mercredi 12 septembre 2012

Liban : "Sur la Syrie, nous attendons davantage de Paris"(Saad Hariri)

Dirigeant du Courant du Futur, le principal parti d’opposition libanais, Saad Hariri, 42 ans, vit à Paris depuis juin 2011 après avoir été premier ministre du Liban pendant deux ans. Il milite pour un soutien accru à la révolution syrienne et demande à Paris, dans un entretien au Monde, de s’impliquer davantage. Il devait rencontrer François Hollande mercredi 12 septembre au soir à l’Elysée.

Pensez-vous que le régime syrien va tomber ?
Le régime syrien va tomber à l’issue de ce conflit, c’est sûr. L’important, c’est qu’on l’empêche de poursuivre le génocide qu’il mène contre son peuple. Plus sa chute prendra du temps, plus il y aura des dégâts et plus la réconciliation sera longue.

D’où tirez-vous la certitude que le régime est fini ?
Le régime ne contrôle plus le pays. La Syrie est un Etat failli. Pourquoi ce régime en vient-il à utiliser des avions et des hélicoptères contre son propre peuple ? Parce qu’il cède de plus en plus de terrain à l’Armée syrienne libre (ASL). Assad se plaisait à répéter que Damas et Alep ne seraient jamais touchées par l’insurrection. Et aujourd’hui, il bombarde ces deux villes par les airs. Ne soyez pas dupes des effets de manche du régime. Le peuple syrien est en train de gagner. Il faut souhaiter que son sang coule le moins possible. C’est là que la communauté internationale a le devoir moral d’intervenir.

Intervenir comment ? Militairement, diplomatiquement ?
La diplomatie n’a pas abouti. Le sang coule tous les jours de plus en plus. Il faut une intervention. Je comprends qu’il y ait des complications avec la Russie et la Chine. Mais aujourd’hui, il y a un équilibre des forces entre le gouvernement et l’opposition, alors que cette dernière n’a pas d’armes sophistiquées. Si on lui donne les armes dont elle a besoin, l’opposition pourra gagner facilement.

Vous connaissez Bachar Al-Assad. Qu’avez-vous pensé de sa dernière interview ?
Ça m’a fait mal au ventre. C’est un homme qui voit son peuple se faire tuer et qui réagit comme s’il ne se passait rien. Il traite enfants, femmes et vieillards comme des terroristes pour la seule raison qu’ils n’ont pas la même opinion que lui. Tout ce qu’il veut, c’est le pouvoir et l’argent. Un tel homme doit payer un jour un prix.

Vous attendez-vous à de nouvelles défections ?
Les gens qui sont avec Bachar Al-Assad ne le sont pas de leur plein gré. S’ils voient qu’il y a une pression internationale accrue, ils déserteront. Plus on aidera l’ASL et plus il y aura de défections.

Qui peut aider l’opposition syrienne ?
La France a un rôle très important à jouer. Elle a fait des déclarations très fortes dès le début de la révolution. Si elle prend la tête de la coalition des alliés du peuple syrien, elle jouera à l’avenir un très grand rôle dans la région. Aujourd’hui, il y a un débat sur les zones protégées [safe zones], dont on dit qu’elles ne peuvent pas se faire sans l’accord de l’ONU. Si la France encourage ses alliés à donner à l’opposition syrienne ce dont elle a besoin, cette opposition pourra établir elle-même des zones protégées. Ce serait une situation gagnant-gagnant pour la France.

La guerre en Syrie prend de plus en plus des allures de conflit régional. La Syrie sera-t-elle le Liban du XXIe siècle, un champ de bataille par procuration ?
La Syrie est beaucoup plus grande que le Liban. Personne n’a intérêt à une guerre civile en Syrie, sauf peut-être l’Iran, qui veut une Syrie instable – comme l’Irak – pour y garder de l’influence. Si le régime syrien tombe, l’influence iranienne dans la région va diminuer.

La guerre civile en Syrie ne profitera-t-elle pas aux islamistes ?
En Libye, il y a eu une guerre et ce sont les libéraux qui ont gagné les élections. Partout dans le monde arabe, en Egypte, en Tunisie, les islamistes font des efforts pour rassurer et rassembler. Avant, ils ne faisaient que critiquer ; aujourd’hui, ils se doivent d’être responsables. Ils ont beaucoup promis et s’ils ne tiennent pas leurs promesses, ils perdront beaucoup.

