Assise sur une couverture dans la rue, Rania serre ses trois enfants,
après avoir fui les combats dans son quartier de Tripoli, dans le nord
du Liban, où sunnites et alaouites rejouent le conflit syrien.
"Ce sont nos enfants qui paient le prix. Nous avons d’abord quitté la
maison dimanche, quand les combats ont commencé. Au début, nous avons
cru qu’il s’agissait de tirs de joie pour un mariage mais nous avons
vite déchanté quand les premiers obus sont tombés", raconte Rania, en
faisant sauter sur ses genoux le petit Ahmad.
Terrifiés, elle et son mari Abdallah ont pris Ahmad et ses deux soeurs
Nourhane et Batoul pour fuir Bab al-Tebbaneh, un quartier sunnite qui
fait face à celui alaouite de Jabal Mohsen, théâtre de fréquents
affrontements.
N’ayant nulle part où aller, ils dorment dans leur voiture cabossée et
passent leurs journées sur une couverture rouge et noire, sursautant à
chaque fois qu’un tireur embusqué appuie sur sa gâchette en bas de la
rue.
Ils sont entourés d’autres familles qui ont fui comme eux ces combats ayant fait jusqu’à présent 20 morts et 150 blessés.
La haine recuite que se vouent ces deux quartiers misérables est
irrépressible. Depuis 2008, ils se sont embrasés à 16 reprises, toujours
pour des questions de politique générale ou régionale.
Désormais, c’est la guerre en Syrie entre les rebelles à majorité
sunnites et le régime dirigé par les alaouites qui se répercute dans la
ville.
Depuis dimanche, la bataille de Qousseir, ville rebelle proche de la
frontière libanaise, a mis le feu aux poudres. Epaulée par les chiites
du Hezbollah libanais, l’armée syrienne a lancé un assaut d’envergure
dans la zone.
Mais certains habitants de Tripoli n’en peuvent plus : "Si mettre une
photo d’Assad dans ma maison peut arrêter les combats. Je le ferai",
assure Rania la sunnite, désespérée.
Mardi, espérant que la bataille s’était calmée, la famille est rentrée,
mais dans la nuit, les accrochages ont repris de plus belle.
"C’était vraiment la guerre. Au début, je n’ai pas voulu partir, mais
j’ai trois enfants. Nous avons fui sous la mitraille et Dieu merci, nous
avons réussi à nous en tirer", explique Abdallah.
"Mais, il n’y a rien pour nous ici, nous ne pouvons pas travailler et
nous n’avons donc pas d’argent pour nous nourrir. Les enfants ne peuvent
pas aller à l’école, il n’y a pas de salle de bain, il n’y a rien",
explique-t-il avec lassitude.
A l’intérieur de Bab el-Tebbaneh, la majorité des magasins sont fermés.
Dans un café ouvert, autour de deux tables, des hommes âgées fument et
jouent aux cartes.
Devant eux, une carriole continue de brûler et rapidement, des habitants
accrochent des toiles en plastique bleues pour permettre aux passants
de traverser sans être vus par les tireurs embusqués.
Des jeunes gens en T-shirts noirs frappés de phrases islamiques inscrites en blanc traînent dans les rues, armes à la main.
Ils accusent les habitants de Jabal Mohsen d’avoir déclenché les combats
et soupçonnent l’armée libanaise, qui s’est déployée pour tenter en
vain de calmer la situation, d’être favorable à la partie adverse.
"Nous sommes avec l’Etat libanais et respectons la loi mais que pouvons
nous faire quand nous sommes attaqués par l’armée et Jabal Mohsen",
allègue un quadragénaire en armes qui ne dit pas son nom.
"Ceux de Jabal Mohsen, qui soutiennent Assad et le Hezbollah, ont
commencé la bataille. Ils sont organisés, ont des armes lourdes, nous ne
faisons que nous défendre", assure Kamal, 31 ans, un religieux
salafiste.
A Jabal Mohsen, le discours est quasiment le même. "Nous avons été
surpris par la bataille car nous sommes encerclés et nous n’avons
logiquement aucun intérêt dans les combats. Nous sommes pas des
suicidaires, mais c’est notre droit de nous défendre", explique à l’AFP
Ali Fedda, membre du bureau politique du Parti arabe démocratique (PAD),
émanation politique de la communauté alaouite au Liban.
Quand on lui demande contre qui il se bat, il répond sans hésiter : le
Front al Nosra (un groupe jihadiste très en vue en Syrie), l’Armée
syrienne libre (la rébellion armée en Syrie) et les Takfiris
(extrémistes sunnites).
(23-05-2013 - Assawra avec les agences de presse)
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