mardi 28 août 2012

La Libye, nouvelle cible des islamistes radicaux ( par Armin Arefi)

Les exactions de l’islamisme radical ne s’arrêtent pas à Tombouctou. Pour la première fois en Libye, des extrémistes s’en sont pris à des mausolées musulmans soufis, vision spirituelle et mystique de l’islam qui fait partie de la tradition religieuse du pays depuis plus d’un siècle. C’est à coups de pelleteuse et de marteau-piqueur que les intégristes ont détruit le mausolée du sage al-Chaab al-Dahmani, lieu de pèlerinage situé près du centre de Tripoli. La veille, c’est aux cris de "Allah Akbar" (Dieu est le plus grand), que des dizaines de radicaux avaient fait exploser le mausolée du cheikh Abdessalem al-Asmar, un théologien soufi du XVIe siècle, à Zliten. Enfin, à Misrata, la tombe du Cheikh Ahmed al-Zarrouk a également été démolie. Des incidents qui ne sont pas sans rappeler la destruction de sept mausolées soufis à Tombouctou, au Mali, en juillet dernier.
Les combattants islamistes d’Ansar Dine entendaient ainsi s’opposer à la "vénération" des saints musulmans, en contradiction, selon eux, avec l’"unicité de Dieu". Interrogé par l’AFP, un membre éminent de la communauté soufie en Libye, Ossama Bwera, a dénoncé l’"ignorance des profanateurs qui se font appeler salafistes". "Ces attaques ne visaient pas en particulier le soufisme, mais la culture et la civilisation musulmanes en Libye en général", a-t-il expliqué à l’AFP. "Cette nouvelle interprétation de l’islam, de la part de mouvements radicaux, est incontestablement un effet de mode", explique au Point.fr Hasni Abidi (1), directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam).
Peu habitués à de tels incidents - les islamistes radicaux étaient farouchement combattus sous Kadhafi -, des dizaines de manifestants libyens ont répondu à un appel lancé sur les réseaux sociaux pour scander, au centre de Tripoli : "La Libye n’est pas l’Afghanistan !" ou encore "L’islam rejette la profanation des tombes".
Pourquoi ces extrémistes frappent-ils aujourd’hui ? "Ces actions très médiatisées permettent à leurs auteurs de se faire connaître, dans le but de négocier certains avantages avec les autorités de transition", analyse Hasni Abidi. "En nuisant grandement à l’action du gouvernement, ces mouvements radicaux comptent le forcer à acheter la paix sociale, l’exécutif étant loin d’avoir les moyens de les combattre", ajoute-t-il. "Ces factions radicales revendiquent la légitimité révolutionnaire et profitent du vide total de l’État et des services de sécurité dans le pays", conclut le chercheur.
En effet, le pouvoir demeure en pleine période de transition depuis les élections du 7 juillet dernier. À la surprise générale, le scrutin a porté au pouvoir des libéraux au sein du Congrès national général (CNG). Cette nouvelle instance, qui a la charge de désigner un gouvernement, doit remplacer le Conseil national de transition (CNT), jusqu’à l’organisation de nouvelles élections pour élire une Assemblée constituante. Une fois la Constitution rédigée, le texte sera soumis à un référendum populaire, avant l’organisation de véritables élections législatives. "La Libye va connaître pendant près d’un an une campagne électorale permanente", résume Hasni Abidi.
Dans ce contexte on ne peut plus instable, la destruction des mausolées a eu des répercussions jusqu’au coeur du pouvoir, témoignant de sa fragilité. Accusant le gouvernement actuel, toujours aux mains du CNT, de laxisme, voire d’implication dans la destruction des mausolées, le nouveau chef du CNG, Mohamed al-Megaryef, a convoqué plusieurs ministres pour qu’ils s’expliquent devant les députés. Ce coup de semonce a provoqué, le lendemain, la démission du ministre de l’Intérieur, Fawzi Abdelali, qui entendait ainsi protester contre la remise en cause de ses services de sécurité.
"Pressenti pour être reconduit à son poste dans le futur exécutif, le ministre de l’Intérieur a préféré démissionner avec éclat plutôt que de devoir subir un humiliant limogeage", explique Hasni Abidi. Le ministre de la Défense n’a pas fait preuve d’autant de panache. Oussama Jouili a admis publiquement avoir des difficultés à gérer l’ensemble des ex-troupes rebelles anti-Kadhafi. D’après le ministre, le principal souci aujourd’hui demeure "l’occupation de sites militaires stratégiques par des groupes de révolutionnaires qui refusent d’intégrer le ministère de la Défense". Redoutant la perte de leurs privilèges, une partie d’entre eux refusent toujours de déposer les armes.

(28 août 2012 - Armin Arefi)

(1) Hasni Abidi, auteur du livre Où va le monde arabe : entre islamistes et militaires (Éditions Encre d’Orient, février 2011)

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