Islamistes, ils soutiennent pourtant Abdel Fattah al-Sissi, le
militaire qui a destitué Mohamed Morsi et réprime durement ses Frères
musulmans : les salafistes du parti Al-Nour tentent de survivre sur la
scène politique égyptienne, quitte à perdre leur âme et des partisans.
La présidentielle des 26 et 27 mai est jouée d’avance pour les experts.
Seul à oser défier l’archi-favori, le leader de la gauche Hamdeen
Sabbahi fait pâle figure face au maréchal Sissi, qui était chef de
l’armée lorsqu’il a annoncé le 3 juillet la destitution de M. Morsi,
premier président élu démocratiquement en Egypte.
A ses côtés à la télévision ce soir-là se tenait un dirigeant d’Al-Nour,
un parti fondé après la révolte qui a chassé Hosni Moubarak du pouvoir
et arrivé en deuxième position - derrière les Frères musulmans - lors
des élections législatives qui ont suivi.
Al-Nour est ainsi parvenu à sauver sa place sur la scène politique : il a
pu siéger au sein de la commission qui a remanié la Constitution
adoptée sous la présidence islamiste et se prépare désormais à
participer aux législatives prévues après la présidentielle.
Début mai, après de longues heures de débat, les responsables d’Al-Nour
ont annoncé leur soutien officiel à M. Sissi, qui dirige de facto le
gouvernement intérimaire.
Selon son porte-parole Nader Bakkar, Al-Nour a estimé que le maréchal à
la retraite était le plus à même de ramener la "stabilité", de
"redresser l’économie" et de combattre le "terrorisme" dans un pays
secoué depuis dix mois par des attentats quasi-quotidiens, attribués par
les autorités aux Frères musulmans mais revendiqués par des groupes
jihadistes.
En apportant une caution islamiste à des autorités qui répriment dans le
sang les Frères musulmans, Al-Nour se situe dans la droite ligne de ce
qu’Omar Ashour, spécialiste de ces mouvements, appelle "le salafisme
autoritaire".
"Ce courant appelle à soutenir le pouvoir en place, qu’il soit
oppresseur ou démocratique car, selon lui, la seule autre alternative,
c’est le chaos", explique-t-il à l’AFP.
"Nous avons une vision sur le long terme", affirme M. Bakkar à l’AFP.
"Nous voulons l’application de la charia (loi islamique) mais pas d’un
Etat dans l’Etat", comme a essayé de le faire, selon lui, M. Morsi en
accaparant les pouvoirs au profit de sa confrérie.
C’était là le principal reproche des millions de manifestants qui ont
réclamé son éviction fin juin 2013 avant de l’obtenir de la main de
l’armée. "Nous voulons un système parlementaire, pas un président qui
accapare tous les pouvoirs", assure le porte-parole d’Al-Nour.
Mais en soutenant un pouvoir dont soldats et policiers ont tué plus de
1.400 manifestants islamistes depuis le 3 juillet - en majorité des
pro-Morsi mais aussi des salafistes - et en ont arrêté plus de 15.000
autres, Al-Nour s’est aliéné une partie de son électorat.
Mohammed, directeur d’une pharmacie de 37 ans, fait partie de ces déçus.
Pour lui, Al-Nour a oublié "la religion au profit de la politique".
M. Ashour estime que le choix d’Al-Nour "relève d’une position
idéologique mais aussi de l’opportunisme" compte tenu la puissance de
l’armée.
Mais pour Mohammed, "ils ont tout simplement peur de vivre ce qui est
arrivé aux Frères musulmans", leurs anciens alliés dont la
quasi-totalité des dirigeants, dont M. Morsi, encourent la peine de mort
dans de multiples procès.
"Beaucoup de mes amis estiment qu’ils sont des traîtres, des
collaborateurs de la Sûreté de l’Etat", affirme Mohammed. De nombreux
membres d’Al-Nour qu’il connaissait ont quitté le parti.
"Contrairement aux Frères musulmans qui sont comparables à une
organisation militaire où personne ne peut s’écarter de l’idéologie, le
courant salafiste est riche et Al-Nour ne représente pas tous les
salafistes", rétorque M. Bakkar, assurant que les chiffres alarmistes
des défections ne sont que "propagande, exagération des médias".
Les salafistes, conservateurs sur les questions de moeurs ou de société
mais relativement libéraux sur le plan économique, sont depuis toujours
divisés à propos des élections : certains les rejettent, d’autres comme
Al-Nour font le choix de s’y engager.
Mohammed, lui, boycottera la présidentielle. "Qui me garantit qu’il n’y
aura pas un nouveau coup d’Etat" si le candidat élu ne convient plus aux
militaires ?
(17-05-2014)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire