vendredi 7 septembre 2012

Tunisie : critiqué, Ennahda brandit le spectre de Ben Ali

"Parti État", "dictature théocratique" : des acteurs politiques tunisiens rivalisent de superlatifs pour attaquer les islamistes d’Ennahda au pouvoir, qui n’hésitent pas de leur côté à faire l’amalgame entre leurs détracteurs et le régime déchu de Ben Ali. Yadh Ben Achour, juriste respecté qui a dirigé en 2011 une instance chargée de réaliser les objectifs de la révolution, ne mâchait pas ses mots dans un entretien au quotidien La Presse fin août. "Oui, nous risquons dans peu de temps de nous retrouver dans une dictature pire que celle (du régime déchu) de Ben Ali, une dictature théocratique. Oui, nous risquons de perdre l’un des acquis les plus chers de la révolution : la liberté d’expression", jugeait-il.
En cause : le conflit croissant entre les islamistes d’Ennahda et les médias publics, dont les nouvelles directions, nommées à la chaîne par le gouvernement, sont accusées de complaisance à l’égard du pouvoir. En cause aussi les poursuites engagées pour atteinte à l’ordre public et aux bonnes moeurs contre deux artistes qui risquent cinq ans de prison pour avoir exposé des oeuvres jugées offensantes pour l’islam, alors que les actions violentes organisées par la mouvance salafiste restent impunies.
Toute la semaine, des journaux ont multiplié éditoriaux et tribunes accusant les islamistes de visées hégémoniques au lieu de se concentrer sur la nouvelle Constitution, dont la rédaction semble avoir pris des mois de retard. "Le gouvernement, avec son parti dominant, verse dans l’hégémonie et outrepasse ses prérogatives. Chargé d’expédier les affaires courantes et de traiter les situations urgentes, il s’occupe à accaparer tous les pouvoirs", s’insurge La Presse.
Le Quotidien dénonce, lui, "une stratégie de pourrissement du parti État, Ennahda en l’occurrence, visant à neutraliser tous ses rivaux à des fins électorales". En face, Ennahda fait le dos rond, estimant être la seule force capable de diriger le pays et voyant derrière ces volées de bois vert les vestiges du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), parti de Ben Ali.
Un mouvement informel de jeunes baptisé "Ekbes" (Magne-toi) multiplie les appels à manifester pour que le gouvernement durcisse enfin son action. Leurs cibles favorites sont les médias et l’Appel de la Tunisie, un parti de l’ancien Premier ministre tunisien Béji Caïd Essebsi, chef du deuxième gouvernement postrévolutionnaire, qui gagne en popularité et où les partisans de l’ancien régime seraient légion, selon Ekbes et des responsables gouvernementaux.
Sur ses pages Facebook, Ekbes appelle à rejoindre "la bataille contre les restes du régime corrompu", à "les empêcher de jouer avec l’avenir de (leurs) enfants" et à "juger les voleurs de la mafia de Ben Ali appartenant à l’Appel de la honte", surnom donné au parti de Béji Caïd Essebsi. Une première manifestation a déjà réuni quelques centaines de personnes le 1er septembre, et un nouveau rassemblement, plus grand, était prévu vendredi face au siège du gouvernement. Officiellement, Ennahda ne fait que soutenir ces revendications. Ekbes vise à "activer les réformes", à "faire juger les corrompus" et à "assurer au peuple tunisien que ceux qu’il a choisis ne resteront pas les bras croisés face aux ennemis de la révolution", déclarait en début de semaine le ministre de la Justice, Noureddine Bhiri.

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