À la recherche de soutiens pour légitimer son projet d’attaquer les
sites nucléaires iraniens, le Premier ministre israélien, Benyamin
Netanyahou, a réclamé la semaine dernière l’aide de l’influent rabbin
Ovadia Yossef, chef spirituel du parti ultraorthodoxe Shass, jusqu’ici
catégoriquement opposé à un tel projet sans consentement américain
préalable. Et celui-ci n’a pas déçu. Au cours d’un sermon enflammé
prononcé dimanche, le chef religieux a appelé à prier pour la
destruction de l’Iran. "(Lorsque) nous appelons Dieu à "amener la fin de
nos ennemis", nous devrions penser à l’Iran, ces démons qui menacent
Israël. Puisse Dieu les détruire", a annoncé le rabbin, selon Reuters.
"La formule du rabbin Ovadia Yossef reste ambiguë", note Denis
Charbit, professeur en sciences politiques à l’université ouverte
d’Israël. "Si elle traduit l’hostilité réelle d’Israël à l’encontre de
la République islamique, elle ne répond pas pour autant à la demande de
Benyamin Netanyahou." C’est la première fois qu’un rabbin s’en prend de
la sorte à Téhéran, mettant à mal l’argument principal de Tel-Aviv selon
lequel ce sont les appels répétés de l’Iran à la destruction d’Israël
qui rendent légitime une intervention militaire contre l’Iran.
Le 15
août dernier, le guide suprême iranien, l’ayatollah Khamenei, a encore
déclaré qu’Israël, une "excroissance sioniste artificielle",
"disparaîtra du paysage" de la région. Le 17 août, c’est le président
iranien Mahmud Ahmadinejad, qui a affirmé que les "pays de la région"
allaient "en finir prochainement avec la présence des usurpateurs
sionistes sur la terre de Palestine", qualifiant à l’occasion l’État
israélien de "tumeur cancéreuse".
"Ces déclarations iraniennes ont été prononcées à l’occasion de la
fête de Jérusalem, comme les dirigeants iraniens en sont coutumiers
depuis plus de trente ans", explique au Point.fr Bernard Hourcade*,
directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l’Iran. Le régime
iranien chercherait-il à se tirer une balle dans le pied ?
"Effectivement l’Iran n’a rien à y gagner", concède Bernard Hourcade,
"mais face aux menaces d’attaques israéliennes Téhéran fait dans la
surenchère verbale. Les dirigeants iraniens participent à la guerre des
ondes, et tiennent à réagir face à un pays qui veut les attaquer, hors
du cadre de l’ONU".
De son côté, le rabbin Ovadia Yossef demeure lui aussi coutumier de
ce genre de diatribes, même si elles épargnaient jusqu’ici l’Iran. Par
le passé, le religieux de 91 ans, né à Bagdad, avait déjà provoqué la
polémique en comparant les Palestiniens à des "serpents", en appelant le
président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, à "périr de ce
monde", ou encore en décrivant les non-juifs comme "nés uniquement pour
nous servir". Il s’est toutefois prononcé pour la cession des
territoires occupés en faveur des Palestiniens afin de mettre un terme
au conflit et de sauver des vies juives.
Estimant que des frappes ciblées contre les sites iraniens ne
retarderaient le programme nucléaire de l’Iran que d’"un an ou deux", le
parti Shass avait jusque-là jugé "trop risquée" l’éventualité d’une
attaque contre l’Iran, en termes de répercussions diplomatiques et
militaires, sans l’aval de Washington. Membre-clé de la coalition au
pouvoir, la formation religieuse possède un ministre parmi les huit
membres du cabinet de sécurité du Premier ministre, pour l’heure
toujours divisé sur le dossier iranien.
"Le parti Shass possède une vue très pessimiste, et donc très
prudente sur la question", explique Denis Charbit au Point.fr. "Estimant
que l’homme n’est pas capable de tout, il ne souhaite pas se lancer
dans un tel projet aventureux." Conscient que son projet ne fait pas
l’unanimité, au sein tant de la communauté internationale - qui
privilégie encore la voie diplomatique - que de la population
israélienne - inquiète du nombre de morts en cas de représailles
iraniennes -, le Premier ministre israélien a accentué ces dernières
semaines les déclarations annonçant l’imminence de l’attaque.
D’après l’AFP, l’inquiétude ambiante a été renforcée par la
distribution massive de masques à gaz à la population, par la
vérification du bon fonctionnement d’un système d’alerte via SMS, ainsi
que par des spéculations sur le nombre de victimes israéliennes : 500
morts, d’après le ministre de la Défense Ehud Barak. Pour Denis Charbit,
cette mise à nu de la diplomatie israélienne s’explique par le fait que
Benyamin Netanyahou sait qu’il n’a pas la légitimité pour attaquer
l’Iran. "Il veut mettre tout le monde devant le fait accompli, pour
ainsi faire pression sur les Américains et obtenir leur consentement",
explique le politologue. Vendredi, le Premier ministre israélien a
affirmé à un membre du Congrès américain, en visite en Israël, que la
République islamique accélérait sa course à l’arme nucléaire, au mépris
des sanctions internationales.
Des déclarations anticipant la publication du nouveau rapport
trimestriel de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA),
attendu cette semaine. D’après le Washington Post, qui cite diplomates
et experts, le prochain opus annonce que Téhéran a mis en place des
centaines de nouvelles centrifugeuses "et pourrait également être en
train d’accélérer sa production de combustible nucléaire", dont
l’enrichissement à 90 % peut servir à la fabrication de la bombe.
"Netanyahou table sur une approbation de l’opération militaire a
posteriori", analyse Denis Charbit. "Tout dépend de son degré de
réussite : si, en plus des installations nucléaires, les sites de
lancement de missiles sont rasés, la communauté internationale, même si
elle ne le criera pas sur tous les toits, se satisfera de l’attaque. En
revanche, si cela ne fonctionne pas, et que l’Iran bloque le détroit
d’Ormuz, ce qui entraînera de facto une flambée des prix du pétrole,
Israël se mettra tout le monde à dos."
(27 août 2012 - Armin Arefi)
(*) Bernard Hourcade, auteur de Géopolitique de l’Iran (Éditions Armand Colin).
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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