lundi 20 mai 2013

Algérie : L’après-Bouteflika a déjà commencé

L’état de santé du président Bouteflika, hospitalisé au Val-de-Grâce à Paris depuis le 27 avril dernier, a provoqué un premier geste de nervosité des autorités algériennes ce dimanche. Mon Journal, un quotidien pourtant peu diffusé, a été - fait très rare - saisi aux aurores à l’imprimerie. Il annonçait l’entrée du président "dans un coma profond".
Une certaine retenue marquait les propos des Algériens au sujet de la maladie du président. Mais de nombreuses voix se sont élevées ces derniers jours pour réclamer la publication d’un bulletin de santé d’Abdelaziz Bouteflika, 77 ans, victime d’une hémorragie gastrique en novembre 2005 et évacué déjà au Val-de-Grâce. "Si le président a subi un accident ischémique transitoire sans séquelles comme cela est dit officiellement, alors il devrait avoir récupéré en bonne partie au bout de trois semaines", explique le docteur Adjil, cardiologue. Or, le mystère sur son état de santé s’épaissit au fil des jours.
À l’inverse de 2005, la maladie présidentielle n’a pas tétanisé le pays. "Les Algériens ont appris à vivre sans lui, surtout cette dernière année où il n’apparaît plus qu’en de rares occasions", explique Farid Aghmine, juriste. Son absence perd souvent de sa gravité dans les médias. Une caricature de Ali Dilem, dans Liberté, montre le président sur son lit d’hôpital cerné de tuyaux avec, sous le titre narquois "Bouteflika suit de près les affaires en Algérie", une bulle : "Je vous disais bien que je reste connecté."
Signe que les Algériens, même inquiets, ont intégré que l’après-Bouteflika est en marche, le front social n’a pas marqué de répit. Trois syndicats ont paralysé le secteur hospitalier public depuis le début du mois de mai, provoquant la colère du gouvernement. Sur la Toile, leur mouvement catégoriel est soutenu par une campagne qui fait mouche : "Val-de-Grâce pour tous". Les médecins réclament les mêmes conditions de travail qu’en France. Ce samedi matin alors que justement se diffusait la rumeur - jamais démentie par les officiels - d’une dégradation de l’état de santé du président, les pilotes d’Air Algérie déclenchaient une grève sans préavis, coupant l’Algérie du reste du monde. Impensable il y a presque huit ans durant le premier séjour de Bouteflika à Paris.
"La situation ne permet pas encore pour l’opposition de réclamer clairement l’application de l’article 88 de la Constitution sur l’empêchement du président. Depuis 2005, Bouteflika a déjà disparu plus de deux mois pour revenir dès que la rumeur a enflé sur sa probable mort", explique Farid Aghmine.
Le sentiment à Alger est que le sort politique de Bouteflika est joué. Il n’est plus dans les plans d’avenir des militaires. C’était déjà le cas en bonne partie avant son accident du 27 avril. Le nouveau passage par le Val-de-Grâce a fini de convaincre les hésitants. Problème, tout le monde pensait avoir le temps jusqu’à avril 2014 pour "construire" un successeur à Bouteflika. Si les événements venaient à s’accélérer, la succession serait critique. La Constitution prévoit 45 jours pour de nouvelles élections. Et en dehors d’Ahmed Benbitour, ancien Premier ministre, aucun présidentiable de poids ne s’est montré.

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La presse censurée sur la santé de Bouteflika
La saisie de deux quotidiens annonçant une déterioration de l’état de santé du président Abdelaziz Bouteflika a permis lundi à la presse algérienne de rebondir sur ce dossier en dénonçant "le silence" imposé par les autorités sur ce sujet tabou.
"Le pouvoir veut imposer le silence" sur la santé du chef de l’Etat, titre le quotidien francophone El-Watan pour expliquer l’interdiction de parution dimanche de Mon Journal et de son pendant arabophone Djaridati. Ils annonçaient que M. Bouteflika avait été ramené à Alger mercredi dernier à l’aube dans un "état comateux".
Un autre quotidien privé, El Khabar, généralement critique envers le pouvoir, affirme en Une que "le Peuple veut l’apparition du président". "Les communiqués de Abdelmalek Sellal (le Premier ministre NDLR), les déclarations des proches (du chef de l’Etat NDLR), la censure des médias n’ont pas réussi", à faire taire les rumeurs, affirme le quotidien arabophone, l’un des plus forts tirages en Algérie.
"La probabilité la plus réaliste est que l’action judiciaire contre Hichem Aboud est un avertissement à tous les concernés que la trêve est terminée et qu’il faut cesser de parler de la santé du président", commente également El Khabar dans un éditorial intitulé "Silence...la trêve est finie".
M. Aboud, le propriétaire des deux journaux saisis, fait l’objet d’une information judiciaire pour "atteinte à la sécurité de l’Etat" en raison des informations qu’il a publiées sur la santé du président algérien, hospitalisé en France depuis le 27 avril.
Pour Echorouk (conservateur, arabophone) "le black out autour de l’état de santé du président est une attitude de mépris envers le peuple". Personnalités et partis s’y bousculent pour réclamer la "transparence" dans ce dossier.
La majorité des journaux sont critiques envers les poursuites judiciaires lancées dimanche contre M. Aboud et envers le ministère de la Communication qui a démenti toute "censure" de ses deux numéros.
Pour Liberté, le ministère "visiblement dépassé par la tournure prise par cet acte de censure, a tenté d’en minimiser la portée". "L’événement reflète un état de crise de la communication officielle", relève en tout cas un de ses commentateurs.
Ennahar, arabophone proche des sphères du pouvoir, se félicite de "la nuit au cours de laquelle est tombé Hichem Aboud", le décrivant comme un "officier fuyard passé en un clin d’oeil du statut de réfugié politique à Lille (nord de la France) à celui de propriétaire de deux journaux".
Ces critiques sur le passé militaire du patron de presse trouvent un écho dans Le Temps (francophone). Hichem Aboud s’y voit qualifié de "troufion en mal de gloire".

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