mardi 29 janvier 2013

Syrie : Le drame syrien ne fait pas recette (Armin Arefi)

L’intervention française au Mali ne doit pas éclipser le drame qui se joue toujours à huis clos en Syrie. Outre les quelque 60 000 morts enregistrés depuis mars 2011, auxquels il est raisonnable d’ajouter chaque jour de 100 à 150 victimes, un autre chiffre témoigne de la détresse dans laquelle est plongé le peuple syrien : 400 000, soit le nombre de blessés de guerre depuis 21 mois. "Ce nombre comprend aussi bien des amputés et des paralysés de guerre que des populations totalement démunies face à des maladies chroniques", explique le médecin franco-syrien Oubaida al-Moufti, porte-parole de l’Union des organisations syriennes de secours médicaux (UOSSM). "Hépatite, tuberculose, choléra, problème de dialyse ou de pression artérielle, des milliers de Syriens meurent aujourd’hui par manque de soins et de médicaments", assure le médecin.
Si l’ONG contribue à aider les 650 000 réfugiés dispersés dans des camps aux frontières de la Syrie (Liban, Turquie, Jordanie), l’UOSSM est l’une des seules organisations médicales travaillant à l’intérieur du pays. Regroupant des centaines de médecins syriens à travers le monde entier, l’UOSSM a pu établir plus de 65 hôpitaux de campagne sur le territoire syrien. Le fleuron de ces établissements demeure sans nul doute l’hôpital de Bab al-Hawa, ouvert le 4 janvier dernier dans le nord du pays, qui comprend un service chirurgical spécialisé avec 46 lits ainsi que 4 salles d’opération et une unité de soins intensifs.
Pour le reste, les comités médicaux, qui travaillent jour et nuit sur le terrain, se contentent d’établissements de fortune, improvisés dans des maisons clandestines. Ceux-ci ont tout de même permis de traiter des milliers de Syriens. "75 % de civils, 20 % de combattants de l’Armée syrienne libre et 5 % de soldats du régime", précise le docteur Oubaida al-Moufti. Mais au pays de Bachar el-Assad, ce courage se paie très cher.
D’après l’UOSSM, pas moins de 15 hôpitaux de fortune ont été délibérément bombardés par les forces gouvernementales syriennes. En parallèle, la destruction depuis août dernier de la ville d’Alep, qui renfermait 70 % des usines de fabrication de médicaments du pays, a engendré une véritable pénurie. "Nous sommes tout de même dans le seul conflit de l’histoire de l’humanité où il est interdit de prodiguer des soins", s’insurge le docteur al-Moufti. Ce dernier relève également de nombreux cas de blessés arrivant à l’hôpital pour y être traités avant d’être retrouvés deux jours plus tard avec une balle dans la tête. "Parce qu’ils étaient considérés comme des terroristes", précise-t-il.
Estimant que le régime syrien punit de la sorte les régions rebelles pour leur infidélité, l’ONG refuse catégoriquement de discuter avec lui. L’UOSSM se défend pourtant d’être proche de l’opposition. "Nous sommes une organisation apolitique", affirme le médecin porte-parole. "Nous avons déjà été approchés par le Conseil national syrien pour être son bras médical, mais nous avons refusé. Notre seule demande est la fin des hostilités et la possibilité de travailler librement."
Fondée à Paris, et possédant des bureaux au Liban et en Turquie, l’ONG est aujourd’hui à la recherche désespérée de fonds pour pallier les "besoins énormes" sur le terrain. Il lui faut, par exemple, quelque 50 000 euros pour créer un hôpital de fortune, 10 000 euros pour un point médical avancé ou encore 1 000 euros pour une mallette médicale d’urgence. Où trouve-t-elle le peu d’argent dont elle dispose ? "Nous recevons des sommes de la part de donateurs privés lors de soirées caritatives", explique le docteur Anas Chaker, autre médecin franco-syrien de l’UOSSM. "Mais seuls les Syriens semblent concernés par la situation actuelle", regrette-t-il.
Si l’Arabie saoudite et le Qatar sont aux avant-postes pour armer l’opposition syrienne, ils rechignent en revanche à apporter le moindre financement humanitaire à l’UOSSM. L’organisation leur en a pourtant fait la demande en décembre dernier, lors de la conférence des Amis du peuple syrien à Marrakech. Au contraire, la France a été le premier pays à aider l’ONG en lui versant dès le départ 600 000 euros.
"Nous allons nous employer, lors de la réunion internationale autour de la Coalition nationale syrienne de ce lundi et celle des pays donateurs qu’accueille mardi le Koweït, de faire prendre conscience à ces pays (arabes, NDLR) de la nécessité impérative de contribuer", affirme une source diplomatique française. La rencontre de mardi suit l’annonce, en décembre dernier, par le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (BCAH) d’une levée de fonds de quelque 519 millions de dollars pour les Syriens de l’intérieur, une somme qui doit venir s’ajouter au milliard de dollars prévu pour les réfugiés syriens.
Or, d’après l’UOSSM, cette aide ira directement aux mains du régime de Bachar el-Assad. "90 % de l’aide donnée par l’Organisation mondiale de la santé et la Croix-Rouge n’arrive pas aux régions qui en ont besoin", assure le docteur Anas Chaker. Farhan Haq, porte-parole du secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon, rejette toute allégation d’un versement d’argent au gouvernement syrien. "Nous nous assurerons que cet argent arrive aux personnes qui en ont besoin, peu importe leur camp. Nous nous appuyons sur le terrain sur des ONG fiables en qui nous avons confiance, telles que le Croissant-Rouge ou Médecins sans frontières", précise le porte-parole.
"Le Croissant-Rouge syrien (seule ONG disposant d’un bureau à Damas, NDLR) n’est pas une organisation indépendante, mais sous les ordres de Damas, renchérit le docteur Oubaida al-Moufti. Un régime dont les avions bombardent des populations au quotidien."

(29 janvier 2013 - Armin Arefi)

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