"Ras le bol ! On en a marre de l’attitude du gouvernement. Il fait la
sourde oreille, il veut manipuler la presse, il ne cesse de pointer du
doigt les journalistes. Marre !" s’énerve Sana Farhat, journaliste au
quotidien francophone tunisien Le Temps. Le journal est le fer de lance
du mouvement de contestation depuis août, et la nomination d’un
directeur controversé à la tête du groupe qui le détient. Dans son
édition du 17 octobre, la rédaction explique que la grève générale
observée dans le secteur des médias en Tunisie "est un message très
clair adressé aux responsables du pouvoir". "Nominations arbitraires",
"exactions contre les journalistes", "vide juridique", autant de points
dénoncés par le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), qui
a appelé à la grève fin septembre.
"Liberté, liberté pour les médias tunisiens !" scandent les journalistes
de la maison de presse Dar Assabah, propriétaire du Temps et d’Assabah
(arabophone), pendant qu’une ambulance emporte leur collaboratrice Lamia
Chérif. Depuis le 10 octobre, cette Tunisienne d’une trentaine
d’années, journaliste pour le quotidien Assabah, est entrée en grève de
la faim avec six autres confrères. Ils protestent contre l’échec des
négociations avec le gouvernement concernant le remplacement du nouveau
directeur Lotfi Touati. Le 23 août, cet ancien commissaire de police,
impliqué dans des affaires de corruption, a été propulsé à la tête de
Dar Assabah par les autorités tunisiennes. Les journalistes y voient,
eux, une tentative de mainmise. Depuis cinquante jours, un petit encadré
noir en une de ces journaux qui appartenaient à Sakher el-Materi, le
gendre de Ben Ali, et qui sont placés depuis le 14 janvier sous la
tutelle de l’État, rappelle le combat de ces journalistes.
"La grève de Dar Assabah symbolise la situation des médias, qui vivent
un véritable bras de fer avec le gouvernement. Mais ce dernier nous a
assuré que dans les jours et semaines à venir la situation serait
résolue", annonce Souhayr Belhassen, présidente de la Fédération
internationale des droits de l’homme (FIDH), en mission en Tunisie du 14
au 16 octobre, et dont la conférence de presse prévue ce 17 octobre a
été annulée "en soutien aux journalistes tunisiens".
Devant le bâtiment du syndicat, dans le centre de Tunis, des centaines
de journalistes se sont réunis en début d’après-midi. Hommes politiques,
mais aussi artistes et membres de la société civile se sont joints à
eux. Le 16 octobre, le nouvel ambassadeur de France, François Gouyette,
s’est déplacé pour rencontrer les responsables du syndicat. "La liberté
d’expression est le principal acquis de la révolution. Cet acquis est
maintenant en danger et il y a une possibilité de retour en arrière. Ces
derniers jours, il y a eu des interférences dans les rédactions. Par
exemple, lorsque des médias invitent les membres du parti Ennahda, ils
exigent que Nida Tounes (nouveau parti de l’opposition mené par l’ancien
Premier ministre Béji Caïd Essebsi, NDLR) ne soit pas là. Ils veulent
revenir à l’ère de la voix unique et de la pensée unique", s’insurge
Zied el-Héni, membre du SNJT, qui assure que le gouvernement ne leur a
pas proposé de s’asseoir à la table des négociations.
Depuis le 14 janvier, les médias tunisiens bénéficient d’une liberté de
ton sans précédent. Mais ces derniers mois ont surtout été marqués par
des procès de directeurs de rédaction, comme celui de Nessma ou
d’Attounissia ; par l’arrêt de programmes radio, à l’instar de Chocolat
chaud et Café noir de la radio nationale ; ou encore par près de 130
agressions de journalistes recensées par Reporters sans frontières,
depuis le 1er janvier 2012, dont 80 attaques. "C’est alarmant, surtout
qu’aucune de ces exactions n’a été sanctionnée", déclarait, début
octobre, Olivia Gré, responsable du bureau RSF à Tunis.
La grève est largement suivie par les médias publics, qui fournissent
"un service minimum". L’agence de presse tunisienne a annoncé ne couvrir
que les "événements d’extrême urgence". Même tendance du côté des
médias privés. La page d’accueil du site internet Business News est
remplacée par une annonce "en grève", surplombée du titre : "Pas de
démocratie sans médias indépendants".
Le gouvernement, lui, a regretté le maintien de cette journée de
mobilisation et dément s’attaquer à la liberté de la presse. Face à la
pression, la coalition au pouvoir, formée du mouvement Ennahda et de
deux partis de centre gauche (le Congrès pour la République et
Ettakatol), a publié un communiqué le 14 octobre annonçant notamment
l’application du décret-loi 116, relatif à la liberté de l’audiovisuel
et qui prévoit la création de l’HAICA, une sorte de CSA tunisien. "C’est
le principal retour" qu’a reçu Kamel Laâbidi, ancien président de
l’INRIC, instance chargée de la réforme des médias, qui a remis son
rapport le 30 avril, dressant un lourd bilan de l’état de la presse et
proposant plus 50 recommandations.
Une annonce gouvernementale vécue comme "un soulagement" par Reporters
sans frontières. "Mais il faut que cette loi soit appliquée de manière
inconditionnelle", nuance Belhassen Handous, membre du bureau de RSF à
Tunis. L’ONG dénonce depuis des mois le vide juridique qui encadre la
profession de journaliste. En cause, notamment, la non-application des
décrets-lois 115 et 116, garants de la liberté de la presse, pourtant
adoptés depuis novembre 2011.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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