L’intervention française au Mali ne doit pas éclipser le drame qui se
joue toujours à huis clos en Syrie. Outre les quelque 60 000 morts
enregistrés depuis mars 2011, auxquels il est raisonnable d’ajouter
chaque jour de 100 à 150 victimes, un autre chiffre témoigne de la
détresse dans laquelle est plongé le peuple syrien : 400 000, soit le
nombre de blessés de guerre depuis 21 mois. "Ce nombre comprend aussi
bien des amputés et des paralysés de guerre que des populations
totalement démunies face à des maladies chroniques", explique le médecin
franco-syrien Oubaida al-Moufti, porte-parole de l’Union des
organisations syriennes de secours médicaux (UOSSM). "Hépatite,
tuberculose, choléra, problème de dialyse ou de pression artérielle, des
milliers de Syriens meurent aujourd’hui par manque de soins et de
médicaments", assure le médecin.
Si l’ONG contribue à aider les 650 000 réfugiés dispersés dans des camps
aux frontières de la Syrie (Liban, Turquie, Jordanie), l’UOSSM est
l’une des seules organisations médicales travaillant à l’intérieur du
pays. Regroupant des centaines de médecins syriens à travers le monde
entier, l’UOSSM a pu établir plus de 65 hôpitaux de campagne sur le
territoire syrien. Le fleuron de ces établissements demeure sans nul
doute l’hôpital de Bab al-Hawa, ouvert le 4 janvier dernier dans le nord
du pays, qui comprend un service chirurgical spécialisé avec 46 lits
ainsi que 4 salles d’opération et une unité de soins intensifs.
Pour le reste, les comités médicaux, qui travaillent jour et nuit sur le
terrain, se contentent d’établissements de fortune, improvisés dans des
maisons clandestines. Ceux-ci ont tout de même permis de traiter des
milliers de Syriens. "75 % de civils, 20 % de combattants de l’Armée
syrienne libre et 5 % de soldats du régime", précise le docteur Oubaida
al-Moufti. Mais au pays de Bachar el-Assad, ce courage se paie très
cher.
D’après l’UOSSM, pas moins de 15 hôpitaux de fortune ont été
délibérément bombardés par les forces gouvernementales syriennes. En
parallèle, la destruction depuis août dernier de la ville d’Alep, qui
renfermait 70 % des usines de fabrication de médicaments du pays, a
engendré une véritable pénurie. "Nous sommes tout de même dans le seul
conflit de l’histoire de l’humanité où il est interdit de prodiguer des
soins", s’insurge le docteur al-Moufti. Ce dernier relève également de
nombreux cas de blessés arrivant à l’hôpital pour y être traités avant
d’être retrouvés deux jours plus tard avec une balle dans la tête.
"Parce qu’ils étaient considérés comme des terroristes", précise-t-il.
Estimant que le régime syrien punit de la sorte les régions rebelles
pour leur infidélité, l’ONG refuse catégoriquement de discuter avec lui.
L’UOSSM se défend pourtant d’être proche de l’opposition. "Nous sommes
une organisation apolitique", affirme le médecin porte-parole. "Nous
avons déjà été approchés par le Conseil national syrien pour être son
bras médical, mais nous avons refusé. Notre seule demande est la fin des
hostilités et la possibilité de travailler librement."
Fondée à Paris, et possédant des bureaux au Liban et en Turquie, l’ONG
est aujourd’hui à la recherche désespérée de fonds pour pallier les
"besoins énormes" sur le terrain. Il lui faut, par exemple, quelque 50
000 euros pour créer un hôpital de fortune, 10 000 euros pour un point
médical avancé ou encore 1 000 euros pour une mallette médicale
d’urgence. Où trouve-t-elle le peu d’argent dont elle dispose ? "Nous
recevons des sommes de la part de donateurs privés lors de soirées
caritatives", explique le docteur Anas Chaker, autre médecin
franco-syrien de l’UOSSM. "Mais seuls les Syriens semblent concernés par
la situation actuelle", regrette-t-il.
Si l’Arabie saoudite et le Qatar sont aux avant-postes pour armer
l’opposition syrienne, ils rechignent en revanche à apporter le moindre
financement humanitaire à l’UOSSM. L’organisation leur en a pourtant
fait la demande en décembre dernier, lors de la conférence des Amis du
peuple syrien à Marrakech. Au contraire, la France a été le premier pays
à aider l’ONG en lui versant dès le départ 600 000 euros.
"Nous allons nous employer, lors de la réunion internationale autour de
la Coalition nationale syrienne de ce lundi et celle des pays donateurs
qu’accueille mardi le Koweït, de faire prendre conscience à ces pays
(arabes, NDLR) de la nécessité impérative de contribuer", affirme une
source diplomatique française. La rencontre de mardi suit l’annonce, en
décembre dernier, par le Bureau des Nations unies pour la coordination
des affaires humanitaires (BCAH) d’une levée de fonds de quelque 519
millions de dollars pour les Syriens de l’intérieur, une somme qui doit
venir s’ajouter au milliard de dollars prévu pour les réfugiés syriens.
Or, d’après l’UOSSM, cette aide ira directement aux mains du régime de
Bachar el-Assad. "90 % de l’aide donnée par l’Organisation mondiale de
la santé et la Croix-Rouge n’arrive pas aux régions qui en ont besoin",
assure le docteur Anas Chaker. Farhan Haq, porte-parole du secrétaire
général des Nations unies Ban Ki-moon, rejette toute allégation d’un
versement d’argent au gouvernement syrien. "Nous nous assurerons que cet
argent arrive aux personnes qui en ont besoin, peu importe leur camp.
Nous nous appuyons sur le terrain sur des ONG fiables en qui nous avons
confiance, telles que le Croissant-Rouge ou Médecins sans frontières",
précise le porte-parole.
"Le Croissant-Rouge syrien (seule ONG disposant d’un bureau à Damas,
NDLR) n’est pas une organisation indépendante, mais sous les ordres de
Damas, renchérit le docteur Oubaida al-Moufti. Un régime dont les avions
bombardent des populations au quotidien."
(29 janvier 2013 - Armin Arefi)
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