lundi 5 août 2013

Maroc : la grâce accordée à un pédophile espagnol en 4 questions

Mohammed VI en visite en Espagne, juillet 2013 (Photo : Fadel Senna/ AFP)

Confronté à une indignation persistante au sein de la population, le roi du Maroc Mohammed VI a décidé, dimanche 5 août, d'annuler la grâce qu'il avait accordée au pédophiphe espagnol Daniel Galvan Viña. L'homme, soixantenaire, avait été condamné en 2011 à trente ans de prison pour des viols sur onze mineurs.

  • Pourquoi une grâce du roi ?
Daniel Galvan Viña faisait partie d'une liste de quarante-huit prisonniers espagnols auquel le roi a accordé la grâce. Selon les médias officiels marocains, il a été gracié au nom de l'excellence des relations bilatérales entre les deux pays, quelques jours après une visite du roi Juan Carlos. Le prisonnier n'avait alors purgé qu'un an et demi de sa peine.
Toutefois, selon le journal marocain Lakome, sa présence sur cette liste résulterait en réalité d'une "faveur" accordée par Rabat après une demande pressante du CNI (Centro Nacional de Inteligencia), l'agence de renseignement espagnole.
  • Une fausse identité ?
En effet, pour le quotidien espagnol El Pais, "il est probable que M. Galvan Viña ait été un espion". Son avocat, Mohamed Benjedou, a indiqué que son client lui avait confié être un officier de l'armée irakienne qui avait collaboré avec les services étrangers pour renverser le dictateur Saddam Hussein. Il aurait été exfiltré en Espagne après la guerre en Irak, où il aurait bénéficié d'une nouvelle identité en remerciement de sa collaboration. Le CNI a toutefois démenti tout lien avec l'individu.
"Galvan Viña n'est probablement pas le vrai nom du pédophile, qui est né à Bassora [en Irak] de père et de mère irakiens", affirme El Pais. Dans ses documents pénitentiaires, il était considéré comme un "Espagnol d'origine irakienne". Un temps remis en cause, son statut de professeur retraité originaire de Murcie, dans le sud de l'Espagne, semble toutefois être avéré : des responsables de l'université ont affirmé qu'il y avait travaillé de 1996 à 2002.
L'homme se serait ensuite installé au Maroc, se laissant aller au comportement "d'un homme qui commettait ses crimes sans crainte des conséquences, comme s'il bénéficiait d'une protection particulière", selon le journal marocain Lakome.
Installé à Rabat depuis huit ans, l'homme organisait des fêtes pour les enfants dans son appartement, selon un autre article du quotidien El Pais. C'est dans ce cadre qu'il a abusé sexuellement d'au moins onze mineurs, âgés de 3 à 15 ans. Certains ont été photographiés ou filmés dans des positions obscènes. "Il profitait de la précarité des familles", a conclu le tribunal de Kénitra, qui l'a condamné à trente ans de prison, soit la plus lourde sanction pour pédophilie jamais décidée au Maroc, lors d'un procès à forte répercussion médiatique.
  • Pourquoi le roi a-t-il annulé la grâce qu'il avait accordée ?
Moins de 24 heures après avoir annoncé l'ouverture d'une enquête sur cette "regrettable libération", le souverain marocain a finalement décidé d'annuler la grâce. Cette décision, "à caractère exceptionnel", est motivée par "la gravité des crimes commis et le respect du droit des victimes", a indiqué le Palais royal. Elle aurait été prise, selon Lakome, après concertation avec les autorités espagnoles.
Dans cette première prise de position, le Palais royal avait également assuré que Mohammed VI n'avait "jamais été informé, de quelque manière que ce soit et à aucun moment, de la gravité des crimes abjects pour lesquels l'intéressé a été condamné".


Affrontant l'une des pires crises politiques depuis qu'il règne, le roi du Maroc a pu céder à la colère des citoyens marocains, qui s'est exprimée dès vendredi soir, lorsque plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées devant le Parlement de Rabat, bravant la répression policière.
Malgré sa décision d'annuler la grâce, une nouvelle manifestation de plusieurs centaines de personnes a eu lieu dimanche soir à Kénitra, là-même où le condamné espagnol a vécu puis a été incarcéré, sous forte présence policière mais sans incident. Des sit-in programmés mardi à Casablanca et mercredi à Rabat sont pour l'heure maintenus, tandis que l'affaire a été rebaptisée #DanielGate sur Twitter.
Le problème de la pédophilie est explosif au Maroc, où l'ONG "Touche pas à mon enfant" estime à 26 000 le nombre d'enfants violés par an, soit 71 par jour. "Et une partie de ces délits est commise par des réseaux de pédophiles bien organisés, qui évoluent dans le milieu de la jet-set de Marrakech (...), y compris par de puissants hommes politiques et chefs d'entreprises européens", relève El Mundo.. Dans ce pays qui est devenu une importante destination de tourisme sexuel, le roi a déjà gracié un autre pédophile français en 2006, rappelle Lakome.
  • Que peut faire le Maroc après l'annulation de cette grâce ?
Selon El Pais,Galvan est entré jeudi en Espagne par la ville espagnole de Ceuta, située dans une enclave de la côte marocaine. Il demeure depuis dans un lieu inconnu.  
Le Palais royal note que le ministre marocain de la justice, Mustapha Ramid, devra "examiner avec son homologue espagnol les suites à donner à l'annulation de cette grâce", une formule qui "ouvre la voie" à une demande de Rabat pour que le pédophile y purge le reste de sa peine, selon l'ambassadeur d'Espagne au Maroc, Alberto Navarro, cité par El Pais.
Selon le quotidien espagnol, M. Galvan Viña ne peut être extradé au Maroc, car il est un citoyen espagnol. Mais il peut, en vertu des accords hispano-marocains, purger sa peine en Espagne. Le condamné avait d'ailleurs sollicité son transfert dans une prison espagnole.

(05-08-2013 - Le Monde)

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