La principale artère de Tartous est recouverte de posters de jeunes
"martyrs". Bien que largement épargnée par les combats, cette province a
payé un lourd tribut à la guerre civile, car beaucoup de soldats ou
supplétifs de l’armée en sont originaires.
Le mur de la station centrale de bus est tapissé de photos des victimes,
posant la mine grave, en treillis et kalachnikov, avec en arrière-plan
des parachutes, Assad père et fils, le drapeau syrien ou même parfois le
Christ.
L’un d’eux imite Rambo, cartouchière enroulée autour du torse nu et arborant un fusil mitrailleur imposant.
De nombreux magasins affichent en devanture des posters grand format de
jeunes légendées "Gloire au héros" untel. Des deux côtés de la "place
des martyrs", des panneaux mentionnent le nom des hommes en armes tombés
contre le "terrorisme", un terme utilisé par le régime pour désigner la
rébellion. En trois ans, la guerre civile a fait au moins 162 000
morts.
"Tartous a été surnommée la capitale des martyrs car c’est la province
qui proportionnellement compte le plus haut ratio de victimes dans
l’armée et dans la (milice) des Force de défense nationale (FDN) :
4200, auxquels s’ajoutent 2000 blessés et 2000 disparus. Il n’y a pas
un quartier, un village qui n’ait son lot de victimes", explique à
l’AFP Nizar Mussa, le gouverneur de la province, qui compte 900.000
habitants.
Le directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), Rami
Abdel Rahman, donne des chiffres bien plus impressionnants. "Sur
60 000 morts dans les rangs des forces du régime, la moitié sont
originaires de Tartous".
"Les frontières de Tartous ne sont pas les limites de la province, mais
celles de la Syrie", affirme Ahmad Khaddur Abu Hadi, qui vient
d’enterrer son frère Hassan, 40 ans, membre des FDN tué aux confins de
la Syrie et de la Turquie.
"Les gens de Tartous se battent dans les provinces de Lattaquié (ouest),
d’Alep (nord) ou de Qalamoun (nord de Damas). Ils vont partout et
tombent en martyrs pour la défense de la Nation", ajoute-t-il aux côtés
de sa belle-soeur en pleurs.
Selon le gouverneur Nizar Mussa, chaque jour plus d’une dizaine
d’ambulances viennent chercher des dépouilles à l’aéroport de Lattaquié
qui dessert l’ouest du pays, tenu par le régime.
"Le littoral et la communauté alaouite (à laquelle appartient le
président Bashar al-Assad) sont le réservoir humain du régime. Celui-ci a
profité du discours confessionnel de certains groupes islamistes qui
disent combattre les noussaïris (terme péjoratif pour désigner les
alaouites), pour favoriser l’enrôlement des alaouites", affirme le chef
de l’OSDH.
"Ils combattent jusqu’au bout, persuadés que c’est soit Bashar, soit la fin des alaouites", ajoute-t-il.
Au cimetière de Tartous, un carré comprend plus d’une centaine de tombes
sur lesquelles sont plantés le drapeau syrien et une photo de la
victime, et dans un deuxième, figurent de simples numéros pour les
victimes non-identifiées. Les sépultures sont recouvertes de fleurs.
Pour le gouverneur, ce recrutement local massif s’explique par des
raisons économiques et idéologiques. "La région est pauvre. Il n’y a pas
assez de terrains agricoles, pas d’usines et peu de secteur tertiaire.
Beaucoup se sont donc enrôlés dans l’armée".
"Mais il ne faut pas oublier que c’est la seule province où
l’illettrisme a disparu. Les gens, qui savent lire et écrire, ont
compris l’ampleur du complot contre leur pays et veulent l’empêcher",
ajoute-t-il.
Un bureau des affaires des martyrs a été créé en 2013 dans chaque
gouvernorat pour aider les familles. "Je reçois une centaine de veuves
et d’orphelins chaque jour et j’essaie de les aider avec les ressources
allouées par l’Etat", assure Mona Ibrahim, chef du bureau, veuve
elle-même d’un général tué en 2011 à Homs.
Selon Fabrice Balanche, géographe français spécialiste de la Syrie, la
province compte environ 80% d’alaouites, 10% de sunnites, 9% de
chrétiens et 1% d’ismaéliens. Les alaouites travaillent à 90% pour
l’Etat -administration et armée.
"Lorsque la crise a commencé, les milices chabbiha ont été créées puis
la FDN pour épauler l’armée. Ensuite on a rappelé les réservistes : tous
les hommes entre 20 et 40 ans dans le pays alaouite sont sous les
drapeaux. Ils répondent à l’appel car défendre le régime, c’est défendre
la communauté", dit-il.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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