C’est à Achabrache, village abandonné par ses habitants en 2007, que le MNLA maintient en captivité une centaine de militaires, arrêtés à l’issue des batailles pour la prise de Ménaka, Tessalit, Kidal et Tin Zaouatine. Coupés du monde depuis plus de trois mois pour bon nombre d’entre eux, souffrant de maladies contagieuses, de blessures par balle, de sous-alimentation et de manque d’hygiène, ils crient leur détresse.
De notre envoyée spéciale
à Achebrache (nord du Mali)
Depuis le début de la rébellion au nord du Mali, 400 militaires maliens ont été arrêtés par les combattants du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA). Une centaine d’entre eux sont transférés de Ménaka, Tessalit, Kidal et Tin Zaouatine, vers Achebrache, ce village abandonné en 2007 par ses habitants à cause des exactions commises par les militaires maliens. Le village qu’aimait tant feu Brahim Ag Bahanga pour sa verdure et sa beauté au point d’en faire sa résidence. Aujourd’hui, Achebrache n’est que ruines. Des maisons, il ne reste que les murs. Les portes et les toits n’existent plus, alors que les arbres, signe d’un passé fructueux, ne sont plus que des troncs éventrés. Vidé de son âme, le lieu n’est occupé que par les militaires maliens qui ont fait de l’école et de nombreuses demeures des fortifications. La seule construction digne de ce nom reste cette immense caserne en état d’achèvement, réalisée, nous dit-on, pour accueillir les Américains.
La présence de prisonniers dans ces lieux nous interpelle. Le commandant Moussa Ag Ahmed accepte volontiers de nous faire visiter les lieux de détention. «Nous n’avons rien à cacher. Ce sont des militaires arrêtés pendant ou après les combats. Personne ne veut d’eux. Nous n’avons pas les moyens de les prendre en charge convenablement. Ils sont bien traités mais nous voulons qu’ils repartent chez eux. Ni leur gouvernement ni les ONG humanitaires ne s’inquiètent pour leur sort. Vous êtes les premiers à vouloir les rencontrer», déclare l’officier. Il enfile sa kalachnikov et se met à côté du chauffeur d’une Toyota Station.
A l’arrière, deux jeunes munis de kalachnikovs et d’une mitrailleuse. Un autre véhicule du même type, bien armé aussi, est à l’arrière pour sécuriser le convoi. Ce dernier traverse des kilomètres de pistes rocailleuses. «J’ai perdu plusieurs de mes hommes sur cette piste. Les militaires l’ont bourrée de mines antipersonnel. Nous n’avons sécurisé que ce tronçon pour pouvoir passer. Si nous dévions de quelques centimètres, c’est la fin», explique le commandant.
Le nouveau drapeau de l’Azawad, de couleurs rouge, verte et noire avec un triangle jaune, flotte sur toutes les bâtisses en ruine, tandis que sur les grands rochers qui surplombent la route, il est tout simplement dessiné à la main.
Sur notre chemin, de nombreux chars et véhicules militaires, totalement détruits, sont abandonnés. Les quantités énormes de douilles de gros calibres qui jonchent la route montrent la violence avec laquelle le village a été pris aux militaires. «Ici, l’armée a beaucoup résisté. Les échanges de tirs ont duré trois jours après un siège d’un mois. A la fin, les militaires ont pris la fuite vers l’Algérie», raconte un des gardes de l’officier. Il nous emmène vers le premier groupe de prisonniers. Ils sont dans un espace à l’air libre, mais surveillés par plusieurs combattants du MNLA. Ils sont une trentaine, peut-être un peu plus. Parmi eux, deux commandants, un capitaine, trois lieutenants, des sous-officiers et des soldats. Le manque d’hygiène est flagrant. Certains n’arrêtent pas de se gratter.
«Nous voulons juste informer juste informer nos familles que nous sommes en bonne santé. Cela fait presque trois mois que nous sommes ici. Nous mangeons à peine et beaucoup d’entre nous n’ont pu se changer ou prendre une douche», lance un des captifs.
Les poux envahissent les corps des détenus et les murs de leurs cellules
Certains ont les larmes aux yeux. D’autres n’hésitent pas à nous prier, en sanglotant, de faire parvenir leur cri de détresse. La majorité vient de Ménaka et de Tessalit. Tous veulent parler. Ils ont des haut-le-cœur. «Au nom du Seigneur, faites quelque chose pour nous. Nous ne savons pas ce qui se passe à Bamako ni pourquoi notre hiérarchie ne cherche plus après nous. Nous voulons entrer en contact avec nos familles et les rassurer. Nos femmes et nos enfants n’ont pas de nouvelles de nous depuis près de trois mois», témoigne, en larmes, un commandant.
