C’est le sondage qui choque l’État hébreu. Une grande partie de la
population juive d’Israël serait favorable à l’instauration de
discriminations envers ses concitoyens arabes. Voici l’étonnante
conclusion d’une étude publiée par le quotidien israélien Haaretz.
Commandé par le Fonds Yisraela Goldblum, une organisation de gauche
chargée de collecter des dons en faveur de projets égalitaires
israélo-palestiniens, le sondage, effectué par le très sérieux institut
israélien Dialog, est la conclusion de 503 interviews menées le 16
septembre dernier, veille de la fête juive de Rosh Hashanah (nouvel an).
Et ses résultats sont pour le moins étonnants : la moitié des
Israéliens épousent des thèses ultra-nationalistes.
Ainsi, 59 % des sondés préféreraient que les Juifs soient privilégiés
par rapport aux Arabes dans l’accession à des postes ministériels. Ils
sont 42 % à ne pas vouloir qu’un Arabe habite leur immeuble, et toujours
42 % à ne pas souhaiter que leurs enfants se trouvent dans les mêmes
classes que de jeunes Arabes. Avec 1,5 million de personnes, les Arabes
israéliens - musulmans ou chrétiens - forment 20 % de la population
israélienne. Descendants des Palestiniens qui sont restés dans les
frontières d’Israël après la guerre de 1948 (700 000 Palestiniens ont
été expulsés, NDLR), ils ont obtenu la nationalité israélienne. Il ne
faut pas les confondre avec les 300 000 Palestiniens de Jérusalem-Est,
qui disposent d’une carte de résident après l’annexion de leur
territoire par Israël à l’issue de la guerre de six jours, en 1967.
Si en Israël, les différentes communautés n’habitent pas les mêmes
quartiers, les Arabes israéliens possèdent strictement les mêmes droits
que leurs concitoyens juifs, sauf pour le droit au retour. Ainsi, le
regroupement familial ou la naturalisation du conjoint sont tout
simplement exclus. "S’il existe une égalité formelle devant la loi, il
demeure cependant de réelles inégalités sociologiques", souligne au
Point.fr Denis Charbit, professeur en sciences politiques à l’université
ouverte d’Israël. Ainsi, seuls 11 % des Arabes israéliens accèdent aux
bancs de l’université. Seuls 10 % d’entre eux finissent chefs
d’entreprise. Des inégalités que l’on retrouve même au niveau de
l’espérance de vie : 74 ans côté arabe, contre 77 ans pour les Juifs.
"La peur s’est transformée en racisme" (commanditaire du sondage)
D’après le sondage, un tiers des Juifs israéliens souhaiteraient retirer
le droit de vote aux Arabes israéliens. Ils sont même 47 % à vouloir
qu’une partie de la population arabe d’Israël soit gérée par l’Autorité
palestinienne. "Les Juifs israéliens ont développé au fil des ans une
peur quant à leur sécurité. Le conflit n’ayant pas trouvé de solution,
cette peur s’est peu à peu transformée en haine, puis en racisme", note
pour Le Point.fr Amiram Goldblum, chercheur à l’université hébraïque de
Jérusalem, à la tête du Fonds Yisraela Goldblum qui a commandé l’étude.
L’accès au pouvoir en 2009 de la coalition de droite menée par Benyamin
Netanyahou a toutefois abouti à une relative stabilisation de la
situation sécuritaire dans le pays. Mais Israël n’est pas à l’abri
d’incidents.
Depuis mardi soir, 80 projectiles ont été tirés depuis la bande de
Gaza contre le sud de l’État hébreu, qui a riposté par des frappes
aériennes. Ce regain de violence a fait six blessés côté israélien,
quatre morts chez les combattants palestiniens. "Si un compromis était
trouvé, c’est-à-dire deux États côte à côte, la relation des Juifs avec
les Arabes changerait de façon conséquente", estime Amiran Goldblum.
S’il trouve "terribles" les résultats du sondage, "même s’ils ne le
surprennent pas, le politologue Denis Charbit refuse pour sa part de
parler de "racisme".
"Il ne s’agit pas d’affirmer que telle race est supérieure à une
autre, mais plutôt de préjugés fortement ancrés et dictés par la peur.
Peur de quelqu’un que l’on ignore", estime le chercheur. Peut-on parler
de droitisation de la société israélienne ? "S’agit-il d’une
droitisation, ou plutôt d’un processus de désillusion ?" demande à son
tour Emmanuel Navon, professeur de relations internationales à
l’université de Tel-Aviv. "Ce qui est sûr, c’est que la déception est
très profonde vis-à-vis de l’échec des accords d’Oslo", ajoute le
chercheur.
Routes ségrégatives en Cisjordanie
Le sondage ne se cantonne pas aux Arabes d’Israël. Il s’intéresse
également à la Cisjordanie, territoire palestinien occupé militairement
par Israël en 1967, que ce dernier colonise depuis graduellement, en
dépit du droit international. Et les résultats sont encore plus
édifiants. En cas d’annexion du territoire, une majorité de Juifs
israéliens seraient favorables à l’établissement d’un régime d’apartheid
en Cisjordanie. Ils sont ainsi 74 % à se positionner en faveur de
routes séparées entre Israéliens et Palestiniens en Cisjordanie. 69 % à
refuser d’accorder aux 2,5 Mmillions de Palestiniens de Cisjordanie le
droit de vote, conséquence inévitable d’une annexion. Plus étonnant, une
majorité (58 %) de Juifs israéliens est déjà convaincue qu’Israël
pratique une politique discriminatoire à l’encontre des populations
arabes.
"Il demeure légitime de se méfier de l’adversaire lorsque l’on se
trouve dans une situation de guerre", souligne Denis Charbit. "Mais là,
on constate une radicalisation énorme : le même genre de dérapage que
l’on retrouve côté arabe, chez ceux qui affirment qu’Israël domine le
monde", ajoute le politologue. L’étude distingue également le vote juif
par catégorie. Sans surprise, ce sont les ultra-orthodoxes qui tiennent
les positions les plus extrêmes. 95 % d’entre eux sont par exemple
favorables aux discriminations à l’embauche. 82 % aimeraient que les
Juifs bénéficient d’un traitement préférentiel, et 70 % s’opposent au
vote des Arabes israéliens.
Le constat est le même sur la question des Palestiniens de
Cisjordanie. D’après le sondage, 83 % des "haredim" sont favorables à
une ségrégation dans les routes de Cisjordanie. La communauté
ultra-orthodoxe - qui vote ultra-nationaliste - étant la plus dynamique
du pays démographiquement, la tendance ne devrait pas s’inverser dans
les années à venir. Viennent ensuite dans le sondage les religieux
"traditionnels", les nouveaux immigrants venus de l’ex-URSS et les
laïques de gauche. Ces derniers paraissent comme étant les plus
tolérants.
Les urnes parlent
Ils sont par exemple 73 % à ne voir aucun inconvénient à ce que leurs
enfants fréquentent en classe des camarades arabes. De la même manière,
68 % d’entre eux ne seraient pas dérangés d’avoir un Arabe pour voisin.
Toutefois, ils ne sont que 50 % à penser que leurs concitoyens ne
devraient pas être victimes de discriminations pour trouver un emploi.
"Cette situation globale est encouragée au niveau politique", affirme
Denis Charbit. "C’est ce qui arrive lorsqu’on ne cesse d’insister sur le
danger à l’extérieur. Quand on estime avoir toujours raison, et que les
autres ont toujours tort."
Pour Amiram Goldblum, ce sondage demeure donc une occasion unique
pour informer la population israélienne et l’appeler à "faire pression
sur le gouvernement", afin de mettre un terme à la colonisation et
reprendre les négociations avec l’Autorité palestinienne. S’il admet de
son côté que les résultats de l’étude ne sont peut-être pas totalement
infondés, même s’il ne reconnaît pas ce genre d’opinion dans la société
israélienne, Emmanuel Navon assure que l’organisation qui l’a commandée
possède un "agenda politique clair". "Il est anormal de tenter d’imposer
par ce genre de sondage - et donc par la pression internationale - des
idées qui ne cessent d’être repoussées par l’électorat, qui a
démocratiquement élu son gouvernement", estime le chercheur, qui est
également candidat aux primaires du Likoud en vue des prochaines
législatives.
Considérée comme l’exécutif le plus à droite de l’histoire d’Israël,
la puissante coalition de droite formée par le Likoud et des formations
religieuses et ultranationalistes, dont le parti Israel Beytenou
d’Avigdor Lieberman, paraît aujourd’hui assurée de remporter les
prochaines législatives anticipées, fixées au 22 janvier prochain.
(25 Octobre 2012 - Armin Arefi)
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