Dans le contexte de l’affrontement permanent et de la paix toujours
impossible entre Juifs et Arabes, aucune visite d’un pape en Terre
sainte n’est innocente. Et aucun de ses gestes n’est anodin. Ce sera le
cas samedi de la visite de François à Béthanie, le lieu où Jésus a été
immergé dans les eaux du Jourdain pour être baptisé par saint
Jean-Baptiste. Béthanie se trouve sur la rive est du Jourdain, côté
jordanien. Problème : il n’est pas sûr que l’endroit soit vraiment celui
où le Christ a été baptisé. Le Nouveau Testament n’est pas précis sur
ce point. Si, à l’époque, il était sans doute indifférent que la scène
se passe sur la rive est ou sur la rive ouest des eaux boueuses du
Jourdain, ce n’est plus le cas dans une région ou Arabes et Israéliens
se disputent non seulement la plus petite parcelle de terre mais aussi
le moindre signe de légitimité de leurs droits.
Car les Israéliens contestent la thèse jordanienne. Pour eu,x c’est sur
la rive ouest du Jourdain qu’ils occupent, au lieu dit Qasr Al-Yahud,
c’est-à-dire le château des Juifs, que Jésus a été baptisé. À l’appui de
leur thèse, une certaine logique : le Christ venait de Nazareth, donc
de la rive ouest de la rivière qui coule du nord au sud. Alors, pourquoi
l’aurait-il traversée pour rejoindre Jean-Baptiste ? Une thèse qui a
été confortée par la sagesse populaire et des siècles de pèlerinage
puisque c’est de ce côté-ci du Jourdain que viennent se recueillir la
majorité des touristes et des fidèles désireux d’aller visiter le lieu
du baptême de Jésus. Rien que l’année dernière, 430 000 visiteurs sont
venus à Qasr Al-Yahud, contre 90 000 à Béthanie. La manne générée par ce
tourisme n’est d’ailleurs pas pour rien dans cette querelle de sites
entre Israël et la Jordanie.
Le pape, lui, a tranché. Comme d’ailleurs ses deux prédécesseurs qui, au
grand dam des Israéliens, étaient venus prier à Béthanie et non à Qasr
Al-Yahud. La raison officielle donnée par le Vatican est que de récentes
découvertes archéologiques, dans les années 1990, ont permis de
découvrir les vestiges d’une église datant du Ve siècle et dont les
proportions permettent de conforter le fait qu’elle est bien celle
décrite dans les récits des premiers pèlerins chrétiens venus se
recueillir sur les lieux du baptême.
Mais la véritable raison n’est-elle pas politique ? Certes, un
pèlerinage en Terre sainte implique pour un pape de ménager la
susceptibilité israélienne comme la conscience arabe. Mais l’occupation
dans des conditions de plus en plus pérennes et humiliantes pour les
populations palestiniennes qui y habitent de territoires dont les
Nations unies ne manquent jamais de rappeler qu’elle est indue ne peut
pas être considérée par le Vatican comme une situation acceptable. En
cette période où les interminables négociations entre Israéliens et
Palestiniens sont une fois de plus au point mort, les gestes
symboliques, a fortiori ceux du pape François, prennent encore plus
d’importance. Une raison de plus de privilégier la rive est jordanienne
et non les territoires occupés de l’ouest du Jourdain.
(23-05-2014 - Par Michel Colomès)
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