rebelles, la Russie va marteler
avec une force renouvelée qu’elle ne permettra pas de déséquilibre", a
ajouté Fedor Loukianov. Le ministre russe de la Défense, Sergueï
Choïgou, a été plus loin mercredi, au cours d’une visite en Finlande.
"Toute décision est à double tranchant. Si une des parties lève les
restrictions, alors l’autre partie peut considérer qu’elle n’est plus
tenue d’observer les obligations prises auparavant", a déclaré le
ministre.
Un expert militaire russe, Léonid Sajine, a estimé que cela
signifiait que Moscou pouvait envisager de livrer à Damas d’autres types
d’armements. "Il peut s’agir de davantage que des systèmes S-300", a
déclaré cet expert à l’agence de presse Interfax-AVN. Pour Alexeï
Malachenko, de l’antenne russe du Centre Carnegie, la Russie va utiliser
l’argument de la levée de l’embargo européen pour s’efforcer de
justifier ses propres livraisons d’armes au régime de Damas, y compris
pour les systèmes S-300.
Mais la livraison effective de ces armements va dépendre de
l’évolution diplomatique et du succès de l’initiative commune en vue
d’une conférence dite Genève-2, dont la Russie a sa propre vision. "Si
la Russie sent que la conférence peut avoir lieu, alors elle ne le fera
pas (livrer des S-300, ndlr), mais si elle sent qu’il n’y aura pas de
conférence, alors pourquoi pas", juge cet expert. La Russie exclut toute
condition préalable, notamment sur l’avenir du régime syrien et du
président Bachar el-Assad, à cette conférence, et pèse pour la
participation d’un autre de ses alliés régionaux, l’Iran.
(29-05-2013 - Assawra avec les agences de presse)
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