vendredi 10 février 2012

Quand la France envahissait et bombardait la Syrie

Photo : La Grande Mosquée des Omeyyades, à Damas. © Abd Rabbo / Sipa

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La France, depuis quelques mois, est omniprésente sur la question syrienne. Car ce pays occupe depuis longtemps une place de choix dans la diplomatie hexagonale. Il faut en revenir aux accords Sykes-Picot. Ce dernier est consul à Beyrouth, il sera aussi, pour l’anecdote, le grand-oncle de VGE. Que prévoient ces accords signés en 1916 entre la France et la Grande-Bretagne ? Le dépeçage pur et simple du Moyen-Orient, encore aux mains des Ottomans, avec, pour chaque pays, une part du gâteau. Aux Français sont promis le Liban et la Syrie, aux Anglais la Palestine et l’Irak. Cet accord met fin à la Syrie historique, qui comprenait également le Liban, la Jordanie et la Palestine.
Comme souvent à l’époque, il s’agit d’accords secrets, mais qui ne le resteront plus en janvier 1918, après la révolution bolchevique : la Russie, en 1916, avait en effet participé aux discussions et le nouveau gouvernement rouge, pour embarrasser Français et Anglais, transmet le document aux Ottomans. Les forces arabes, encouragées par le couple franco-anglais, et qui tentent également de se débarrasser des Turcs, sont aussi effondrées : on leur a promis l’indépendance après la guerre. Il va s’ensuivre une partie de poker menteur entre la France et Fayçal, leader de la lutte syrienne, qui, après avoir libéré Damas des Ottomans en 1918, parvient à créer un premier État indépendant au début de l’année 1920. Le terrain était libre en effet depuis le départ des troupes anglaises qui ont quitté le pays fin 1919.

La Syrie est une tache dans la mémoire française
Mais la France du Bloc national ne l’entend pas de cette oreille. Elle a déjà résisté aux conclusions d’une commission mandatée par les Américains durant les négociations du traité de Versailles. Le verdict est clair : les Syriens ne veulent pas d’un mandat français. Clemenceau rejette ces conclusions, enfume Fayçal venu négocier à Paris, et, en avril 1920, est signé le trop méconnu traité de San Remo. Ce traité, avalisé par la SDN, accorde le mandat de la Syrie et du Liban à la France, qui ne compte pas lâcher ce fruit de la Première Guerre mondiale. Notre pays entend se placer dans la course au pétrole et dans les négociations avec la Grande-Bretagne, celle-ci récupère Kirkouk pour l’Irak contre une participation française dans l’exploitation pétrolière.
Le 14 juillet 1920, date éminemment symbolique, la France, par la voix du général Gouraud, haut-commissaire au Liban et en Cilicie, lance un ultimatum à la Syrie, qui ne fait pas le poids. Une seule bataille, à Maysaloun, permet aux Français de l’emporter facilement. Dix jours plus tard, les troupes françaises du général Goybet entrent dans Damas. Ce serait un euphémisme de dire qu’ils sont accueillis en libérateurs. Passons sur les découpages, les tripatouillages - Oms est choisie un moment comme capitale - qui engendrent un long cycle de révoltes entre 1925 et 1927. La France modernise le pays, mais ce dernier n’aspire qu’à son indépendance. Le Front populaire semble débloquer la situation avec les accords Viénot, mais ils ne sont pas ratifiés par le parlement français.
Si bien qu’en 1940 la Syrie est encore française. Fidèle à Vichy, elle est l’objet de tractations entre Darlan et les Allemands qui obtiennent, lors du traité de Paris, en 1941, des bases aériennes : on est au sommet de la collaboration militaire entre la France et l’Allemagne. Les Anglais sont furieux et mènent très vite campagne, soutenus par les forces naissantes des Français libres. La Syrie est une tache dans la mémoire française : la campagne de Syrie (juin-juillet 1941) voit s’affronter Français fidèles à Pétain et FFL.

"De vrais salopards"
L’an dernier, dans notre numéro 1966 consacré aux Compagnons de la Libération, Robert Galley nous confiait ses souvenirs de cette campagne : "J’ai su que les Vichyssois recevaient des avions allemands, ce qui m’a persuadé de me battre contre eux, même s’ils étaient français. Ils ont signé l’armistice avec les Anglais à 11 heures du matin, mais juste avant, de 9 à 11 heures, ils ont vidé sur nous tous leurs casiers à munitions. De vrais salopards." Inutile de préciser que tout ne fut pas rose dans les camps de prisonniers vichyssois à Tripoli.
Autre épisode intégralement oublié des relations franco-syriennes, et même de l’histoire de notre pays : le 29 mai 1945, alors que la lutte du parti Baath pour l’indépendance s’intensifie, le gouvernement français, sous la présidence du général de Gaulle, donne l’ordre au général Oliva-Roget de bombarder Damas. Une partie de la ville est détruite, on dénombre des centaines de morts. Événement comparable à la répression de Sétif en Algérie, qui a eu lieu trois semaines plus tôt, mais dont on ne parlera presque jamais, car elle n’a eu aucune suite sinon l’intervention des Anglais. Les Britanniques reprennent enfin la main, dans des conditions encore à élucider, et la Syrie obtient son indépendance en 1946.
Il ne s’agit évidemment pas de comparer des bombardements français avec les bombardements actuels, intolérables, inadmissibles, sur les populations civiles. Il s’agit seulement, aussi désagréable cela soit-il, de rappeler des faits largement ignorés.

(09 février 2012 - Par François-Guillaume Lorrain)

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