mercredi 29 août 2012

Syrie : A la frontière turque, réfugiés et combattants syriens continuent de passer

La voiture ralentit soudainement. Dissimulés dans un fossé caillouteux au bord de la route, deux hommes montent dans le véhicule qui file aussitôt en direction de Reyhanli, ville de l’extrême sud-est de la Turquie, frontalière de la Syrie en guerre.
Pour ces deux clandestins syriens, le voyage touche presque à sa fin. Le passage de la frontière turque s’est fait à pied, au travers de l’un des innombrables trous de souris qui piquent le grillage marquant la séparation entre les deux pays.
Tee-shirt blanc crasseux et regard bleu d’acier, Abu Hamza "est en mission" pour la rébellion. Abu Mohammed, craintif cinquantenaire accroché à son sac plastique, vient quant à lui retrouver pour de bon sa femme et ses deux enfants dans un camp de réfugiés.
Tous deux sont originaires d’un village à 35 km d’Idleb, dans le nord-ouest de la Syrie. Leur périple a durée une journée jusqu’à la frontière. La clôture de barbelés serpente ici à flanc de montagne, le long de la route qui mène au poste-frontière turc de Bab el-Hawa, actuellement fermé.
Pas de soldat dans les miradors. Pas de patrouille à l’horizon. La surveillance est apparemment assez lâche. Côté syrien, un immense drapeau de la Syrie "libre" est posé sur la pente rocailleuse, à proximité d’un chapelet de tentes beiges, campement d’une "katiba" (brigade) rebelle.
Dans la voiture qui les mène jusqu’à Reyhanli, les deux clandestins échangent quelques mots avec leur passeur, notent un contact, un numéro de téléphone. Puis s’évanouissent en un instant dans l’animation matinale du centre-ville. Comme eux, chaque jour, des dizaines de Syriens franchissent ainsi illégalement la frontière autour de Reyhanli.
Officiellement, la Turquie accueille aujourd’hui plus de 80.000 réfugiés, dans neuf camps répartis le long de la frontière. Mais leur nombre réel est sans aucun doute bien plus élevé.
"La grande majorité des Syriens dans la région sont des illégaux", reconnaît Talal Abdallah, un ancien membre du Conseil national syrien (coalition d’opposition) installé à Antioche, chef-lieu de la province turque d’Hatay.
Cet afflux de réfugiés, en grande majorité sunnites, suscite des frictions avec les populations locales, en particulier dans la région d’Antioche, syrienne jusqu’en 1939, où vivent de nombreux Alaouites, communauté dont est issu le président syrien Bashar al-Assad.
"Au moins 2 000 familles syriennes sont installées dans la ville d’Antioche même", estime M. Abdallah, qui juge cependant que la cohabitation se déroule jusqu’à présent sans incident majeur.
Les récents débats suscités à Istanbul par ce flot d’exilés syriens inquiètent au premier chef les réfugiés. Beaucoup se demandent s’ils vont devoir désormais aller se faire enregistrer ou aller vivre dans des camps.
La plupart vivent pour le moment chez des proches, dans des familles d’accueil, grâce à des réseaux d’entraide et de solidarité. A Reyhanli, ils sont ainsi près d’une trentaine à s’entasser dans un appartement "de passage et de repos", au rez-de-chaussée d’un immeuble anonyme à eux pas de la place centrale.
Pour l’essentiel, ce sont des blessés en convalescence ou qui attendent d’être pris en charge dans un hôpital. Il y a aussi trois officiers déserteurs. Dissimulée aux yeux des passants par une bâche plastique, la terrasse sert de salon de thé.
"La cohabitation avec les voisins turcs se passe bien, il faut savoir rester discret", assure Hassan, ex-lieutenant dans l’armée d’Assad. Reyhanli abriterait au moins quatre appartements du même genre, dont un réservé aux femmes. "Les autorités locales connaissent notre situation", ajoute-t-il.
"De façon générale, le gouvernement turc fait preuve d’une grande tolérance, et se montre coopératif", juge Obada al-Abrash, un des responsables d’une association de médecins syriens, Dar al-Isteshfa ("maison de convalescence"), qui gère un vaste centre de soins post-opératoires en banlieue de Reyhanli.
Cette ancienne pension accueille près d’une centaine de blessés de guerre. Beaucoup ont été transportés par des ambulances turques à leur arrivée de Syrie, puis opérés dans des structures turques, avant d’être amenés là pour leur convalescence.
"Les autorités turques ferment les yeux sur beaucoup de choses", résume un habitant d’Atme, village syrien qui jouxte la frontière. Pour le moment, "Ankara est avec nous", se félicite-t-il.

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