Le Conseil supérieur de la justice en Egypte a ouvert lundi la voie à la
tenue du référendum controversé sur la Constitution prévu le 15
décembre, en décidant de déléguer des magistrats pour le superviser
malgré l’appel au boycott de plusieurs juges.
Cette instance chargée des affaires administratives de la magistrature a
annoncé qu’elle donnait son accord pour "déléguer les juges et les
membres du Parquet général pour superviser le référendum sur le projet
de Constitution", selon l’agence officielle égyptienne Mena.
Les scrutins en Egypte doivent se dérouler sous supervision judiciaire.
La décision du Conseil supérieur de la justice illustre les désaccords
entre les magistrats du pays, lui-même profondément divisé, sur le
projet de Constitution et le décret du 22 novembre par lequel le
président islamiste Mohamed Morsi a considérablement élargi ses
pouvoirs.
Le pouvoir judiciaire est engagé dans une épreuve de force avec M. Morsi
depuis le décret, qui interdit notamment tout recours en justice contre
les décisions du président et contre la commission constituante,
boycottée par l’opposition de gauche et laïque ainsi que par les Eglises
chrétiennes.
Le projet de loi fondamentale, adopté en toute hâte par cette commission
dominée par les islamistes et accusé de saper certains droits
fondamentaux, est au coeur de la crise politique la plus grave que
connaît l’Egypte depuis l’élection de M. Morsi en juin.
L’opposition a prévu une nouvelle manifestation mardi, dite du "dernier
avertissement", devant le palais présidentiel cette fois.
Le Club des juges, un syndicat professionnel représentant des magistrats
à travers le pays, a annoncé dimanche qu’il boycotterait le référendum
convoqué par M. Morsi, espérant retirer toute légitimité au vote.
Et La Haute cour constitutionnelle a rejoint la Cour de cassation et
d’autres tribunaux du pays dans une grève illimitée pour dénoncer les
"pressions" du camp islamiste.
Selon des experts, la décision du Conseil supérieur de la justice n’est
pas contraignante mais elle signifie que des juges sont prêts à
superviser le référendum.
"Il n’y aura peut-être pas de juge pour chaque urne, mais peut-être un
juge pour chaque bureau de vote", a dit à l’AFP l’enseignant en sciences
politiques à l’Université du Caire Mustapha Kamel al-Sayyed.
Un haut responsable du Parti de la liberté et de la justice (PLJ), la
formation de M. Morsi, a estimé que la fronde des juges n’empêcherait
pas le bon déroulement du référendum.
"Je suis sûr qu’au final, les juges vont superviser le référendum. Nous
avons 14.000 juges. Personne n’a dit que les 14.000 étaient du même
avis" sur les pouvoirs de M. Morsi et sur la Constitution, a dit à l’AFP
Amr Darrag.
D’après Mohamed Gadallah, conseiller juridique du président, le Conseil
d’état, qui conseille juridiquement le gouvernement, a pris la même
décision que le Conseil supérieur de la justice.
"La plus grande instance en charge des juges est le Conseil supérieur de
la justice. Ils ont compris qu’ils avaient une responsabilité vis-à-vis
de la nation", a-t-il dit.
Le décret de M. Morsi a provoqué une crise politique à l’origine d’une
forte mobilisation dans la rue. Samedi, des centaines de milliers
d’islamistes ont manifesté leur soutien à M. Morsi, au lendemain d’un
rassemblement massif de l’opposition.
Les jeunes du Front du salut national (FSN), une coalition d’opposition
dont font partie le parti de la Constitution de Mohamed ElBaradei et le
mouvement du Courant populaire de Hamdeen Sabbahi, un ancien candidat à
la présidence, ont prévu de marcher mardi sur le palais présidentiel.
Si M. Morsi maintient son décret, "nous verrons quelles mesures nous
prendrons", a dit à l’AFP Tarek el-Khouly du mouvement du 6-Avril,
membre du FSN, en n’écartant pas un appel à la désobéissance civile.
Lundi, plusieurs quotidiens ont publié en Une le même dessin montrant un
journal sous forme humaine menotté dans une cellule, avec en légende :
"Une Constitution qui supprime des droits et menotte la liberté. Non à
la dictature".
Ces journaux, dont Al-Watan et Al-Masry Al-Youm, font partie des 11
quotidiens qui ne paraîtront pas mardi pour protester contre le manque
de garanties pour la liberté de la presse dans le projet de
Constitution.
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