jeudi 31 janvier 2013

Syrie : Pourquoi le chef de l’opposition veut négocier ? (Assawra)

L’annonce-surprise du chef de l’opposition syrienne en faveur d’un dialogue avec le régime traduit sa crainte d’un enlisement du conflit, faute d’une action ferme des Occidentaux, inquiets du rôle croissant des islamistes au sein de la rébellion, selon des analystes. Mais cette ouverture pourrait, selon les experts, se heurter à un régime qui campe sur ses positions et n’acceptera pas les conditions d’Ahmed Moaz al-Khatib et à une partie de l’opposition déterminée à n’ouvrir les négociations qu’une fois le président Bachar el-Assad chassé du pouvoir.
"Ces derniers temps, Ahmed Moaz al-Khatib s’est montré extrêmement déçu par l’attitude des États qui prétendent soutenir l’opposition", affirme Thomas Pierret, maître de conférences à l’université d’Édimbourg en Écosse. De plus, note l’expert, "ni la Coalition de l’opposition ni le commandement unifié de l’Armée syrienne libre (ASL, rebelles) n’ont reçu l’appui qui leur avait été promis et le chef de la Coalition va jusqu’à parler d’un embargo". "Dans ces circonstances, M. Khatib estime que le seul moyen d’alléger les souffrances des Syriens est de négocier", ajoute l’auteur de Baas et islam en Syrie. "En même temps, comme c’est un homme de principes, il pose des conditions logiques mais rédhibitoires pour le régime, si bien que sa démarche est vouée à l’échec", dit-il encore.
Créant la surprise, Ahmed Moaz al-Khatib a affirmé mercredi qu’"en signe de bonne volonté" il était "prêt à des discussions directes avec des représentants du régime syrien au Caire, en Tunisie ou à Istanbul". Le Conseil national syrien (CNS), principale composante de la Coalition, a aussitôt rejeté cette idée. Pour le directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) Rami Abdel Rahmane, Ahmed Moaz al-Khatib "est conscient que la Syrie est en train d’être détruite et que la solution militaire ne peut seule conduire à la liberté. Il constate aussi que la communauté internationale a fait des promesses jamais tenues".
Rami Abdel Rahmane, dont l’ONG s’appuie sur un large réseau de militants et de médecins à travers le pays, note que l’armée est "toujours du côté d’Assad et, même si l’ASL a enregistré des succès, la situation est bloquée sur le terrain à moins qu’un événement majeur ne fasse avancer les choses". "C’est très facile d’être assis dans un hôtel et de critiquer Khatib alors que les gens sont tués ou crèvent de faim", ajoute-t-il à l’adresse des détracteurs du chef de l’opposition.
Pour Volker Perthes, directeur de l’Institut allemand de politique étrangère et des questions de sécurité basé à Berlin, "l’attitude de Khatib est tout simplement réaliste". "Si vous voulez arrêter le bain de sang, vous devez aller vers des transformations politiques qui intègrent des éléments du régime actuel", ajoute l’auteur de La Syrie sous Bachar.
Mais Rime Allaf de Chatham House estime que ces déclarations fracassantes sont le fruit de pressions extérieures pour sortir par une solution politique d’un conflit qui s’enlise. "Ahmed Moaz al-Khatib est dans une position très difficile, car les Américains, les Français et leurs alliés font pression sur l’opposition en leur disant qu’ils n’auront rien tant qu’ils n’auront pas prouvé qu’ils sont capables de contrôler les islamistes", dit-elle. Pour cette chercheuse, "aujourd’hui, beaucoup de Syriens, qui résistent depuis deux ans, sont fatigués de la guerre et ne voient pas le bout du tunnel. Ils se disent que c’est peut-être une petite fenêtre qui s’ouvre". Les Occidentaux, qui n’envisagent aucune intervention militaire, insistent donc désormais sur une solution purement politique. "Ils s’appuient sur ce sentiment de lassitude au sein de la population pour tenter d’isoler les islamistes qui sont des jusqu’au-boutistes", notamment sur la question militaire, dit-elle. "Mais cela ne marchera pas, car les rebelles refuseront aussi cette solution. Ils diront : ’Dites-nous pourquoi nous nous sommes battus depuis un an et demi."

(31 janvier 2013 - Assawra)

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