Chahira Abou Ardeini a perdu sept de ses proches à Sabra et Chatila,
camps de réfugiés palestiniens tristement célèbres pour le massacre
commis il y a 30 ans par des miliciens chrétiens alliés à Israël. Elle
attend toujours que justice soit faite. "C’était une nuit sans lune. Ils
ont illuminé le ciel avec des fusées éclairantes", se souvient cette
femme de 53 ans, les yeux sombres cernés de rides profondes qui en
disent long sur son chagrin. "Les miliciens ont fait irruption dans
notre maison avec des mitraillettes, et ont achevé certains membres de
ma famille au couteau. Ils ont tué ma cousine Amal, l’ont éventrée et
ont retiré son bébé", dit-elle.
Entre 800 et 2 000 civils ont été massacrés, selon les estimations,
dans ces camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, à la
périphérie de Beyrouth, en septembre 1982, lors de l’invasion
israélienne du Liban. "Trente ans sont passés, mais je me souviens
encore des moindres détails", ajoute cette femme brune, qui brode les
robes palestiniennes traditionnelles au point de croix pour vivre. "Le
plus jeune de mes fils avait juste deux semaines. Les miliciens étaient
en compétition pour voir qui allait tuer le plus de gens".
Chaque année, des militants venus du monde entier se joignent aux
survivants du massacre pour se recueillir sur la tombe collective des
victimes du carnage. Mais justice n’a pas encore été faite. En Israël,
une commission d’enquête a attribué en 1983 la "responsabilité
personnelle" mais "indirecte" des massacres à Ariel Sharon, alors
ministre de la Défense, et la responsabilité directe à Elie Hobeika,
chef des renseignements des Forces libanaises (milice chrétienne).
"Aucun tribunal, libanais ou international, n’a jamais inculpé personne
pour le massacre. Tous les responsables sont restés impunis", déplore la
survivante.
"Nous avons perdu espoir en la justice. Nous, les Palestiniens,
sommes le maillon le plus faible dans le monde arabe. Nous n’avons pas
d’État, et le massacre des nôtres n’importe à personne", affirme-t-elle.
Chahira souligne également les conditions déplorables dans lesquelles
vivent une grande partie des 280 000 réfugiés palestiniens du Liban,
pour la plupart entassés dans des camps misérables et privés de beaucoup
de leurs droits économiques et sociaux, selon l’agence de l’ONU pour
l’aide aux réfugiés palestiniens.
"Mes proches ont été massacrés, mais nous, nous mourons à petit feu",
dit cette femme qui vit toujours à Chatila. Samiha Abbas, une Libanaise
mariée à un Palestinien de Sabra, a perdu pour sa part trois de ses
enfants et quatre autres membres de sa famille dans le massacre. "Ma
fille Zeinab avait 16 ans, mes fils Ali et Fahd 10 et 20 ans", dit-elle
en sanglots, en serrant les photos de ses trois enfants. "Je demande à
savoir qui les a tués, le chagrin m’a fait perdre la tête",
ajoute-t-elle. Samiha vit à Sabra, le camp attenant à Chatila, où les
câbles électriques pendent entre les maisons misérables.
"Je suis libanaise, mais tous les gouvernements libanais qui se sont
succédé nous ont traités comme des criminels, nous ont marginalisés pour
être sûrs que notre voix ne serait pas entendue", dit-elle. En juin
2001, 23 rescapés ont porté plainte pour crimes de guerre, crimes contre
l’humanité et actes de génocide contre Ariel Sharon, devenu Premier
ministre. La plainte est déposée en Belgique en vertu d’une loi
accordant une "compétence universelle" aux tribunaux belges pour ce type
de crimes. Mais la loi est abrogée en 2003 et la justice belge a
abandonné les poursuites.
"Aucune justice, aucune pays, arabe ou occidental, n’est intéressé à
obtenir justice pour nous les Palestiniens", déplore Mohamed Srour, qui a
perdu cinq membres de sa famille dans le massacre. "Ils ont tué mon
père et mes trois frères et soeurs, dont ma soeur Chadia, qui avait 18
mois", dit-il. "Ma mère a fait semblant d’être morte pour survivre,
restant étendue à côté de sa petite fille sans vie". "L’État libanais
devrait ouvrir le dossier du massacre, révéler qui en est responsable et
rendre justice aux victimes", ajoute cet homme de 50 ans. "Mais je suis
sûr qu’il ne le fera pas. Et nous, Palestiniens, nous saurons comment
obtenir justice, nous le ferons un jour."
(18 Septembre 2012 - Assawra vec les agences de presse)
***
Inviation à lire :
Sabra et Chatila : enquête sur un massacre,
Le Seuil, 1982.
(Par Amnon Kapeliouk)
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