Une "option nucléaire". Voici comment le quotidien israélien Haaretz
a qualifié la demande palestinienne d'adhérer à la Cour pénale
internationale (CPI) afin d'y traduire des responsables militaires
israéliens pour "crime de guerre". Après le rejet fin décembre par le
Conseil de sécurité de l'ONU de sa résolution portant sur un accord de
paix avec Israël, le président palestinien Mahmoud Abbas a ratifié le
Statut de Rome, ouvrant la voie à un processus d'adhésion à la Cour.
"Une demande hypocrite", s'est immédiatement insurgé Benyamin
Netanyahou, qui a en représailles décidé de geler le versement de 106
millions d'euros de taxes collectés au nom de l'Autorité palestinienne,
mettant en péril le déjà fragile gouvernement de Ramallah.
Pourtant, si les propos du Premier ministre israélien trahissent son
inquiétude après la sanglante guerre de Gaza de l'été 2014, qui a fait
près de 2 200 morts côté palestinien (en grande majorité des civils) et
plus de 70 morts côté israélien (presque tous des soldats), la
possibilité de voir bientôt des soldats israéliens sur le banc des
accusés à La Haye relève pour l'heure de la gageure. En effet, pour
accomplir ce dessein, les Palestiniens doivent traverser un véritable
parcours du combattant aux multiples embûches. Premier obstacle,
l'adhésion même à la CPI.
La course contre la montre a commencé le 2 janvier dernier à New York,
lorsque les Palestiniens ont présenté leur demande aux Nations unies.
Celle-ci doit être examinée par le secrétaire général de l'ONU Ban
Ki-moon, qui a soixante jours pour en avertir les 122 États membres de
la Cour. C'est à ces pays, réunis au sein de l'Assemblée générale des
États membres de la CPI, qu'il incombe de statuer sur la pertinence
d'une adhésion de la Palestine. En théorie, celle-ci est possible depuis
l'accession en septembre 2012 du pays au statut d'État observateur non
membre de l'ONU.
"Les statuts de la CPI autorisent tout État à en devenir membre",
rappelle Simon Foreman, président de la Coalition française pour la Cour
pénale internationale. "Et en ayant été reconnue comme tel par
l'Assemblée générale de l'ONU, la Palestine répond à cette définition."
Au contraire, le spécialiste de droit international Xavier Philippe
estime que "le statut d'État observateur non membre de l'ONU ne permet
pas à une entité de prétendre à un véritable statut d'État et donc
d'adhérer à un traité interétatique". "Pour être considérée comme tel,
la Palestine doit répondre à quatre exigences : posséder un territoire
propre, une population définie, un système de gouvernance, et être
reconnue par la communauté internationale. Or, ce dernier point-clé lui
fait toujours défaut", pointe ce professeur de droit public à
l'université Paul-Cézanne-Aix-Marseille-III.
Pourtant, sur la carte, l'État palestinien est déjà reconnu par une
grande majorité de pays. Mais il lui manque les voix des pays
occidentaux, grands alliés de l'État hébreu. "Plus importante que la
réalité juridique, il existe aujourd'hui une réalité politique avec des
voix étatiques qui comptent plus que d'autres", souligne Xavier
Philippe, "d'autant qu'elles possèdent une plus grande capacité d'action
sur la scène internationale". En tête de celles-ci figure celle des
États-Unis, soutien indéfectible d'Israël, qui disposent d'un droit de
veto au Conseil de sécurité de l'ONU. Toutefois, les Américains n'étant
pas membres de la CPI (au même titre que la Chine, la Russie et Israël),
l'adhésion de la Palestine pourrait s'en retrouver facilitée, même si
Washington conserve à la CPI des leviers de pression sur certains États
membres.
Mais, même en cas d'issue positive, les Palestiniens n'en seraient qu'au
début d'un long chemin de croix. En théorie, adhérer à la Cour pénale
internationale leur permettrait de poursuivre des responsables
israéliens pour des crimes de guerre commis depuis le 1er juillet 2002
en territoires palestiniens, et donc de réclamer des comptes pour les
trois offensives de Tsahal lancées sur Gaza depuis décembre 2008, ou
encore pour l'occupation israélienne. Mais, d'ores et déjà, le Premier
ministre Benyamin Netanyahou a indiqué qu'il ne "permettrai[t] pas que
les soldats et les officiers de Tsahal soient traînés devant le tribunal
de La Haye". Comprenez qu'Israël utilisera tous les moyens juridiques
et diplomatiques nécessaires pour éviter que ses soldats se retrouvent
traduits devant la justice internationale.
Pour éviter un scénario cauchemar, l'État hébreu a chargé Tsahal de
mener sa propre enquête interne. Comme le rapporte ce lundi le quotidien
Libération, la police militaire israélienne s'est déjà
saisie d'une centaine de cas sensibles chez ses soldats, et au moins
deux lieutenants-colonels et un commandant pourraient bientôt être
inculpés par la justice israélienne... et donc éviter le Tribunal de La
Haye. "La CPI a une vocation subsidiaire, c'est-à-dire qu'il est
indispensable que les crimes en question ne soient pas soumis à la
justice nationale d'un État pour que la Cour puisse s'en saisir",
explique l'avocat Simon Foreman. "Ainsi, après vérification que la
procédure engagée en Israël est sérieuse, la CPI pourrait laisser faire
cette juridiction." D'autre part, même si la CPI décidait tout de même
de poursuivre des soldats ou des responsables israéliens, il semble peu
probable que l'État hébreu autorise leur transfert à La Haye.
Enfin, Israël a également menacé de retourner l'arme de la justice
internationale contre les Palestiniens en poursuivant à son tour pour
"crimes de guerre" des dirigeants de l'Autorité palestinienne, dont le
président Mahmoud Abbas, qu'il accuse d'union avec une "organisation
terroriste", autrement dit le Hamas. Tel-Aviv pourrait ainsi traduire
ces responsables devant les tribunaux américains [en raison de la double
nationalité américano-israélienne des citoyens victimes des tirs de
roquettes palestiniennes, NDLR], mais également devant la CPI, bien
qu'il n'en soit pas membre. "Il n'est pas indispensable de reconnaître
la Cour pénale internationale pour y déposer une plainte contre un État
membre", souligne maître Simon Foreman. "Et la CPI demeure compétente
pour tout crime commis depuis le sol palestinien, y compris de la part
du Hamas."
Justement, l'État hébreu accuse notamment le mouvement islamiste d'avoir
utilisé les populations civiles de Gaza comme "bouclier humain" l'été
dernier face aux frappes de son aviation.
(05-01-2015
- Armin Arefi)
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