Un chasseur israélien F15 effectue un exercice acrobatique lors d’une
cérémonie de remise de diplômes dans la base de Hatzerim, en décembre
2012. (© Ariel Schalit / Sipa )
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Le silence des dirigeants israéliens était assourdissant, jeudi
matin, alors que les plus grands journaux du pays titraient sur les
informations, en provenance de l’étranger, faisant état d’une frappe
aérienne israélienne, mardi soir, en territoire syrien. Ainsi, lorsqu’il
a été interrogé par la radio publique jeudi matin, le ministre
israélien des Finances Youval Steinitz, membre du cabinet de sécurité,
s’est borné à affirmer qu’il se tenait au courant "par les médias".
"Autrement dit : pas de commentaire", a-t-il ajouté.
Le responsable a pris soin de ne pas démentir. Et pour cause, telle est
la consigne officielle au lendemain de chaque attaque surprise menée par
l’État hébreu à l’étranger. En 2007, ce même silence était de mise
après l’attaque aérienne, attribuée à Israël, contre un réacteur
nucléaire construit par la Corée du Nord dans le nord de la Syrie. Même
scénario fin octobre 2012, après que Tsahal a bombardé une usine
militaire au Soudan, qu’elle soupçonnait de renfermer des armes de
contrebande à destination de Gaza. Une exception notable cependant lors
de l’opération "Pilier de défense" contre le Hamas, en novembre de la
même année. À cette occasion, l’armée israélienne twittait à tout-va la
liste de ses frappes contre les groupes islamistes de l’enclave
palestinienne.
"C’est la censure militaire qui n’autorise pas la publication
d’informations par la presse israélienne", explique Ely Karmon,
chercheur en problématique stratégique et en contre-terrorisme au Centre
interdisciplinaire d’Herzliya (Israël)."Cette stratégie n’a rien
d’étonnant, ajoute-t-il. Il est important pour Israël de ne pas
envenimer la situation en provoquant une mini-guerre." Cette fois, c’est
de Damas qu’est venue l’alerte.
L’armée syrienne a indiqué mercredi soir qu’un "avion de combat
israélien a violé (notre) espace aérien à l’aube et a directement
bombardé un centre de recherche sur l’amélioration de la résistance et
l’auto-défense dans la région de Jomrayah dans la province de Damas",
selon un communiqué publié par l’agence officielle Sana. Les Forces
syriennes font état de deux employés tués et de cinq blessés dans ce
centre, qui a subi "d’importants dégâts", et dont le "bâtiment a été
partiellement détruit".
Cette attaque prouve "désormais à tous qu’Israël est le moteur, le
bénéficiaire et parfois l’acteur des actes terroristes visant la Syrie
et son peuple résistant, en coordination avec les pays soutenant le
terrorisme, dirigés par la Turquie et le Qatar", poursuit l’armée. Le
communiqué explique en outre que "les avions de combat israéliens ont
pénétré (en Syrie) en volant en-dessous de la hauteur détectée par les
radars". L’information d’une attaque en Syrie a été confirmée peu après
par le New York Times.
Citant des responsables américains, le quotidien affirme que la cible
n’était autre qu’un convoi transportant des armes sophistiquées dans la
banlieue de Damas. Son destinataire : le Hezbollah libanais. D’après
d’autres officiels américains, cités par Associated Press, la cargaison
comportait des missiles antiaériens russes de type SA-17. Des armes qui,
aux mains du mouvement islamiste chiite libanais, pourraient "changer
la donne" stratégiquement dans le conflit qui l’oppose à Israël. "Des
missiles de longue et moyenne portée pourraient hypothéquer la maîtrise
du ciel libanais par Tsahal, ce que ne peut se permettre l’État hébreu",
explique David Rigoulet-Roze, chercheur à l’Institut français d’analyse
stratégique (Ifas).
Ainsi, ce spécialiste estime que l’attaque israélienne en Syrie "n’a
rien d’étonnant". "L’État hébreu a annoncé à plusieurs reprises en 2012
qu’il n’hésiterait pas à intervenir au moindre doute d’un transfert
d’armes chimiques, mais aussi conventionnelles de haute technologie,
vers le Liban", rappelle David Rigoulet-Roze. "Le centre de recherche
évoqué par Damas est depuis longtemps dans le collimateur des
Israéliens, qui le soupçonnent de servir au développement d’armes de
destruction massive à destination du Hezbollah", ajoute le spécialiste.
Ainsi, l’attaque israélienne était attendue, comme le suggère la visite
récente de deux émissaires israéliens à Washington et à Moscou. Le chef
du renseignement militaire, le général Aviv Kochavi, se trouve
actuellement aux États-Unis où il a notamment rencontré le plus haut
gradé américain, le général Martin Dempsey. De son côté, le chef du
Conseil de sécurité nationale d’Israël, Yaakov Amidror, s’est rendu
lundi en Russie pour convaincre le Kremlin d’empêcher que les armes
chimiques syriennes ne se retrouvent entre les mains de groupes
rebelles.
La semaine dernière, le cabinet de sécurité israélien, composé des neuf
principaux ministres du pays, ainsi que des chefs de l’armée et des
renseignements, s’est réuni à deux reprises mercredi et dimanche, pour
discuter d’une attaque préventive en Syrie. "Pour Israël, la ligne rouge
a été franchie", souligne David Rigoulet-Roze. "Si le risque de voir
des rebelles syriens se doter d’armes chimiques est pris très au
sérieux, les Israéliens jugent plus immédiate la menace liée au risque
que le Hezbollah, leur ennemi déclaré, mette la main sur des armes
sophistiquées."
Réagissant à son tour à l’attaque israélienne, le Parti de Dieu a estimé
jeudi qu’Israël venait de montrer au grand jour les origines de la
crise syrienne, à savoir "les objectifs criminels israéliens visant à
détruire la Syrie et son armée". Le Hezbollah en a profité pour rappeler
son "entière solidarité avec la Syrie, sa direction, son armée et son
peuple". Pour l’allié de Damas, qui partage le pouvoir à Beyrouth, cette
attaque démontre la volonté d’Israël d’empêcher "les forces arabes et
musulmanes de renforcer leurs capacités militaires et technologiques".
Une riposte militaire est-elle envisageable ? Non, selon le chercheur
israélien Ely Karmon. "Le calcul des Israéliens est que ni Damas ni le
Hezbollah n’ont intérêt à des représailles." "Le régime de Bachar
el-Assad, ébranlé de l’intérieur, n’est pas en mesure de répliquer de
façon efficace, d’autant plus que l’ouverture d’un front avec Israël
affaiblirait ses positions face aux rebelles. Quant au Hezbollah, il
voit dans la situation délicate du régime syrien une des dernières
occasions de mettre la main sur ses armes pour se renforcer dans le
cadre libanais."
Toute décision du mouvement chiite, en tout cas sur la scène régionale,
semble aujourd’hui suspendue au bon vouloir de son mentor iranien.
Justement, le conseiller du Guide suprême iranien, Ali Akbar Velayati, a
déclaré samedi que "le maintien au pouvoir du président Assad était la
ligne rouge de l’Iran", et que la République islamique le soutiendrait
"jusqu’au bout", pour le maintien de la "position de la Résistance, face
aux menaces du régime sioniste". Pour parer à toute attaque, l’État
hébreu a d’ores et déjà déployé deux batteries antimissiles Iron Dome
près de la frontière libanaise.
(31 janvier 2013 - Armin Arefi)
(*) David Rigoulet-Roze, auteur de L’Iran pluriel (éditions
L’Harmattan) et de Géopolitique de l’Arabie saoudite (éditions Armand
Colin).
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