Avez-vous confiance dans l’opposition syrienne ?
Pendant quarante ans, ce régime a tué ou emprisonné tout opposant. A la faveur du printemps arabe, les gens se sont révoltés et une opposition a commencé à émerger en Syrie. Elle n’est pas parfaite, c’est normal. Mais quand il y a des bavures, l’Armée syrienne libre a le courage de les condamner.

Craignez-vous un embrasement du Liban, par effet de contagion ?
Je n’ai pas peur qu’une guerre civile éclate au Liban, car aucun parti libanais n’en veut. Plus le régime syrien s’affaiblira, plus il s’efforcera de nous emporter dans sa chute. On l’a vu avec l’affaire Samaha, qui est un acte de guerre [politicien libanais prosyrien, Michel Samaha a été arrêté début août sous l’accusation d’avoir transporté des explosifs dans le but d’organiser des attentats au Liban, sur ordre de Damas]. Si on observe en détail les violences entre sunnites et alaouites qui éclatent à intervalles réguliers à Tripoli, on se rend compte qu’elles émanent soit d’alliés du régime syrien, soit directement de ses agents. Le régime syrien tente de déstabiliser le Liban. Mais les Libanais sauront résister à ces provocations.

Que pensez-vous de l’attitude du gouvernement libanais de Najib Mikati, qui prétend "rester à l’écart" de la crise syrienne ?
Etre sage, c’est bien, mais il ne faut pas être soumis. Si la position du gouvernement libanais avait été plus franche, le régime syrien ne se serait pas permis de bombarder le nord du pays, comme à Wadi Khaled, et il n’y aurait pas eu d’affaire Samaha.

Le Hezbollah est-il impliqué dans la répression du soulèvement en Syrie ?
Oui et de toutes les manières possibles. Même s’il s’en défend, je pense qu’il envoie des Libanais en Syrie.

Le camp du 14-Mars [rassemblement de partis anti-syriens], dont votre mouvement fait partie, n’est pas inactif non plus...
Nous sommes coupables d’ouvrir nos médias aux opposants et d’ouvrir nos écoles aux réfugiés, voilà tout. Le régime syrien nous attribue beaucoup plus que ce que nous méritons. Il concentre ses attaques sur nous, car nous sommes faibles. Il n’oserait jamais parler de cette façon de la Turquie. Ceux qui ont des armes au Liban, c’est le Hezbollah, pas le 14-Mars.

Le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), chargé d’enquêter sur la mort de votre père [l’ex-premier ministre Rafik Hariri, tué en 2005 dans un attentat à la bombe], entend juger par contumace quatre suspects, qui sont membres du Hezbollah. Pensez-vous que ce procès s’ouvrira un jour ?
Le jour où le régime syrien tombera, beaucoup de gens viendront parler au TSL. Je suis persuadé que le procès se tiendra un jour. Et quel que soit le verdict, nous l’accepterons. Ceci dit, la justice divine sera peut-être plus rapide que celle des hommes...

Comment jugez-vous l’action de François Hollande au Proche-Orient ?
En ce qui concerne les relations franco-libanaises, la continuité prime. François Hollande a vu Michel Sleimane [le président libanais]. Il a réaffirmé l’attachement de Paris à la souveraineté et à l’intégrité du Liban. Sur le volet syrien, les positions du président français sont claires, mais nous attendons davantage de Paris. Il est dans l’intérêt de la France de prendre non seulement des positions, mais des actes.

Pensez-vous rentrer un jour au Liban ?
Je me tiens hors du Liban pour des raisons de sécurité. Ces derniers mois, deux dirigeants du mouvement du 14-Mars, Samir Geagea et Boutros Harb, ont été la cible de tentatives d’assassinat. Mais je rentrerai, bien sûr. Je participerai aux prochaines élections législatives [programmées pour le printemps prochain] et je les gagnerai, pour autant que le scrutin ne soit pas truqué. Tous ceux qui parient sur la fin de ma carrière politique se trompent.

(Christophe Ayad et Benjamin Barthe, Le Monde du 12 septembre 2012)

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