lundi 28 janvier 2013

Égypte : L’Égypte sombre de nouveau dans la violence (Samuel Forey)

Le discours de Mohamed Morsi, lundi soir, a réveillé de mauvais souvenirs chez les opposants aux islamistes au pouvoir. Il rétablit l’état d’urgence dans trois villes, le long du canal de Suez, et menace de faire plus si l’ordre ne revient pas. Avait-il le choix ? Ces trois villes sont en ébullition. L’Égypte, au bord de la ruine, ne peut pas perdre le canal, l’une de ses principales rentes, sa troisième ressource de devises, 4 milliards de dollars par an.
Mais pour les Égyptiens, état d’urgence rime avec dictature. Dans le quartier populaire de Sayyeda Zeinab, au Caire, environ 2 000 personnes défilent. "À bas le gouvernement du guide suprême !" crie-t-on en référence à l’organisation des Frères musulmans et de leur chef, Mohamed Badie. "On aurait dû s’y attendre, mais depuis que Morsi a instauré l’état d’urgence à Port-Saïd, Ismaïlia et Suez, c’est clair, c’est lui le nouveau dictateur", affirme Abdou, un jeune manifestant - la moyenne d’âge du défilé ne doit pas dépasser 20 ans.
Les manifestations ne sont pas courantes ici, et l’ambiance reste joyeuse. Ils soutiennent les villes sous état d’urgence. En chantant, haut-parleurs déployés, tambours battant, les jeunes passent devant l’épicerie de Mohsen, qui se marre franchement : "Eux, ça va, ils sont bien. Ce qui m’inquiète, ce sont les émeutiers. Ça entraîne des répressions, puis d’autres affrontements... Un cercle vicieux." Dimanche soir, une bonne partie du centre-ville du Caire toussait sous l’effet des gaz lacrymogènes, massivement employés par la police.
Depuis le 25 janvier, de nombreuses provinces égyptiennes bouillonnent. Dans le nord et l’est du pays, le long du canal de Suez, à Alexandrie, au Caire : partout des émeutiers s’en prennent aux représentations de l’État, des commissariats, des sièges de gouvernorat, des bureaux des Frères musulmans ou ceux de leur branche politique, le Parti de la liberté et de la justice. Voire aux compagnies d’électricité, comme à Port-Saïd.
Port-Saïd - l’un des drames les plus sordides de la transition politique égyptienne. L’année dernière, à l’issue d’un match de football, les supporteurs de l’équipe-phare du Caire, Al-Ahly, sont massacrés, 74 morts. Les supporteurs de l’équipe de Port-Saïd sont désignés, ainsi que les autorités, coupables d’avoir laissé faire, sinon encouragé, le massacre. Samedi 26 janvier, au lendemain d’un sanglant deuxième anniversaire de la révolution - 7 morts, des centaines de blessés - le verdict tombe. Il est sévère : 21 condamnations à mort, en majorité des jeunes de Port-Saïd.
Ses citoyens accusent le choc, puis répliquent en tentant de s’emparer de la prison. Ça dégénère. Sans qu’on sache qui a tiré le premier, ni l’identité des émeutiers, c’est un nouveau carnage : 31 morts, dont 2 policiers. Dina el-Gamry fait partie de l’association Tahrir Doctors, venue donner un coup de main aux hôpitaux de Port-Saïd. "Une trentaine de morts... C’est énorme. Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu ça. Et ce n’est pas près de s’arrêter", conclut-elle, sombre. Dimanche, les funérailles des morts de la veille sont attaquées dans le centre de Port-Saïd. Là encore, difficile de savoir qui a commencé. Mais il y a 7 morts encore, et des centaines de blessés. Au Caire, le ministre de l’Intérieur se fait renvoyer par ses propres policiers pendant la cérémonie en l’honneur de leurs deux collègues morts à Port-Saïd.
Les habitants de Port-Saïd sentent qu’ils paient pour que les supporters radicaux de l’équipe de foot locale restent calmes. Ces derniers, réputés pour leur talent dans les combats de rue, ont été l’avant-garde des révolutionnaires dans les affrontements il y a deux ans. Ils peuvent mobiliser, rapidement, des milliers de personnes. S’en prendre aux ultras, c’est répandre le chaos au Caire. "On est des boucs émissaires, tout simplement", explique un supporter de l’équipe de Port-Saïd, avant d’ajouter : "Le gouvernement sacrifie une province au profit des 28 autres."
Mais les autres provinces ne se calment pas. Hier, des milices apparentées aux islamistes se sont battues avec des émeutiers à proximité de la place Tahrir. Le Front de salut national, la principale coalition d’opposition, refuse le dialogue national proposé par Morsi, qu’ils apparentent à une mascarade. Le Front appelle à une nouvelle manifestation de masse, le 1er février. Mais les jeunes manifestants de Sayyeda Zeinab n’ont pas attendu jusque-là.

(28 janvier 2013 - Samuel Forey)

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