La voiture ralentit soudainement. Dissimulés dans un fossé
caillouteux au bord de la route, deux hommes montent dans le véhicule
qui file aussitôt en direction de Reyhanli, ville de l’extrême sud-est
de la Turquie, frontalière de la Syrie en guerre.
Pour ces deux clandestins syriens, le voyage touche presque à sa fin.
Le passage de la frontière turque s’est fait à pied, au travers de l’un
des innombrables trous de souris qui piquent le grillage marquant la
séparation entre les deux pays.
Tee-shirt blanc crasseux et regard bleu d’acier, Abu Hamza "est en
mission" pour la rébellion. Abu Mohammed, craintif cinquantenaire
accroché à son sac plastique, vient quant à lui retrouver pour de bon sa
femme et ses deux enfants dans un camp de réfugiés.
Tous deux sont originaires d’un village à 35 km d’Idleb, dans le
nord-ouest de la Syrie. Leur périple a durée une journée jusqu’à la
frontière. La clôture de barbelés serpente ici à flanc de montagne, le
long de la route qui mène au poste-frontière turc de Bab el-Hawa,
actuellement fermé.
Pas de soldat dans les miradors. Pas de patrouille à l’horizon. La
surveillance est apparemment assez lâche. Côté syrien, un immense
drapeau de la Syrie "libre" est posé sur la pente rocailleuse, à
proximité d’un chapelet de tentes beiges, campement d’une "katiba"
(brigade) rebelle.
Dans la voiture qui les mène jusqu’à Reyhanli, les deux clandestins
échangent quelques mots avec leur passeur, notent un contact, un numéro
de téléphone. Puis s’évanouissent en un instant dans l’animation
matinale du centre-ville. Comme eux, chaque jour, des dizaines de
Syriens franchissent ainsi illégalement la frontière autour de Reyhanli.
Officiellement, la Turquie accueille aujourd’hui plus de 80.000
réfugiés, dans neuf camps répartis le long de la frontière. Mais leur
nombre réel est sans aucun doute bien plus élevé.
"La grande majorité des Syriens dans la région sont des illégaux",
reconnaît Talal Abdallah, un ancien membre du Conseil national syrien
(coalition d’opposition) installé à Antioche, chef-lieu de la province
turque d’Hatay.
Cet afflux de réfugiés, en grande majorité sunnites, suscite des
frictions avec les populations locales, en particulier dans la région
d’Antioche, syrienne jusqu’en 1939, où vivent de nombreux Alaouites,
communauté dont est issu le président syrien Bashar al-Assad.
"Au moins 2 000 familles syriennes sont installées dans la ville
d’Antioche même", estime M. Abdallah, qui juge cependant que la
cohabitation se déroule jusqu’à présent sans incident majeur.
Les récents débats suscités à Istanbul par ce flot d’exilés syriens
inquiètent au premier chef les réfugiés. Beaucoup se demandent s’ils
vont devoir désormais aller se faire enregistrer ou aller vivre dans des
camps.
La plupart vivent pour le moment chez des proches, dans des familles
d’accueil, grâce à des réseaux d’entraide et de solidarité. A Reyhanli,
ils sont ainsi près d’une trentaine à s’entasser dans un appartement "de
passage et de repos", au rez-de-chaussée d’un immeuble anonyme à eux
pas de la place centrale.
Pour l’essentiel, ce sont des blessés en convalescence ou qui
attendent d’être pris en charge dans un hôpital. Il y a aussi trois
officiers déserteurs. Dissimulée aux yeux des passants par une bâche
plastique, la terrasse sert de salon de thé.
"La cohabitation avec les voisins turcs se passe bien, il faut savoir
rester discret", assure Hassan, ex-lieutenant dans l’armée d’Assad.
Reyhanli abriterait au moins quatre appartements du même genre, dont un
réservé aux femmes. "Les autorités locales connaissent notre situation",
ajoute-t-il.
"De façon générale, le gouvernement turc fait preuve d’une grande
tolérance, et se montre coopératif", juge Obada al-Abrash, un des
responsables d’une association de médecins syriens, Dar al-Isteshfa
("maison de convalescence"), qui gère un vaste centre de soins
post-opératoires en banlieue de Reyhanli.
Cette ancienne pension accueille près d’une centaine de blessés de
guerre. Beaucoup ont été transportés par des ambulances turques à leur
arrivée de Syrie, puis opérés dans des structures turques, avant d’être
amenés là pour leur convalescence.
"Les autorités turques ferment les yeux sur beaucoup de choses",
résume un habitant d’Atme, village syrien qui jouxte la frontière. Pour
le moment, "Ankara est avec nous", se félicite-t-il.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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