"Parti État", "dictature théocratique" : des acteurs politiques
tunisiens rivalisent de superlatifs pour attaquer les islamistes
d’Ennahda au pouvoir, qui n’hésitent pas de leur côté à faire l’amalgame
entre leurs détracteurs et le régime déchu de Ben Ali. Yadh Ben Achour,
juriste respecté qui a dirigé en 2011 une instance chargée de réaliser
les objectifs de la révolution, ne mâchait pas ses mots dans un
entretien au quotidien La Presse fin août. "Oui, nous risquons dans peu
de temps de nous retrouver dans une dictature pire que celle (du régime
déchu) de Ben Ali, une dictature théocratique. Oui, nous risquons de
perdre l’un des acquis les plus chers de la révolution : la liberté
d’expression", jugeait-il.
En cause : le conflit croissant entre les islamistes d’Ennahda et les
médias publics, dont les nouvelles directions, nommées à la chaîne par
le gouvernement, sont accusées de complaisance à l’égard du pouvoir. En
cause aussi les poursuites engagées pour atteinte à l’ordre public et
aux bonnes moeurs contre deux artistes qui risquent cinq ans de prison
pour avoir exposé des oeuvres jugées offensantes pour l’islam, alors que
les actions violentes organisées par la mouvance salafiste restent
impunies.
Toute la semaine, des journaux ont multiplié éditoriaux et tribunes
accusant les islamistes de visées hégémoniques au lieu de se concentrer
sur la nouvelle Constitution, dont la rédaction semble avoir pris des
mois de retard. "Le gouvernement, avec son parti dominant, verse dans
l’hégémonie et outrepasse ses prérogatives. Chargé d’expédier les
affaires courantes et de traiter les situations urgentes, il s’occupe à
accaparer tous les pouvoirs", s’insurge La Presse.
Le Quotidien dénonce, lui, "une stratégie de pourrissement du parti
État, Ennahda en l’occurrence, visant à neutraliser tous ses rivaux à
des fins électorales". En face, Ennahda fait le dos rond, estimant être
la seule force capable de diriger le pays et voyant derrière ces volées
de bois vert les vestiges du Rassemblement constitutionnel démocratique
(RCD), parti de Ben Ali.
Un mouvement informel de jeunes baptisé "Ekbes" (Magne-toi) multiplie
les appels à manifester pour que le gouvernement durcisse enfin son
action. Leurs cibles favorites sont les médias et l’Appel de la Tunisie,
un parti de l’ancien Premier ministre tunisien Béji Caïd Essebsi, chef
du deuxième gouvernement postrévolutionnaire, qui gagne en popularité et
où les partisans de l’ancien régime seraient légion, selon Ekbes et des
responsables gouvernementaux.
Sur ses pages Facebook, Ekbes appelle à rejoindre "la bataille contre
les restes du régime corrompu", à "les empêcher de jouer avec l’avenir
de (leurs) enfants" et à "juger les voleurs de la mafia de Ben Ali
appartenant à l’Appel de la honte", surnom donné au parti de Béji Caïd
Essebsi. Une première manifestation a déjà réuni quelques centaines de
personnes le 1er septembre, et un nouveau rassemblement, plus grand,
était prévu vendredi face au siège du gouvernement. Officiellement,
Ennahda ne fait que soutenir ces revendications. Ekbes vise à "activer
les réformes", à "faire juger les corrompus" et à "assurer au peuple
tunisien que ceux qu’il a choisis ne resteront pas les bras croisés face
aux ennemis de la révolution", déclarait en début de semaine le
ministre de la Justice, Noureddine Bhiri.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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