mercredi 26 septembre 2012

Palestine : un État au rabais (par Armin Arefi)

Un an. Il aura fallu attendre une année entière pour que Mahmud Abbas se décide à retourner à l’ONU pour réclamer un nouveau statut pour la Palestine. En 2011, le président de l’Autorité palestinienne avait créé l’événement en présentant au Conseil de sécurité une demande d’adhésion de la Palestine comme État membre, s’attirant le courroux d’Israël et des États-Unis. Mais au fil des négociations, Mahmud Abbas a dû se rendre à l’évidence : son pays n’a pas réuni les neuf voix indispensables à l’ouverture d’un vote au sein de l’instance suprême des Nations unies. Ainsi, les États-Unis n’ont donc même pas eu besoin d’opposer leur veto à cette demande.

Un grand nombre d’observateurs se sont alors dit que l’Autorité palestinienne adopterait une solution de rechange : un vote direct à l’Assemblée générale, censé lui conférer le statut d’État non membre. C’est d’ailleurs ce qu’avait proposé en septembre 2011 Nicolas Sarkozy, offrant un calendrier d’un an pour parvenir à "un accord définitif" de paix avec Israël.

Ce statut intermédiaire amélioré, déjà adopté par le Vatican, et par lequel sont passés des pays comme la Suisse, l’Autriche, et le Japon, aurait pu constituer une demi-victoire pour l’Autorité palestinienne face à son opinion publique.

Une issue qui aurait été d’autant plus logique qu’à l’époque la communauté internationale ne tarissait pas d’éloges quant aux réussites du gouvernement de Cisjordanie. Établissement d’institutions, résultats économiques positifs, le FMI et la Banque mondiale demeuraient totalement convaincues de la bonne gouvernance à la tête de la Cisjordanie, ouvrant la voie à la création de l’État palestinien. Mais rien n’y a fait : les Palestiniens se sont terrés dans le silence. Et, un an plus tard, la donne a changé. L’accord de réconciliation avec le Hamas est resté lettre morte. Quant à l’Autorité palestinienne, qui dépend de l’aide internationale, elle est aujourd’hui secouée par une crise budgétaire sans précédent.

C’est donc considérablement affaibli que Mahmud Abbas se présente à New York pour demander d’élever le statut de la Palestine, aujourd’hui bloqué à celui d’"entité observatrice". Pour ce faire, il compte mener campagne auprès des pays membres juste après son discours à la tribune de l’Assemblée générale, qui a lieu jeudi. "Nous voulons remettre la Palestine sur la carte, sur les lignes de 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale, avec l’appui de 150 à 170 pays", expliquait la semaine dernière à l’AFP le négociateur palestinien Saëb Erakat, en référence aux 194 pays qui forment l’Assemblée générale de l’ONU.
En quoi consiste ce nouveau statut ? "Cela ne change strictement rien à la situation actuelle", assure Philippe Moreau Defarges (1), grand spécialiste des questions internationales à l’Ifri. "Cette instance n’émet que des recommandations et n’a aucun pouvoir de décision, ce qui reste l’apanage du Conseil de sécurité. En outre, ajoute le spécialiste, les pays qui n’auront pas voté en faveur de la Palestine ne seront pas liés juridiquement à la décision." "Lorsque la Palestine obtiendra le statut d’État non membre, aucun Israélien ne pourra dire que ce sont des territoires disputés", souligne pour sa part à l’AFP Saëb Erakat. "La Palestine deviendra un pays sous occupation (...). Il pourra alors adhérer à toutes les agences internationales" de l’ONU, insiste-t-il.
Sont ici visées la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale, deux instances qui pourraient à terme juger l’État hébreu pour ses violations du droit international. "Il n’est pas du tout évident que ces deux organisations acceptent la Palestine en tant qu’État membre", note Philippe Moreau Defarges. "Elles doivent définir si la Palestine est un véritable État", ajoute-t-il. "Or le Conseil de sécurité de l’ONU ne la reconnaît pas, et la Palestine ne répond pas actuellement à certains critères définissant un État : notamment ses frontières, récusées par les États-Unis et Israël."
Il n’est donc pas étonnant qu’Américains et Israéliens se soient une nouvelle fois opposés à cette tentative "unilatérale". À Tel-Aviv, le ministre israélien des Renseignements répète que seule la négociation sans condition préalable peut permettre de parvenir à un accord. "Les Palestiniens ont besoin d’un État, pas d’une résolution de l’ONU", martèle Dan Meridor au micro de RFI. "Pour un État, il faut avoir du courage politique", ajoute-t-il. Problème, les négociations sont bloquées depuis deux ans. Pendant ce temps, la colonisation israélienne en Cisjordanie, dont l’Autorité palestinienne réclame le gel avant toute discussion, se poursuit au mépris du droit international.

Selon l’ONU, ce sont au total plus d’un demi-million de colons qui habitent désormais les territoires occupés.

Dix-huit ans après leur signature, les accords d’Oslo, qui ont désigné en 1994 un gouvernement palestinien provisoire - l’Autorité palestinienne - et qui étaient censés aboutir après cinq ans à la création d’un État palestinien, demeurent plus que jamais au point mort. Surtout que la Cisjordanie est depuis le début du mois en proie à des manifestations populaires - et parfois violentes - sans précédent. Les contestataires remettent en cause le protocole de Paris, volet économique des accords d’Oslo, qui aligne la TVA palestinienne sur le taux israélien, actuellement de 17 %, ce qui empêche toute baisse rapide des prix en Cisjordanie.

Mais derrière la grogne économique, ils sont de plus en plus nombreux à réclamer une abrogation pure et simple des accords d’Oslo. "Il existe un fort sentiment de saturation du processus de paix", souligne, sur place, une source bien informée. "Nous sommes tout de même dans la seule occupation au monde financée par l’occupé (les Palestiniens, NDLR) et la communauté internationale. Or, en tant que puissance occupante, ce devoir incombe à Israël." "Sans perspective de processus négocié, l’Autorité palestinienne ne sert plus à rien", souligne de son côté Julien Salingue (2), enseignant en sciences politiques à l’université Paris VIII. "Seule l’illusion de négociation lui donnait une certaine légitimité."

"En obtenant le statut d’État non membre, Mahmud Abbas souhaite symboliquement montrer à son peuple qu’il a gagné quelque chose", poursuit le spécialiste de la Palestine. "D’autre part, en se présentant à l’ONU, il continue à s’affirmer à l’international comme le représentant légitime du peuple palestinien." Conscient de son extrême fragilité, le président de l’Autorité palestinienne vient de proposer à Israël un étonnant compromis, révèle le quotidien israélien Haaretz. Lors d’une rencontre lundi à New York avec des représentants de la communauté juive américaine, parmi lesquels l’influent avocat Alan Dershowitz, Mahmud Abbas aurait indiqué son intention de reprendre les négociations avec Israël à condition que ce dernier accepte de geler provisoirement la colonisation.

En échange, ajoute le journal, il s’engagerait à établir, dans son discours jeudi à l’Assemblée générale des Nations unies, un "lien entre Israël et le peuple juif", ce qui pourrait impliquer le renoncement au retour des quelque cinq millions de réfugiés palestiniens. Une concession impensable il y a encore un an.
(26 Septembre 2012 - Armin Arefi)

(1) Philippe Moreau Defarges, auteur de La Géopolitique pour les nuls (First éditions, nouvelle édition ).

(2) Julien Salingue, auteur de À la recherche de la Palestine (éditions du Cygne).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire