lundi 5 août 2013

Tunisie : « Un référendum comme solution alternative » (Rached Ghannouchi)

(Entretien avec le chef d’Ennahda, Rached Ghannouchi, réalisé par Taïeb Moalla pour Le Soir, Bruxelles)

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A Tunis, les positions sont bien tranchées. Les opposants occupent tous les soirs la place du Bardo demandant la dissolution d’une Assemblée nationale constituante jugée illégitime. De son côté, le parti islamiste Ennahda a réussi, samedi soir, à réunir quelques dizaines de milliers de sympathisants venus à la place de la Kasbah pour défendre la « légitimité des urnes ». Dans ce contexte de bipolarisation extrême, Le Soir s’est entretenu, dimanche soir, en arabe, avec le chef d’Ennahda, Rached Ghannouchi.

Ce samedi, vous avez dit que le poste de Premier ministre était une ligne rouge aux yeux d’Ennahda. Pourquoi ?
C’est la base même de la troïka (coalition au pouvoir, NDLR) et de la loi sur l’Organisation provisoire des pouvoirs publics. Le président de la République charge le parti majoritaire de former le gouvernement. Le candidat d’Ennahda est Ali Larayedh.

Il y a quand même eu l’assassinat, le 25 juillet, du député d’opposition Mohamed Brahmi. N’est-ce pas le signe de l’échec du gouvernement Larayedh ?
Ce genre de tragédie peut survenir dans n’importe quel pays, y compris les plus sécuritaires. Selon votre raisonnement, il faudrait adopter une loi stipulant que le gouvernement tombe chaque fois qu’un homme politique est tué ! Ce serait un message très positif adressé aux terroristes qui veulent changer notre mode de vie.

Parlons justement de mode de vie. Beaucoup vous accusent d’avoir été fort complaisant avec les salafistes. Vous avez déjà dit qu’ils vous rappelaient votre jeunesse.
Comme chef de parti politique, notre seule façon de convaincre ces gens-là qu’ils empruntent le mauvais chemin et de les pousser à intégrer le processus politique, c’est le dialogue. L’État, qui a le monopole de la violence légitime, a d’autres façons. Que ce soit sous Ben Ali, sous Essebsi (Premier ministre de transition en 2011, NDLR) ou sous Jebali (Premier ministre islamiste de 2011 à 2013), l’État n’a pas été laxiste. Il a combattu ce phénomène y compris en emprisonnant et en tuant.

Que faire pour sortir la Tunisie de la crise politique ? Est-ce vrai que vous avez accepté de céder tous les ministères à l’exception du poste de chef de gouvernement ?
Ce n’est pas exact. Nous et nos deux partenaires gouvernementaux sommes disposés à renoncer à des ministères dans la mesure où d’autres courants et partis politiques se joignent à un gouvernement qui serait le plus large possible.

Quels partenaires au juste ?
Ça peut être l’Alliance démocratique, le parti Al Jomhouri ou encore Tayar Al Mahaba (le Courant de l’Amour) de Hachemi Hamdi (ce milliardaire, qui vit à Londres, a fait élire 26 députés, en 2011, grâce à un programme populiste. Son parti a cependant éclaté après les élections. Il vient de créer un nouveau parti, NDLR).

Vous pourriez ainsi offrir un portefeuille ministériel à Hachemi Hamdi qui vilipende Ennahda depuis des années et qu’on décrit comme votre ennemi juré !?
Pourquoi pas ? Hamdi a pris une position juste contre la violence et pour la légitimité. Il se bat contre ceux qui appellent à un coup d’État. Il est normal que nous lui envoyions un message positif.

Le nouveau gouvernement pourrait-il comprendre des éléments de Nidâa tounes (coalition d’opposition formée en partie de caciques de l’ancien pouvoir) ?
Tout est sur la table. Tout est possible.

Est-il vrai qu’Ennahda ne présentera pas de candidat à la prochaine élection présidentielle ?
La décision n’a pas encore été prise, mais le plus probable est qu’Ennahda ne se battra pas pour ce poste. C’est qu’il faut tenir compte des équilibres politiques dans le pays. La démocratie n’y est pas encore enracinée et nous serons encore en période transitoire même dans deux ou trois élections.

Allez-vous soutenir un candidat en particulier ?
Si nous ne présentons pas de candidat, le plus logique est qu’on ne soutiendra personne pour être à égale distance de tous les prétendants.

A quelles concessions êtes-vous prêt dans le contexte actuel ?
Disons tout d’abord que la dissolution de l’Assemblée constituante a échoué. Les tenants de cette thèse ont grimpé au-dessus d’un arbre et cherchent désormais à en descendre. Nidâa tounes et le Front populaire (regroupement de partis de gauche) se sont énormément radicalisés. Or l’opinion publique a refusé que le pays bascule dans le vide. Pour le reste, je répète que nous sommes favorables à un gouvernement élargi.

Demain mardi, les opposants appellent à un grand rassemblement, six mois jour pour jour après le meurtre non élucidé de l’opposant de gauche Chokri Belaïd. Ne craignez-vous pas ces multiples appels à la rue ?
C’est un fait qu’il y a désormais deux rues en Tunisie, même si leur poids est différent. Nous en sommes aux cent derniers mètres du processus transitoire et nous refusons de tout recommencer de zéro. Les deux camps ne peuvent plus continuer à faire appel à la rue. Nous réfléchissons à l’idée d’un référendum comme solution alternative à la crise. Les Tunisiens se prononceraient à savoir s’ils veulent ou non poursuivre le processus enclenché.

(05-08-2013 - Taïeb Moalla)

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