Nassera Dutour est porte-parole du Collectif des Familles de disparus
en Algérie, qui vient de publier un rapport intitulé « Le régime
algérien à l’épreuve des droits de l’Homme, l’illusion du changement ».
Elle fait le point sur la reconnaissance des milliers de disparitions
forcées pratiquées par l’Etat dans les années 1990...
Les disparitions forcées ont été l’un des instruments principaux de
la « sale guerre » déclenchée en janvier 1992 par les généraux algériens
contre ses opposants et la population civile. L’Algérie a reconnu
officiellement le nombre des « disparus » à 8.023, selon le Collectif
des Familles de disparus en Algérie (CFDA), mais les ONG de défense des
droits de l’Homme l’estiment aujourd’hui de 15 000 à 20 000. Des
familles de disparus continuent à se mobiliser pour obtenir la vérité
sur le sort de leurs proches. Nassera Dutour, porte-parole du CFDA et
dont le fils a lui-même disparu en 1997, fait le point sur la situation.
Vous militez depuis 1998, date de la création du Collectif
des Familles de disparus en Algérie (CFDA), pour « défendre le droit à
la vérité et à la justice des familles de disparus ». Avez-vous obtenu
des satisfactions ?
Non malheureusement, aucune. On a cru que oui, pendant un moment. En
2001, une pétition avait été signée par douze députés algériens
réclamant la vérité et la reconnaissance officielle de 4.884 cas de
disparitions par le ministère de l’Intérieur. Jusqu’alors, cette
histoire avait été totalement niée par l’Etat, donc on était plutôt
content. En 2002, on nous a dit « le problème sera réglé ». Une
commission soit disant de « vérité » a été mise en place à la veille de
la présidentielle [la Charte pour la paix et la réconciliation
nationale, ndlr]. Puis il ne s’est rien passé.
Les familles ont tout de même été convoquées à se présenter à
la Commission nationale consultative pour la promotion et la protection
des droits de l’homme. Dans quel but ?
Ils n’ont pas donné le motif de convocation. Sur place, il ne s’agissait
que de remplir un formulaire sur les circonstances de la disparition,
alors que des mères de disparus s’attendaient à des bonnes nouvelles.
J’en ai vu s’évanouir, d’autres pleurer. En fait, ils voulaient savoir
qui acceptait d’être indemnisé. Depuis, l’Etat dit que ces disparus sont
décédés. Mais où sont les corps ? Pourquoi ne pas les rendre aux
familles ? Ils essaient de classer l’affaire. La quasi-totalité des
familles ont accepté l’indemnisation, mise en place à partir de 2006 et
d’un montant d’environ 16.000 dinars par mois [le smic est à 18.000
dinars] à partager entre l’épouse, le père, la mère et les enfants.
Vous êtes vous-même une mère de disparu après l’enlèvement de
votre fils Amine le 30 janvier 1997. Mais vous refusez cette
indemnisation…
Oui car leur stratégie c’est d’indemniser les familles pour les faire
taire. La procédure d’indemnisation devait durer douze mois. Or,
aujourd’hui encore, je suis convoquée tout le temps pour cela. J’ai dû
faire une lettre pour dire que c’était du harcèlement et que je n’en
voulais pas ! Quand on reçoit une convocation, il y a toujours un
doute : va-t-il être vivant ? Mort ? J’ai appris la disparition de mon
fils par téléphone. Depuis, à chaque coup de fil, je tressaute. Je
reçois aussi des menaces et des appels anonymes.
Au début, les familles des disparus étaient mal perçues…
Oui car les gens croyaient que c’était des terroristes, comme le
répétaient les autorités. Parfois on nous considère encore comme tel,
mais on a fait évoluer les mentalités. Depuis 1998, on fait un
rassemblement hebdomadaire devant la Commission nationale pour la
promotion et la protection des droits de l’Homme (CNCPPDH), à Alger.
Cela a fini par attirer la sympathie.
Attendez-vous toujours le retour de votre fils ?
Ça dépend des moments. Au bout de quinze ans, on se dit qu’il ne va pas
revenir. Mais c’est lui qui revient dans mes rêves et me secoue. Il ne
veut pas que je croie qu’il est mort. Avec les autorités, on verra qui
aura le dernier mot. On saura la vérité. Si ce n’est pas aujourd’hui, ce
sera demain. En Argentine, le processus a duré 30 ans, et aujourd’hui
des procès sont en cours.
Pensez-vous que cela puisse changer après l’ère Bouteflika ?
Après Bouteflika il y aura un autre Bouteflika, que l’on n’aura pas élu librement. Cela ne changera pas.
(29-07-2013 - Propos recueillis par Faustine Vincent)
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