lundi 6 août 2012

Bahreïn : quand François Hollande reçoit un dictateur ( par Armin Arefi)

Le colonel Kadhafi, Bachar el-Assad..., le perron de l’Élysée croyait la page des dictateurs arabes en France tournée depuis le départ de Nicolas Sarkozy.
Deux mois après son accession à la tête de l’État, François Hollande semble pourtant perpétuer la tradition présidentielle, en secret. C’est en catimini que le "président normal" a reçu le 23 juillet dernier le roi de Bahreïn, Hamed ben Issa Al Khalifa, à la tête d’une dynastie sunnite au pouvoir depuis deux cents ans. En effet, aucune mention sur l’agenda élyséen, aucune alerte à la presse ne sont venues annoncer cette visite de premier plan. "Cette rencontre était à l’évidence une réception officielle", signale Jean-Paul Burdy*, professeur d’histoire à l’Institut d’études politiques de Grenoble, qui relate l’affaire sur son site. Ce spécialiste de Bahreïn en veut pour preuve le fait que le roi a été accueilli à l’aéroport par la garde républicaine française.
Pourquoi un tel silence ? Il faut dire que Bahreïn n’est pas n’importe quel pays. Cela fait un an et demi que le royaume réprime dans le sang la révolte chiite : la communauté majoritaire de ce minuscule État de 1 230 000 habitants (dont 550 000 nationaux) exige du pouvoir sunnite des élections libres et la fin des discriminations à son égard. Selon Amnesty International, au moins 60 personnes ont été tuées depuis mars 2011, après que l’Arabie saoudite a dépêché sur place un millier de ses soldats pour réfréner toute velléité révolutionnaire.
Ironie du sort, c’est justement par un tweet (relayé par le Figaro.fr) qu’une journaliste politique de l’Agence France-Presse, accréditée à l’Élysée, s’est chargée de donner l’alerte, le 23 juillet à 11 heures du matin. Évoquant une "visite-surprise", en tout cas "pour les journalistes AFP", elle joint à son texte une photo montrant François Hollande aux côtés du roi Hamed ben Issa Al Khalifa, sur le perron de l’Élysée. Quelques heures plus tard, la présidence de la République explique que l’entretien a porté sur la situation en Syrie ainsi que sur "le risque de prolifération des armes de destruction massive". Autrement dit sur le dossier nucléaire de l’Iran, pays que Manama accuse de fomenter les troubles à Bahreïn.
Le lendemain, c’est Laurent Fabius qui reçoit son homologue bahreïni Khalid ben Ahmed al-Khalifah. Celui-ci annonce que la France va aider Bahreïn à mettre en oeuvre des réformes judiciaires ainsi que des mesures en faveur de la liberté de la presse et des droits de l’homme, rapporte l’AFP. De son côté, le Quai d’Orsay indique que le chef de la diplomatie française a "encouragé les autorités bahreïnies à poursuivre leurs efforts pour permettre un apaisement durable des tensions que connaît le royaume".
Des tensions qui, pourtant, restent extrêmement vives. Durant tout le mois de juillet, les forces de sécurité ont arrêté plus de 240 personnes alors qu’une centaine d’autres ont été blessées dans des heurts avec la police, selon le principal groupe de l’opposition chiite, Al-Wefaq. Deux semaines avant la visite du roi en France, l’opposant emblématique Nabeel Rajab a été condamné à 3 mois d’emprisonnement pour avoir critiqué dans un tweet le Premier ministre bahreïni, et oncle du roi, Cheikh Khalifa. "Des manifestations ont lieu en permanence dans les quartiers chiites périphériques de Manama", indique pour sa part Jean-Paul Burdy, selon qui "le régime n’est pas menacé, mais la situation pas normalisée non plus".
Le 1er août, l’ONG des Médecins pour les droits de l’homme (PHR) a ainsi condamné l’utilisation par le gouvernement bahreïni de grenades lacrymogènes dans un but létal. Dans un rapport, le directeur adjoint de PHR affirme que des tirs de grenades lacrymogènes visent "directement des civils dans leur voiture, dans leur maison, ou dans d’autres espaces fermés où les effets toxiques sont exacerbés".
S’il demeure la principale cible des manifestants de la Perle (place centrale de Manama, NDLR), le roi Hamed, au pouvoir depuis dix ans, s’inscrit-il pour autant dans la lignée des Muammar Kadhafi et autre Bachar el-Assad ? "Absolument pas", insiste Jean-Paul Burdy. "La répression est bien moins sanglante à Bahreïn et le roi n’en est sans doute pas l’acteur principal." Conscient de l’impasse politique que traverse son pays, Hamed ben Issa Al Khalifa a bien tenté d’accorder des concessions à l’opposition. Il a notamment mis sur pied en juin 2011 une commission d’enquête internationale indépendante sur les incidents qui ont frappé le pays trois mois plus tôt. Le rapport qui en a découlé dénonce un "usage excessif et injustifié de la force" du régime.
Problème : l’appareil sécuritaire reste entre les mains du puissant Premier ministre Cheikh Khalifa, véritable chef de l’État depuis près de cinquante ans. "Ce qui est certain, c’est que le roi Hamed est aujourd’hui le dirigeant d’un régime répressif", souligne le spécialiste du royaume. Voilà qui expliquerait pourquoi l’Élysée s’est contenté d’un "service minimum" pour la venue du souverain. Pas de journalistes, pour ne pas s’attiser de foudre médiatique, mais aussi ne pas accorder au royaume de vitrine internationale, ce dont il a aujourd’hui grand besoin pour sa propagande intérieure. Si le "silence radio" français s’est révélé efficace, il a été trahi par la presse bahreïnie, qui a surexploité à l’excès la visite royale en capitale occidentale.
Surtout, l’agence de presse officielle BNA a apporté ses propres précisions sur la future coopération entre les deux pays. À l’en croire, les opposants bahreïnis ont de quoi s’inquiéter : outre la presse, la collaboration concernerait "les domaines politique, de défense, d’éducation, de la culture et de la technologie". Une perspective qui a suscité l’inquiétude de six associations de défense des droits de l’homme, dont Amnesty International, la Fédération internationale des droits de l’homme et Human Rights Watch. Dans une lettre commune rendue publique le 2 août, les ONG appellent François Hollande à "indiquer clairement que la France déplore l’échec de Bahreïn dans la mise en oeuvre de recommandations les plus importantes de la commission d’enquête indépendante de Bahreïn, à savoir la libération des personnes emprisonnées pour l’unique exercice de leurs droits à la liberté d’expression et de rassemblement pacifique".
Contactée par le Point, une source proche du dossier affirme que les deux pays ont simplement discuté de la possibilité de créer une haute autorité s’intéressant à l’ensemble des relations entre les deux pays. "C’est seulement lorsque le comité sera mis en place que les domaines de coopération seront formalisés", ajoute-t-elle. Interrogée sur le bien-fondé d’un tel rapprochement, étant donné la répression en cours à Bahreïn, la source précise que ce genre de collaboration est un moyen pour Paris de faire passer à Manama le "message selon lequel la France soutient le processus des réformes entreprises dans le pays".

(06 août 2012 - Par Armin Arefi)

*Jean-Paul Burdy, auteur du blog Questions d’Orient

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