Les exactions de l’islamisme radical ne s’arrêtent pas à Tombouctou.
Pour la première fois en Libye, des extrémistes s’en sont pris à des
mausolées musulmans soufis, vision spirituelle et mystique de l’islam
qui fait partie de la tradition religieuse du pays depuis plus d’un
siècle. C’est à coups de pelleteuse et de marteau-piqueur que les
intégristes ont détruit le mausolée du sage al-Chaab al-Dahmani, lieu de
pèlerinage situé près du centre de Tripoli. La veille, c’est aux cris
de "Allah Akbar" (Dieu est le plus grand), que des dizaines de radicaux
avaient fait exploser le mausolée du cheikh Abdessalem al-Asmar, un
théologien soufi du XVIe siècle, à Zliten. Enfin, à Misrata, la tombe du
Cheikh Ahmed al-Zarrouk a également été démolie. Des incidents qui ne
sont pas sans rappeler la destruction de sept mausolées soufis à
Tombouctou, au Mali, en juillet dernier.
Les combattants islamistes d’Ansar Dine entendaient ainsi s’opposer à
la "vénération" des saints musulmans, en contradiction, selon eux, avec
l’"unicité de Dieu". Interrogé par l’AFP, un membre éminent de la
communauté soufie en Libye, Ossama Bwera, a dénoncé l’"ignorance des
profanateurs qui se font appeler salafistes". "Ces attaques ne visaient
pas en particulier le soufisme, mais la culture et la civilisation
musulmanes en Libye en général", a-t-il expliqué à l’AFP. "Cette
nouvelle interprétation de l’islam, de la part de mouvements radicaux,
est incontestablement un effet de mode", explique au Point.fr Hasni
Abidi (1), directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde
arabe et méditerranéen (Cermam).
Peu habitués à de tels incidents - les islamistes radicaux étaient
farouchement combattus sous Kadhafi -, des dizaines de manifestants
libyens ont répondu à un appel lancé sur les réseaux sociaux pour
scander, au centre de Tripoli : "La Libye n’est pas l’Afghanistan !" ou
encore "L’islam rejette la profanation des tombes".
Pourquoi ces extrémistes frappent-ils aujourd’hui ? "Ces actions très
médiatisées permettent à leurs auteurs de se faire connaître, dans le
but de négocier certains avantages avec les autorités de transition",
analyse Hasni Abidi. "En nuisant grandement à l’action du gouvernement,
ces mouvements radicaux comptent le forcer à acheter la paix sociale,
l’exécutif étant loin d’avoir les moyens de les combattre", ajoute-t-il.
"Ces factions radicales revendiquent la légitimité révolutionnaire et
profitent du vide total de l’État et des services de sécurité dans le
pays", conclut le chercheur.
En effet, le pouvoir demeure en pleine période de transition depuis
les élections du 7 juillet dernier. À la surprise générale, le scrutin a
porté au pouvoir des libéraux au sein du Congrès national général
(CNG). Cette nouvelle instance, qui a la charge de désigner un
gouvernement, doit remplacer le Conseil national de transition (CNT),
jusqu’à l’organisation de nouvelles élections pour élire une Assemblée
constituante. Une fois la Constitution rédigée, le texte sera soumis à
un référendum populaire, avant l’organisation de véritables élections
législatives. "La Libye va connaître pendant près d’un an une campagne
électorale permanente", résume Hasni Abidi.
Dans ce contexte on ne peut plus instable, la destruction des
mausolées a eu des répercussions jusqu’au coeur du pouvoir, témoignant
de sa fragilité. Accusant le gouvernement actuel, toujours aux mains du
CNT, de laxisme, voire d’implication dans la destruction des mausolées,
le nouveau chef du CNG, Mohamed al-Megaryef, a convoqué plusieurs
ministres pour qu’ils s’expliquent devant les députés. Ce coup de
semonce a provoqué, le lendemain, la démission du ministre de
l’Intérieur, Fawzi Abdelali, qui entendait ainsi protester contre la
remise en cause de ses services de sécurité.
"Pressenti pour être reconduit à son poste dans le futur exécutif, le
ministre de l’Intérieur a préféré démissionner avec éclat plutôt que de
devoir subir un humiliant limogeage", explique Hasni Abidi. Le ministre
de la Défense n’a pas fait preuve d’autant de panache. Oussama Jouili a
admis publiquement avoir des difficultés à gérer l’ensemble des
ex-troupes rebelles anti-Kadhafi. D’après le ministre, le principal
souci aujourd’hui demeure "l’occupation de sites militaires stratégiques
par des groupes de révolutionnaires qui refusent d’intégrer le
ministère de la Défense". Redoutant la perte de leurs privilèges, une
partie d’entre eux refusent toujours de déposer les armes.
(28 août 2012 - Armin Arefi)
(1) Hasni Abidi, auteur du livre Où va le monde arabe : entre islamistes et militaires (Éditions Encre d’Orient, février 2011)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire