Le bus s’arrête devant la délégation régionale du ministère de
l’Éducation nationale à Tataouine, ville située aux portes du Sahara
tunisien. Malgré les températures qui flirtent de bon matin avec les 35
degrés, une centaine de jeunes hommes et femmes se rassemblent dans la
cour du bâtiment pour protester, ce 9 octobre, contre les résultats du
concours de l’Éducation nationale. La mobilisation dans cette ville du
sud encerclée de collines a commencé après la publication des chiffres
du chômage par l’Institut national des statistiques : 51,7 % dans le
gouvernorat (région) de Tataouine, contre 17,6 % à l’échelle nationale
et 5,7 % à Monastir (côte). Depuis, des manifestations ont régulièrement
lieu. Devant le siège du gouvernorat (sorte de préfecture), des
chômeurs campent jour et nuit. Un chiffre "catastrophique", dénonce
Ahmed, le coordinateur régional de l’Union des diplômés chômeurs. À 31
ans et avec une maîtrise en commerce international, il pointe au chômage
depuis 8 ans.
"Nous ne pouvons absolument rien faire. Nous ne sommes que des
intermédiaires entre le ministère et ces jeunes", souffle un responsable
de cette délégation, souhaitant garder l’anonymat. Dans la salle de
réunion, le directeur régional reçoit ces chômeurs. Sur les 1 500 postes
à pourvoir au niveau national dans l’enseignement secondaire, seuls 11,
sur les quelque 3 000 dossiers déposés à Tataouine, ont été acceptés.
Aucun quota régional n’est en vigueur. Et les critères de sélection -
l’âge et l’année d’obtention du diplôme - favorisent les diplômés
chômeurs de longue durée dans le pays. "Il y a du travail et nous on est
sans emploi !" se scandalise Halima, 29 ans, une maîtrise d’anglais en
poche depuis 7 ans et autant d’années au chômage. Selon ce responsable,
près de 300 professeurs manquent dans le gouvernorat, alors que la
rentrée a déjà eu lieu. "On lutte pour la décentralisation, seul moyen
pour nous de pouvoir gérer les problèmes", ajoute-t-il.
"Priorité absolue"
Une décentralisation de l’emploi et de la formation prônée également par
Ali Dhokkar, le responsable du Bureau de l’emploi - sorte de Pôle
emploi dépendant directement du ministère de l’Emploi - de Tataouine, le
seul de ce gouvernorat dont la superficie, largement dominée par le
désert, atteint près de 25 % du territoire tunisien. Dans le hall de cet
immeuble blanc aux volets bleu ciel, des jeunes consultent les quelques
offres d’emploi affichées sur des panneaux. "Nous avons reçu zéro offre
aujourd’hui, comme hier, ou avant-hier", énumère ce directeur régional
de la formation professionnelle et de l’emploi, qui recense 7 800
chômeurs, dont près de 4 000 diplômés de l’enseignement supérieur. "Je
n’arrive pas à en trouver parce qu’il n’y a pas d’entreprises",
lâche-t-il. "Qui viendrait s’implanter ici ? Il n’a pas d’autoroute, pas
de train, et le seul aéroport est militaire."
Une zone industrielle de 18 hectares, avec des avantages alléchants, est
en ce moment en construction, selon Mourad Achour, le gouverneur (sorte
de préfet). Une petite vingtaine d’entreprises pourront s’implanter et
offrir d’ici un an un millier d’emplois. "Ce n’est pas assez", avoue
Mourad Achour, qui se rassure : "Tataouine est devenue une priorité
absolue" pour le gouvernement. Le Premier ministre devrait s’y rendre
"dans les jours qui viennent". "Cela ne va pas résoudre les problèmes,
mais des projets de développement vont peut-être se créer. Cela fait non
pas 23 ans, mais 50 ans que Tataouine est marginalisée. Les ministres
demandent du temps, mais les gens vivent dans des situations misérables
et ne peuvent plus attendre", souligne Jamila Jouini, membre du
mouvement Ennahda, qui a obtenu 3 des 4 sièges en lice dans ce
gouvernorat lors des élections du 23 octobre dernier. Sous Ben Ali, la
région aurait souffert de la présence d’islamistes du mouvement Ennahda,
alors violemment réprimé. Habib Bourguiba, lui, aurait adopté une
stratégie d’isolement du Sud tunisien, selon les habitants, après la
bataille qui a opposé les "youssefistes" - fidèles de Salah Ben Youssef,
opposant au père de l’indépendance - aux "bourguibistes" à Jebel Egri,
un mont de la région.
Mafia
Sur la route qui mène à Tataouine, des sociétés exploitent les minerais
de la région : sulfate de sodium, gypse pour le plâtre... Elles seraient
une dizaine dans la région. Sans compter la centaine d’entreprises
pétrolières et de sous-traitants présents dans le désert. "Elles ne
participent pas au développement de la région. Tous les jours, on voit
les camions passer, et zéro développement ! Elles doivent faire quelque
chose pour acheter la paix sociale", poursuit Ali Dhokkar. L’une des
solutions prônées est l’ouverture d’annexes de ces entreprises dans la
région. Les sièges sociaux sont implantés à Tunis ou sur les côtes du
pays, à plusieurs centaines de kilomètres. "Les Tataouiniens n’y
travaillent pas. Ils n’ont pas tous les qualifications nécessaires, mais
même les postes sans qualification ne sont pas pour eux. La mafia des
grandes sociétés tunisiennes a encore ses racines. Et sur le terrain, on
constate qu’il n’y a pratiquement rien de nouveau. On donne quelques
postes par-ci par-là pour calmer, mais rien d’important", observe Kamel
Abdellatif, responsable du bureau de l’UGTT, ancien syndicat unique du
pays qui demande notamment l’ouverture d’un centre de formation aux
métiers de l’industrie pétrolière mais aussi des quotas d’emplois locaux
dans les administrations publiques et les entreprises semi-étatiques
"pour enterrer le fossé entre les régions".
"C’est toujours le même système. Ce sont toujours ceux de Tunis ou ceux
qui ont de l’argent à glisser sous la table qui obtiennent un travail",
crache Mongi. Ce jeune Tunisien vit à Remada, à 80 kilomètres de
Tataouine, où se trouvent de nombreuses entreprises pétrolières. Les
routes y sont régulièrement bloquées depuis fin mars. À ses côtés,
Mohamed se retrouve au chômage à 47 ans après y avoir été employé comme
agent de sécurité pendant deux ans. "Je suis obligé d’emprunter de
l’argent pour vivre. J’ai 3 000 euros de dettes et pas d’emploi. Je fais
comment maintenant ? Je vole ou je m’allume [m’immole, NDLR] comme
[Mohamed] Bouazizi ?"
(13 Octobre 2012 - Assawra avec les agences de presse)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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