"Notre université est un des ultimes bastions de la gauche
marxiste-léniniste", proclame fièrement un étudiant de Fès. Confronté à
la déferlante islamiste, le campus de Dhar El Mehraz a été le théâtre de
récents heurts sanglants entre partisans des deux camps.
Sous les arcades de l’université, près du portail où les étudiants, en
file indienne, attendent l’ouverture du restaurant universitaire, un
groupe de militants débat depuis la matinée sous un soleil de plomb.
"Notre université est un des bastions de la gauche marxiste-léniniste,
qui a toujours défendu les intérêts du peuple laminé par le régime",
s’exclame l’un d’eux.
Vieille caserne militaire datant du Protectorat français, composée de
bâtisses dont les toits en tuiles sont visibles de loin, Dhar El Mehraz
est la plus ancienne des universités marocaines après celle de Rabat et
compte à ce jour plus de 70.000 étudiants au total.
La vague islamiste qui a déferlé sur les campus à partir du début des
années 1990 ne l’a pas épargnée. Mais l’influence des "basistes", terme
qui désigne les militants de la gauche radicale, est dans le même temps
restée vivace, un cas unique à l’échelle du royaume.
"Sa tradition gauchiste ne date pas d’aujourd’hui (...) et elle a été
l’une des rares à résister à la vague islamiste", confirme à l’AFP
l’historien Mâati Monjib, qui évoque notamment la "solidarité" régnant
entre ses étudiants : "si l’un deux n’a pas les moyens d’acheter un
ticket-restaurant, il lui suffit de faire signe pour que ses camarades
lui viennent en aide", dit-il.
Mais, le 24 avril, de violents affrontements au sabre et au couteau ont
éclaté entre étudiants gauchistes et islamistes, faisant un mort parmi
ces derniers.
Selon un communiqué des autorités locales, Abderrahim Hasnaoui, 21 ans, a succombé à ses blessures à l’hôpital.
D’après cette même source, les affrontements ont éclaté après une
tentative des "étudiants gauchistes d’empêcher par la force une
table-ronde organisée par les islamistes, sur le thème +islamistes,
gauche et démocratie+".
Interrogés par l’AFP, les basistes dénoncent une provocation et une "descente" islamiste.
La victime ne faisait "pas partie de notre université", elle est venue
"avec d’autres de Meknès (à environ 50 km) pour nous provoquer", argue
Mohamed Wafi.
"C’était une descente armée pour attaquer, et pas uniquement les basistes", renchérit-il.
Parmi les griefs figure la présence prévue à la table-ronde du député
Abdelali Hamieddine, un dirigeant du parti islamiste justice et
développement (PJD, au gouvernement).
Si M. Hamieddine a été innocenté par la justice, il reste associé par
les basistes à l’affaire Mohamed Ait Ljid, du nom d’un des leurs,
assassiné en 1993 à Dhar El Mehraz.
Le président de la jeunesse estudiantine du PJD (Attajdid Attollabi), Rachid El Adlouni, nie toute provocation.
"Nous avions décidé d’organiser une conférence en présence d’un symbole
de la gauche, Hassan Tarik, et d’un symbole islamiste, en l’occurrence
Abdelali Hamieddine", note-t-il.
"C’était une agression terroriste organisée (...) par un +gang+ servant les ennemis de la démocratie", enchaîne-t-il.
Si les basistes nient être à l’origine du décès, un étudiant, cité par
l’hebdomadaire Tel Quel, affirme que nombre d’entre eux portent souvent
une arme sur le campus.
En réaction à cet événement sanglant, huit étudiants ont dès le
lendemain été arrêtés et une manifestation s’est tenue quelques jours
plus tard à Rabat. "L’université est pour les études, pas pour le
terrorisme", ont scandé les participants, essentiellement islamistes.
La polémique a atteint le Parlement, où le ministre de l’Intérieur
Mohamed Hassad a indiqué que plus de 120 étudiants avaient été
interpellés depuis le début de l’année scolaire pour violences, dont
plus d’une cinquantaine à Fès.
Il a aussi annoncé que les forces de l’ordre seraient désormais
autorisées à intervenir à leur initiative sur les campus, après avoir
informé l’université concernée.
Une "militarisation" des universités, ont critiqué des ONG.
"L’approche sécuritaire (...) aura des effets pervers et alimentera
davantage la tension", a également jugé le SneSup, un des principaux
syndicats d’enseignants marocains.
(29-05-2014)
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