lundi 24 septembre 2012

Liban : Pourquoi le théâtre ?

« Celui qui gagne la bataille des jeunes gagne la bataille de la vie. »
Je suis habitée par une obsession !
Si je pouvais la concrétiser, je fonderais un théâtre pour les jeunes dans chacune des régions du Liban. Si je pouvais, je reviendrais au temps de ma jeunesse pour me mettre dans vos rangs, les rangs des jeunes.
Construisons des salles de théâtre, multiplions les bibliothèques ambulantes, soutenons les troupes de théâtre ! Je l’ai clamé en vain depuis plus de trente ans.
Pourquoi le théâtre ? Pourquoi les Beaux-Arts ? Parce qu’il s’agit des meilleurs moyens pour agir et nous avons tant besoin de réagir et de dialoguer. Nous avons besoin de cet espace libre de création afin de nous ouvrir à l’autre, de l’accepter, de communiquer entre nous et de respecter nos différences.
Pourquoi le théâtre ? Parce que c’est l’espace où toutes les barrières s’effondrent : les sectaires, les communautaires, les claniques, les religieuses et les sociales. Dans ce lieu fascinant se développent le désir et la passion, l’imagination créative grandit. Dans ce lieu, les batailles sanguinaires prennent place, des centaines de victimes et de blessés tombent… sans effusion de sang, sans victimes, sans dispersion de vie. Dans ce lieu, le pauvre monte sur le trône sans autorisation et renverse le tyran en une seconde. Le barbare est révélé, son mépris de la destinée des gens est dévoilé, ouvrant la porte à l’imagination, à toutes sortes d’éventualités et de changements, sans peur, sans barrière, sans prétention.
Qui est plus digne que vous d’occuper cet espace d’action, de constituer la première pierre d’une société civile unie ?
Qui est plus digne que vous pour donner naissance au nouveau Liban non sectaire, qui sera à la hauteur des ambitions et des espoirs dans une patrie digne de ses enfants, de chacun de nous ?
Qui d’autre que vous sauvera le Liban qui vole en éclats sous nos yeux, qui s’émiette en foyers ennemis, signe certain d’un amenuisement culturel, d’une mort certaine. ? Qui d’autre que vous pourra inventer un nouveau Liban digne de l’être humain ?
Qui d’autre que vous pourra contribuer à jouer le rôle de sauveteur et s’impliquer dans ce projet de démocratie et de civisme ?
Vous seuls possédez le potentiel de modifier cette équation et de transgresser la situation actuelle. Serait-il possible de changer ce triste statu quo sans votre détermination et votre action, sans votre conviction ?
Par le passé, nous avons été spoliés par les princes de la guerre, par les marchands de la mort, par les poseurs de bombes, par les voleurs d’espoir, par les alliés des despotes, par les négociants des peuples et des pays, par les ennemis de la culture, de la création et de la liberté. Allons-nous les laisser façonner nos destinées à leur guise et manipuler nos vies ? Allez-vous les laisser faire ? Allez-vous consentir à leurs actes ? Rien ne changera si nous ne les rejetons pas définitivement, et nous allons le faire immanquablement. Cette responsabilité nous incombe, votre responsabilité historique commence à cet instant même.
Notre tragédie n’est pas notre destin, la présence parmi nous des ennemis de l’homme n’est pas éternelle. La décision suffit, la volonté suffit. Nous avons rendez-vous avec la victoire, avec l’avenir.
Je suis habitée par une obsession !
Imaginons un instant que nous réussissons à changer la situation, à faire tomber les barrières entre les régions libanaises, à instaurer une démocratie réelle, à séparer la religion de l’Etat, à éradiquer le sectarisme, à instaurer de nouvelles lois justes qui ne font pas de discrimination entre l’homme et la femme, des lois qui nous libèrent, qui nous arrachent à l’obscurité, qui nous aménagent une place sous le soleil de notre temps…
Il faudrait consacrer un budget considérable à la culture et à l’enseignement comme partout ailleurs dans les pays civilisés, car le savoir est la plus grande des vertus. Un budget pour soutenir les divers champs de la création, tels que le cinéma, la danse, la musique et le théâtre. Un Théâtre national sera mis en place, ainsi qu’un Musée des Beaux-Arts. La langue arabe sera imposée dans toutes les écoles privées et publiques comme langue officielle sans abandonner pour autant les autres langues qui participent à élargir les connaissances et à nous mettre sur la voie des sciences modernes.
Rêver ensemble, depuis cette tribune, constitue une véritable force d’imagination, de création et de beauté.
Créons par le biais de la politique. Créons par le biais de l’art. Rêvons à un monde meilleur qui sera notre sauveur.

Nidal Achkar
Traduit de l’arabe par Rania Samara
(Allocution prononcée lors de l’inauguration du festival « Michkal » au Théâtre de la Ville à Beyrouth.)

Nidal Achkar. Dramaturge libanaise qui a joué un rôle important dans les années soixante et soixante-dix pour renouveler le langage, les outils et l’expression du théâtre libanais et arabe. Avec un certain nombre d’artistes libanais, elle a fondé l’« Atelier du Théâtre de Beyrouth ». Et avec des artistes arabes, elle a fondé la troupe des « Comédiens arabes » qui a parcouru de nombreux pays arabes et européens.

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