Nos accompagnateurs nous dirigent par la suite vers le deuxième point de détention, situé à quelques kilomètres, que nous traversons difficilement. Au nombre de quarante, les prisonniers sont entassés dans l’ancienne école désaffectée que les militaires avaient détruite vers la fin des années 2000. Les impacts d’armes lourdes sont visibles sur tous les murs.
Les prisonniers sortent un à un de l’école. Ils sont dans un état dramatique. Ils ne cessent de se gratter le corps et la tête. Certains sont blessés ; d’autres, très nombreux, très affaiblis. «Le plâtre qu’ils m’ont mis à la suite de la fracture doit être changé mais ils me disent qu’ils n’en ont pas. Je risque une infection et je souffre le martyre à cause des douleurs. Je veux juste être soigné», déclare un prisonnier d’une voix coléreuse. Il est interrompu par un autre : «Je suis hypertendu et je n’ai pas mes médicaments. Je risque de mourir à tout instant. Pourquoi ne veulent-ils pas me soigner ?» Un autre jeune : «Je me gratte tout le temps. Les poux ont envahi les murs de l’école. Nous sommes tous contaminés et nous n’avons rien pour nous soigner. Nous ne nous lavons pas et nous n’avons pas de vêtements de rechange. Faites quelque chose pour nous.»
Des propos qui encouragent les autres prisonniers à s’exprimer. Tous se plaignent de poux et de morpions. Le manque d’hygiène est flagrant. Un jeune soldat s’avance et exhibe son pied, enflé et infecté. «J’ai été blessé par des éclats de balle. L’infirmier m’a mis juste de la Bétadine. Les douleurs me font souffrir atrocement. Regardez comme mon pied a enflé. Je n’arrive plus à marcher. Il faut que je me soigne», crie-t-il, avant d’être interrompu par un officier : «Je suis asthmatique et je dois utiliser mon aérosol. Parfois, j’ai l’impression de mourir à cause des crises d’asthme, mais ici, ils n’ont rien à me donner.» «Nous ne sommes pas maltraités, mais nous manquons du strict minimum», souligne un détenu, avant que nos accompagnateurs ne décident de mettre fin à la discussion. Ils nous emmènent vers le dernier lieu de détention, à l’autre bout du village. Il s’agit de militaires, mais également de gendarmes arrêtés à l’issue des combats.
Leur état est terrifiant. Vêtements en lambeaux et les pieds nus, ils manquent terriblement d’hygiène. Ici également, ils ne cessent de se gratter la tête et le corps et souffrent d’allergies. «Nous n’avons pas pris de douche depuis des semaines et nous portons les mêmes vêtements depuis plus de trois mois. Nous sommes coupés du monde ; nous voulons juste contacter nos familles pour les rassurer», déclare l’un d’eux.
L’infirmier de la prison intervient. «C’est vrai je manque de tout ici. De sparadrap, de désinfectants, d’antibiotiques et de médicaments antidouleur. Le mouvement n’a pas les moyens nécessaires pour avoir une bonne pharmacie et un médecin. Je travaille avec les moyens de bord, et ils sont vraiment rudimentaires», dit-il, avant qu’un prisonnier ne s’invite brusquement : «Je souffre de mal au ventre depuis des semaines et personne ne veut me donner de médicaments.» Il est subitement poussé par un autre prisonnier qui veut à tout prix parler : «Je ne sais pas ce qui se passe à Bamako, mais je veux juste que les ONG humanitaires se penchent sur notre sort. Nous voulons partir d’ici et retrouver nos familles. De grâce, faites passer le message. Nous sommes en train de mourir à petit feu…»
Des propos poignants, très durs à supporter. Le commandant Moussa se déclare conscient des «conditions extrêmement difficiles dans lesquelles se trouvent les prisonniers. Mais que voulez-vous ? Nous n’avons pas les moyens de leur assurer une prise en charge sanitaire. Leur gouvernement ne veut pas les récupérer et, de notre côté, nous ne pouvons les laisser partir de peur qu’il leur arrive quelque chose en cours de route.» «Nous voulons que les ONG humanitaires viennent leur rendre visite pour qu’elles constatent d’elles-mêmes le traitement qui leur est réservé», note le commandant Moussa Ag Ahmed. Il affirme que le Mouvement a capturé 400 militaires maliens dont le sort «n’inquiète personne». Il s’offusque du silence des ONG humanitaires et du gouvernement de Bamako qui, à ce jour, «ne se sont pas manifestés». Nous quittons les lieux le cœur serré. Ces dizaines de militaires ne savent même pas que leur président, Amadou Toumani Touré, a été renversé et qu’un militaire, comme eux, est au pouvoir depuis le 22 mars dernier.
(Dimanche 8 avril 2012,El Watan,Algérie)
à Achebrache (nord du Mali)
Depuis le début de la rébellion au nord du Mali, 400 militaires maliens ont été arrêtés par les combattants du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA). Une centaine d’entre eux sont transférés de Ménaka, Tessalit, Kidal et Tin Zaouatine, vers Achebrache, ce village abandonné en 2007 par ses habitants à cause des exactions commises par les militaires maliens. Le village qu’aimait tant feu Brahim Ag Bahanga pour sa verdure et sa beauté au point d’en faire sa résidence. Aujourd’hui, Achebrache n’est que ruines. Des maisons, il ne reste que les murs. Les portes et les toits n’existent plus, alors que les arbres, signe d’un passé fructueux, ne sont plus que des troncs éventrés. Vidé de son âme, le lieu n’est occupé que par les militaires maliens qui ont fait de l’école et de nombreuses demeures des fortifications. La seule construction digne de ce nom reste cette immense caserne en état d’achèvement, réalisée, nous dit-on, pour accueillir les Américains.
La présence de prisonniers dans ces lieux nous interpelle. Le commandant Moussa Ag Ahmed accepte volontiers de nous faire visiter les lieux de détention. «Nous n’avons rien à cacher. Ce sont des militaires arrêtés pendant ou après les combats. Personne ne veut d’eux. Nous n’avons pas les moyens de les prendre en charge convenablement. Ils sont bien traités mais nous voulons qu’ils repartent chez eux. Ni leur gouvernement ni les ONG humanitaires ne s’inquiètent pour leur sort. Vous êtes les premiers à vouloir les rencontrer», déclare l’officier. Il enfile sa kalachnikov et se met à côté du chauffeur d’une Toyota Station.
A l’arrière, deux jeunes munis de kalachnikovs et d’une mitrailleuse. Un autre véhicule du même type, bien armé aussi, est à l’arrière pour sécuriser le convoi. Ce dernier traverse des kilomètres de pistes rocailleuses. «J’ai perdu plusieurs de mes hommes sur cette piste. Les militaires l’ont bourrée de mines antipersonnel. Nous n’avons sécurisé que ce tronçon pour pouvoir passer. Si nous dévions de quelques centimètres, c’est la fin», explique le commandant.
Le nouveau drapeau de l’Azawad, de couleurs rouge, verte et noire avec un triangle jaune, flotte sur toutes les bâtisses en ruine, tandis que sur les grands rochers qui surplombent la route, il est tout simplement dessiné à la main.
Sur notre chemin, de nombreux chars et véhicules militaires, totalement détruits, sont abandonnés. Les quantités énormes de douilles de gros calibres qui jonchent la route montrent la violence avec laquelle le village a été pris aux militaires. «Ici, l’armée a beaucoup résisté. Les échanges de tirs ont duré trois jours après un siège d’un mois. A la fin, les militaires ont pris la fuite vers l’Algérie», raconte un des gardes de l’officier. Il nous emmène vers le premier groupe de prisonniers. Ils sont dans un espace à l’air libre, mais surveillés par plusieurs combattants du MNLA. Ils sont une trentaine, peut-être un peu plus. Parmi eux, deux commandants, un capitaine, trois lieutenants, des sous-officiers et des soldats. Le manque d’hygiène est flagrant. Certains n’arrêtent pas de se gratter.
«Nous voulons juste informer juste informer nos familles que nous sommes en bonne santé. Cela fait presque trois mois que nous sommes ici. Nous mangeons à peine et beaucoup d’entre nous n’ont pu se changer ou prendre une douche», lance un des captifs.
Les poux envahissent les corps des détenus et les murs de leurs cellules
Certains ont les larmes aux yeux. D’autres n’hésitent pas à nous prier, en sanglotant, de faire parvenir leur cri de détresse. La majorité vient de Ménaka et de Tessalit. Tous veulent parler. Ils ont des haut-le-cœur. «Au nom du Seigneur, faites quelque chose pour nous. Nous ne savons pas ce qui se passe à Bamako ni pourquoi notre hiérarchie ne cherche plus après nous. Nous voulons entrer en contact avec nos familles et les rassurer. Nos femmes et nos enfants n’ont pas de nouvelles de nous depuis près de trois mois», témoigne, en larmes, un commandant.
Nos accompagnateurs nous dirigent par la suite vers le deuxième point de détention, situé à quelques kilomètres, que nous traversons difficilement. Au nombre de quarante, les prisonniers sont entassés dans l’ancienne école désaffectée que les militaires avaient détruite vers la fin des années 2000. Les impacts d’armes lourdes sont visibles sur tous les murs.
Les prisonniers sortent un à un de l’école. Ils sont dans un état dramatique. Ils ne cessent de se gratter le corps et la tête. Certains sont blessés ; d’autres, très nombreux, très affaiblis. «Le plâtre qu’ils m’ont mis à la suite de la fracture doit être changé mais ils me disent qu’ils n’en ont pas. Je risque une infection et je souffre le martyre à cause des douleurs. Je veux juste être soigné», déclare un prisonnier d’une voix coléreuse. Il est interrompu par un autre : «Je suis hypertendu et je n’ai pas mes médicaments. Je risque de mourir à tout instant. Pourquoi ne veulent-ils pas me soigner ?» Un autre jeune : «Je me gratte tout le temps. Les poux ont envahi les murs de l’école. Nous sommes tous contaminés et nous n’avons rien pour nous soigner. Nous ne nous lavons pas et nous n’avons pas de vêtements de rechange. Faites quelque chose pour nous.»
Des propos qui encouragent les autres prisonniers à s’exprimer. Tous se plaignent de poux et de morpions. Le manque d’hygiène est flagrant. Un jeune soldat s’avance et exhibe son pied, enflé et infecté. «J’ai été blessé par des éclats de balle. L’infirmier m’a mis juste de la Bétadine. Les douleurs me font souffrir atrocement. Regardez comme mon pied a enflé. Je n’arrive plus à marcher. Il faut que je me soigne», crie-t-il, avant d’être interrompu par un officier : «Je suis asthmatique et je dois utiliser mon aérosol. Parfois, j’ai l’impression de mourir à cause des crises d’asthme, mais ici, ils n’ont rien à me donner.» «Nous ne sommes pas maltraités, mais nous manquons du strict minimum», souligne un détenu, avant que nos accompagnateurs ne décident de mettre fin à la discussion. Ils nous emmènent vers le dernier lieu de détention, à l’autre bout du village. Il s’agit de militaires, mais également de gendarmes arrêtés à l’issue des combats.
Leur état est terrifiant. Vêtements en lambeaux et les pieds nus, ils manquent terriblement d’hygiène. Ici également, ils ne cessent de se gratter la tête et le corps et souffrent d’allergies. «Nous n’avons pas pris de douche depuis des semaines et nous portons les mêmes vêtements depuis plus de trois mois. Nous sommes coupés du monde ; nous voulons juste contacter nos familles pour les rassurer», déclare l’un d’eux.
L’infirmier de la prison intervient. «C’est vrai je manque de tout ici. De sparadrap, de désinfectants, d’antibiotiques et de médicaments antidouleur. Le mouvement n’a pas les moyens nécessaires pour avoir une bonne pharmacie et un médecin. Je travaille avec les moyens de bord, et ils sont vraiment rudimentaires», dit-il, avant qu’un prisonnier ne s’invite brusquement : «Je souffre de mal au ventre depuis des semaines et personne ne veut me donner de médicaments.» Il est subitement poussé par un autre prisonnier qui veut à tout prix parler : «Je ne sais pas ce qui se passe à Bamako, mais je veux juste que les ONG humanitaires se penchent sur notre sort. Nous voulons partir d’ici et retrouver nos familles. De grâce, faites passer le message. Nous sommes en train de mourir à petit feu…»
Des propos poignants, très durs à supporter. Le commandant Moussa se déclare conscient des «conditions extrêmement difficiles dans lesquelles se trouvent les prisonniers. Mais que voulez-vous ? Nous n’avons pas les moyens de leur assurer une prise en charge sanitaire. Leur gouvernement ne veut pas les récupérer et, de notre côté, nous ne pouvons les laisser partir de peur qu’il leur arrive quelque chose en cours de route.» «Nous voulons que les ONG humanitaires viennent leur rendre visite pour qu’elles constatent d’elles-mêmes le traitement qui leur est réservé», note le commandant Moussa Ag Ahmed. Il affirme que le Mouvement a capturé 400 militaires maliens dont le sort «n’inquiète personne». Il s’offusque du silence des ONG humanitaires et du gouvernement de Bamako qui, à ce jour, «ne se sont pas manifestés». Nous quittons les lieux le cœur serré. Ces dizaines de militaires ne savent même pas que leur président, Amadou Toumani Touré, a été renversé et qu’un militaire, comme eux, est au pouvoir depuis le 22 mars dernier.
(Dimanche 8 avril 2012,El Watan,Algérie)
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