samedi 31 mai 2014

Libye : Les Libyens sous la coupe des milices armées

"A aucun moment, nous n’avons pensé que ceux qui ont libéré le pays allaient se transformer en geôliers et priver les gens de leur sécurité". Meftah, comme beaucoup de Tripolitains, voue aux gémonies les milices qui sévissent dans sa ville.
"Les Libyens sont devenus les ennemis d’eux-mêmes", estime Meftah, 50 ans, qui à l’instar de beaucoup de ses compatriotes s’inquiètent de voir que leur révolte contre l’une des plus longues dictatures dans le monde, devient un enjeu au mains de groupes armés.
"Comment ose-t-on affirmer être libérateur alors qu’on maintient le peuple en otage", se révolte cet enseignant qui se livre à une partie de pêche près d’un vieux port de la capitale. Il fait allusion a ces milliers des ex-rebelles, auréolés par leur combat contre le régime de Mouammar Kadhafi, qui ont transformé les grandes villes de Libye en camps retranchés pour les milices.
Criminalité, enlèvements, braquages, chantage et règlements de compte, pour Meftah qui veut taire son nom, "Tripoli perd son âme et devient intolérante, cette ville qui a si longtemps été sure et dont les rues ne désemplissaient pas".
"Les gens ont peur aujourd’hui de sortir le soir et nos enfants sont angoissés par les tirs et explosions nocturnes", se plaint cet homme. "Pour moi, le bord de mer est le meilleur endroit pour fuir" le stress, dit timidement son fils qui joue près de lui.
Après l’euphorie de la "libération", ayant mis fin en octobre 2011 à 40 ans de dictature, les Libyens se sont retrouvés plongés dans une transition chaotique, sous la coupe d’innombrables milices armées ayant puisé dans l’arsenal militaire du régime déchu.
Trois ans après la chute du régime Kadhafi, et face à l’impuissance des autorités qui n’onttoujours pas réussi à mettre en place une police ou une armée disciplinées, les puissantes milices font la loi et la société civile s’active pour mobiliser la population.
"Nous avons organisé une série de mouvements de protestation contre les milices et ces actions ont quelque peu porté leurs fruits", explique à l’AFP le militant de la société civile Iyad ben Omar.
"Il y a quelques mois, une grève générale avait même été organisée et les Tripolitains mobilisés, pour chasser les miliciens de leur ville", raconte-t-il. "Pour rassurer la population, ces milices ont fait semblant de quitter la ville mais en fait la plupart d’entre elles se sont redéployées sur d’autres sites", déplore-t-il toutefois.
Dans un rapport en janvier 2014, Human Rights Watch a estimé que le gouvernement libyen disposait d’une "capacité limitée à contenir les centaines de milices armées responsables d’abus en dehors de tout contrôle du gouvernement".
"Pendant trop longtemps, le gouvernement a affirmé qu’il est trop dangereux de désarmer les milices - il devrait désormais être clair qu’il est trop dangereux de ne pas le faire", a indiquait HRW dans un autre rapport. Nombre de Libyens disent toutefois ne pas s’inquiéter outre mesure de la présence des miliciens ni de la crise institutionnelle qui a pourtant porté un coup dur à l’économie de ce pays pétrolier.
"Nous sommes un pays à tissu tribal et les tribus parviennent toujours à des compromis pour régler les crises", affirme 0mrane, un vendeur de tissu de Souk al-Jomaa, un grand quartier commercial de Tripoli. "Nos politiciens ont peu d’expérience dans la gestion des crises, ils devraient faire appel aux sages de nos tribus", conseille-t-il.
L’anarchie dans la nouvelle Libye, autrefois pays d’accueil mais aussi de transit des migrants, suscite aussi de plus en plus d’inquiétude au sein des populations immigrées, et plusieurs pays ont recommandé à leurs ressortissants de quitter la Libye.
"Les Libyens deviennent intolérants envers les ressortissants des pays voisins et racistes envers les migrants subsahariens", déplore un employé de café marocain qui a demandé à ne pas être identifié.
"Leurs milices disent vouloir nettoyer le pays, mais qui a construit ce pays sinon les émigrés ?", s’est insurgé ce jeune homme qui travaille depuis plusieurs années en Libye.

(30-05-2014)

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