L’annonce-surprise du chef de l’opposition syrienne en faveur d’un
dialogue avec le régime traduit sa crainte d’un enlisement du conflit,
faute d’une action ferme des Occidentaux, inquiets du rôle croissant des
islamistes au sein de la rébellion, selon des analystes. Mais cette
ouverture pourrait, selon les experts, se heurter à un régime qui campe
sur ses positions et n’acceptera pas les conditions d’Ahmed Moaz
al-Khatib et à une partie de l’opposition déterminée à n’ouvrir les
négociations qu’une fois le président Bachar el-Assad chassé du pouvoir.
"Ces derniers temps, Ahmed Moaz al-Khatib s’est montré extrêmement déçu
par l’attitude des États qui prétendent soutenir l’opposition", affirme
Thomas Pierret, maître de conférences à l’université d’Édimbourg en
Écosse. De plus, note l’expert, "ni la Coalition de l’opposition ni le
commandement unifié de l’Armée syrienne libre (ASL, rebelles) n’ont reçu
l’appui qui leur avait été promis et le chef de la Coalition va jusqu’à
parler d’un embargo". "Dans ces circonstances, M. Khatib estime que le
seul moyen d’alléger les souffrances des Syriens est de négocier",
ajoute l’auteur de Baas et islam en Syrie. "En même temps, comme c’est
un homme de principes, il pose des conditions logiques mais
rédhibitoires pour le régime, si bien que sa démarche est vouée à
l’échec", dit-il encore.
Créant la surprise, Ahmed Moaz al-Khatib a affirmé mercredi qu’"en signe
de bonne volonté" il était "prêt à des discussions directes avec des
représentants du régime syrien au Caire, en Tunisie ou à Istanbul". Le
Conseil national syrien (CNS), principale composante de la Coalition, a
aussitôt rejeté cette idée. Pour le directeur de l’Observatoire syrien
des droits de l’homme (OSDH) Rami Abdel Rahmane, Ahmed Moaz al-Khatib
"est conscient que la Syrie est en train d’être détruite et que la
solution militaire ne peut seule conduire à la liberté. Il constate
aussi que la communauté internationale a fait des promesses jamais
tenues".
Rami Abdel Rahmane, dont l’ONG s’appuie sur un large réseau de militants
et de médecins à travers le pays, note que l’armée est "toujours du
côté d’Assad et, même si l’ASL a enregistré des succès, la situation est
bloquée sur le terrain à moins qu’un événement majeur ne fasse avancer
les choses". "C’est très facile d’être assis dans un hôtel et de
critiquer Khatib alors que les gens sont tués ou crèvent de faim",
ajoute-t-il à l’adresse des détracteurs du chef de l’opposition.
Pour Volker Perthes, directeur de l’Institut allemand de politique
étrangère et des questions de sécurité basé à Berlin, "l’attitude de
Khatib est tout simplement réaliste". "Si vous voulez arrêter le bain de
sang, vous devez aller vers des transformations politiques qui
intègrent des éléments du régime actuel", ajoute l’auteur de La Syrie
sous Bachar.
Mais Rime Allaf de Chatham House estime que ces déclarations
fracassantes sont le fruit de pressions extérieures pour sortir par une
solution politique d’un conflit qui s’enlise. "Ahmed Moaz al-Khatib est
dans une position très difficile, car les Américains, les Français et
leurs alliés font pression sur l’opposition en leur disant qu’ils
n’auront rien tant qu’ils n’auront pas prouvé qu’ils sont capables de
contrôler les islamistes", dit-elle. Pour cette chercheuse,
"aujourd’hui, beaucoup de Syriens, qui résistent depuis deux ans, sont
fatigués de la guerre et ne voient pas le bout du tunnel. Ils se disent
que c’est peut-être une petite fenêtre qui s’ouvre". Les Occidentaux,
qui n’envisagent aucune intervention militaire, insistent donc désormais
sur une solution purement politique. "Ils s’appuient sur ce sentiment
de lassitude au sein de la population pour tenter d’isoler les
islamistes qui sont des jusqu’au-boutistes", notamment sur la question
militaire, dit-elle. "Mais cela ne marchera pas, car les rebelles
refuseront aussi cette solution. Ils diront : ’Dites-nous pourquoi nous
nous sommes battus depuis un an et demi."
(31 janvier 2013 - Assawra)
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