vendredi 2 mai 2014

Tunisie : la Loi électorale réhabilite les partisans de Ben Ali

Le 1er mai au soir, l’Assemblée Nationale Constituante a salué le vote de la nouvelle Loi électorale en entonnant l’hymne national. Après la promulgation de la Constitution le 27 janvier dernier, il s’agissait du deuxième chantier vital pour la jeune démocratie tunisienne. Désormais, les législatives et les présidentielles sont sur les rails, prévues pour début 2015. Bémol, la Loi électorale n’a bénéficié que de 132 votes en sa faveur sur un total de 217. On dénombrait 65 absents dans l’hémicycle du Bardo. La preuve d’un malaise ambiant. Un chiffre qui s’explique par un article, le n° 167. Il visait à rendre "inéligibles les personnes qui ont assumé des responsabilités au sein du RCD et au sein du gouvernement" sous le règne de l’ancien dictateur Ben Ali. L’article 167 n’a pas obtenu la majorité. Les thuriféraires de Ben Ali pourront ainsi se présenter aux élections grâce notamment aux votes du parti islamiste Ennahdha. Une bizarrerie politique décidée au 5e étage du QG de Montplaisir. Sur ordre de leur leader, Rached Ghannouchi, 39 des 89 élus du parti ont voté en faveur de leurs bourreaux d’hier. Un acte qui rend furieux certains qui ont fait de la prison sous Ben Ali, au seul motif qu’ils étaient islamistes. Un homme de l’ombre explique qu’il s’agit de "la concrétisation d’un accord de longue date". Flashback.
Le 7 novembre 1987, le Président Bourguiba est destitué par un coup d’Etat médical mené par Ben Ali. Une pléiade de médecins décrète l’homme de l’indépendance inapte à gérer le pays. Un parti sur-mesure est créé le 27 février 1988 : le RCD (Rassemblement Constitutionnel Démocratique). Il sera dissout par la justice le 9 mars 2011. Ce parti unique quadrillait la Tunisie, ville par ville, quartier par quartier, rue par rue. Il fallait y adhérer sous peine de représailles. Un petit commerçant pouvait perdre son pas de porte en refusant sa cotisation au RCD. La fuite de Ben Ali en Arabie Saoudite le 14 janvier 2011 entraîna l’effondrement de la façade de cette pieuvre. Trois ans plus tard, ses ténors recouvrent une superbe à défaut d’une vitrine. Ainsi du destin de l’ancien secrétaire général du RCD, Mohamed Ghariani. Arrêté le 11 avril 2011, il est libéré le 10 juillet 2013. Après deux mois festifs à Hammamet, le St Trop tunisien, l’homme adhère à Nidaa Tounes, le parti dirigé par le vétéran de la vie politique, Beji Caïd Essebsi dit BCE, 87 ans. Il écope d’un vague titre de "conseiller politique". Nidaa Tounes et Ennahdha sont les deux grands partis en termes de militants et de financements.
Le coup de pouce de la direction d’Ennahdha aux caciques de l’ancien régime peut surprendre. Pour la députée Karima Souid, membre du groupe Al-Massar (gauche), "des discussions sérieuses ont lieu depuis un certain temps entre Nidaa et Ennahdha et leurs leaders se sont rapprochés". Elle déplore "que ceux qui ont eu les commandes du pays depuis la révolution aient retardé la justice transitionnelle" et termine par un constat au vitriol : "La jeunesse a été complètement oubliée, méprisée et ignorée". Le come-back des "Rcdistes" en atteste. La Loi électorale sera promulguée d’ici un mois. Entretemps, l’ISIE, l’Instance chargée de l’organisation du scrutin, commence son travail. Mais manque singulièrement de moyens matériels (locaux, ordinateurs...) et humains. Pour le reste la Loi électorale adoptée hier ressemble à biens des égards à celle qui a gouverné les élections du 23 octobre 2011 : circonscriptions similaires, parité verticale, pas de restriction du nombre de listes (plus d’une centaine lors des précédentes)... La Tunisie emprunte les sentiers des ex-républiques communistes au lendemain de la chute du mur de Berlin. Des compromis, des alliances baroques, des jeux de couloirs et d’argent. Un homme d’affaires conclut : "La Tunisie se roumanise".

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