lundi 9 avril 2012

Tunisie : À Tunis, la fête des Martyrs violemment réprimée

Dix heures du matin, ce 9 avril. Les manifestants se rassemblent place des Droits de l’homme sur l’avenue Mohamed V, à Tunis. "Le 9 avril est la fête des Martyrs, de ceux qui sont tombés pour le pays au moment de l’indépendance, mais aussi de ceux qui se sont battus pour les libertés sous la dictature." Emna Menif, présidente du mouvement associatif Kolna Tounes, est vêtue de rouge, un drapeau tunisien à la main droite et un mégaphone en bandoulière. Son téléphone sonne. Elle vient d’être informée que des manifestants se font "frapper" devant le ministère de l’Intérieur, sur l’avenue Habib-Bourguiba. La principale avenue de Tunis est interdite à toute manifestation depuis le 28 mars dernier, après l’agression de comédiens, le 25 mars, par des salafistes. Le ministère avait alors autorisé ces deux manifestations en même temps.

"Nous avons fait cette révolution pour l’emploi, la liberté, la dignité. Samedi [7 avril], des chômeurs se sont fait tabasser. Les membres du gouvernement ne doivent pas oublier que c’est grâce à eux et à la révolution qu’ils sont à ces postes. Tous les symboles de la révolution sont balayés. Les familles des martyrs sont toujours en attente, les blessés de la révolution aussi. Les chômeurs et toutes les revendications pour les libertés sont oubliés. Nous avons déposé une demande pour manifester sur l’avenue Bourguiba, mais on a refusé de la réceptionner", poursuit-elle.

Des drapeaux tunisiens flottent, l’hymne national est entonné. Pendant que des milliers de manifestants se dirigent vers l’avenue Habib-Bourguiba, les policiers s’organisent sur l’avenue Mohamed V. Casqués, armés de boucliers et de pistolets à gaz lacrymogènes, ils font barrage.

"Dégage ! Dégage !", "la rue est au peuple", scandent les manifestants. Dans la foule, un morceau de citron à la main pour dissiper les effets des gaz lacrymogènes, Radhia Nasraoui, avocate et militante des droits de l’homme, accompagnée de son mari Hamma Hamami, président du PCOT (Parti communiste des ouvriers de Tunisie), assure être en train de "revivre tout ce qu’[elle] a vécu sous Ben Ali : la répression, le fait de ne pas avoir le droit de s’exprimer". "L’avenue Habib-Bourguiba est un symbole, nous voulons la libérer."
Quelques manifestants arrivent alors à s’infiltrer à travers le cordon de police, qui répond en envoyant des gaz lacrymogènes. La foule se disperse et certains se réfugient dans les rues adjacentes. Tout le centre de Tunis est bouclé. Selon certains manifestants, ce n’était pas arrivé depuis février 2011. Dans les rues voisines, des affrontements ont lieu. Près du Monoprix, non loin de la rue de Marseille, des pierres jonchent le sol. Des barricades sont montées, un camion de police n’hésite pas à foncer sur des manifestants, ne touchant heureusement personne. Un rideau de fer se lève, quatre hommes sortent. Ils s’étaient réfugiés dans ce magasin de musique pendant près de 30 minutes, "à cause des gaz lacrymogènes".

Mêmes scènes sur l’avenue Habib-Bourguiba. Les rideaux de fer sont baissés. Les terrasses des cafés sont bouclées. Les chaises sont empilées les unes sur les autres. Près de l’hôtel International, à l’angle de l’avenue de Paris, des gaz lacrymogènes sont envoyés. Des policiers, en uniforme et en civil, chargent les manifestants, dont certains frappent aux portes des magasins pour trouver un refuge. Des journalistes se sont fait agresser, dont Zohra Abid, journaliste de Kapitalis. Fatma Riahi, présidente de l’Association des blogueurs, a été transportée à l’hôpital. Des arrestations ont également eu lieu, dont celle de Jaouhar Ben Mbarek, membre du réseau Doustourna, qui avait alors le bras en écharpe. Il était présent dans la matinée devant le ministère de l’Intérieur, cerclé de barbelés.

"On ne va pas laisser s’installer le chaos. Les gens ont la possibilité de manifester ailleurs que sur l’avenue Bourguiba", a déclaré, selon l’AFP, le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Khaled Tarrouche, sur la radio nationale. En début d’après-midi, un sit-in était en train de s’organiser devant l’Assemblée constituante au Bardo.

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