L’influente armée égyptienne, en position d’arbitrage dans la grave
crise politique qui secoue le pays, a décidé d’accroître la pression sur
le président islamiste Mohamed Morsi, à la grande satisfaction de ses
opposants, mais ce choix ouvre de nombreuses incertitudes, estiment des
analystes.
Le commandement militaire a annoncé qu’il donnait un délai de 48 heures à
toutes les parties pour faire en sorte que "les demandes du peuple
soient satisfaites", faute de quoi l’armée serait amenée à mettre en
oeuvre une "feuille de route" pour une sortie de crise.
Bien que l’injonction de parvenir à un accord s’adresse à toute la
classe politique, "c’est dans les faits un ultimatum donné au
président", estime Hassan Nafaa, politologue à l’Université du Caire.
"L’armée lui donne 48 heures pour accepter ce que le peuple demande", et
après les manifestations géantes de dimanche contre le chef de l’Etat
"il n’y a qu’une demande, celle d’une élection présidentielle anticipée"
qui signifierait son départ à brève échéance, ajoute-t-il.
Le mouvement Tamarrod (rébellion, en arabe), à l’origine des
rassemblements réclamant la démission de M. Morsi, de même que les
manifestants présents sur la place Tahrir au Caire ont salué la
déclaration de l’armée, affirmant qu’elle se rangeait "aux côtés du
peuple".
Les voix s’étaient multipliées depuis dimanche dans l’opposition pour
appeler l’armée à faire pression sur M. Morsi. Une de ses figures de
proue, le nationaliste de gauche Hamdeen Sabbahi, l’a notamment appelée à
"agir" si M. Morsi s’accroche au pouvoir.
Le ministre de la Défense et chef de l’armée, le général Abdel Fattah
al-Sissi, qui a assuré la semaine dernière que l’institution militaire
ne laisserait pas le pays partir à la dérive, fait dans ce contexte
figure d’homme-clé.
Il avait déclaré il y a une semaine qu’il était "du devoir national et
moral de l’armée d’intervenir" en cas de risque "d’effondrement des
institutions de l’Etat", pour éviter au pays de "plonger dans un tunnel
sombre de conflits et de troubles".
L’officier s’était toutefois gardé de prendre ouvertement parti, ou de
préciser quelle forme pourrait avoir une action de l’armée. L’opposition
avait salué ces déclarations, tandis que la présidence s’était à
l’époque empressée de démentir toute divergence entre M. Morsi et son
ministre de la Défense.
Mais le retour au premier plan de l’armée, qui avait assuré une
direction controversée du pays entre la chute de Hosni Moubarak début
2011 et l’élection de M. Morsi en juin 2012, est potentiellement semé
d’embûches.
Pour le politologue Mostafa Kamel el-Sayyed, "les forces armées veulent
que le pays sorte de cette situation et évite une guerre civile, mais ne
veulent plus assumer directement le pouvoir".
Reste également à savoir comment le président et sa formation d’origine,
les Frères musulmans, vont réagir aux injonctions des militaires.
"Une intervention de l’armée n’est pas une solution à long terme, et la
coalition de l’opposition actuelle est trop faible et indécise pour
assurer une direction stable au pays", estime de son côté l’institut
britannique Maplecroft dans une étude diffusée lundi.
"Toute action de la part des militaires ne peut apporter qu’une solution
à court terme, au mieux", ajoute l’auteur, Oliver Coleman.
Certains haut gradés égyptiens confessent en privé garder un souvenir
difficile de la période où ils ont directement géré les affaires. A
l’époque, les mêmes opposants qui aujourd’hui en appellent aux
militaires n’avaient pas de mots assez durs pour critiquer le Conseil
suprême des forces armées (CSFA), accusé de perpétuer un pouvoir
autoritaire et d’être responsable de graves violations des droits de
l’Homme.
La mise à l’écart par M. Morsi en août 2012 du puissant chef du CSFA et
ministre de la Défense, le maréchal Hussein Tantaoui, avait été
accueillie avec soulagement par la classe politique et l’opinion.
Le remplacement de ce septuagénaire très proche de Moubarak par le
général Sissi, de vingt ans son cadet, avait traduit un renouvellement
au sein de l’hermétique caste militaire égyptienne.
A l’origine jugé compatible avec un pouvoir islamiste, le ministre de la
Défense est désormais présenté comme critique de l’action du président,
et soucieux de préserver l’image de l’institution militaire.
(01-07-2013)
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