vendredi 21 décembre 2012

Syrie : En Syrie, la réalité du terrain serait bien différente de celle présentée par les dirigeants occidentaux.

À en croire les dirigeants occidentaux, le régime syrien serait au bord du précipice. Celui-ci serait "proche de l’effondrement (...) ce n’est qu’une question de temps", a déclaré le 13 décembre le secrétaire général de l’Otan, Anders Fogh Rasmussen. "La fin se rapproche pour Bachar el-Assad", a renchéri dimanche Laurent Fabius. "Vous avez vu, même si c’est controversé, que même les Russes l’envisagent", a ajouté le chef de la diplomatie française.

En effet, même à Moscou, pourtant allié indéfectible de Damas, le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov, a annoncé que le régime syrien perdait "de plus en plus" le contrôle du pays et qu’une victoire de l’opposition dans ce conflit n’est pas à exclure. Le responsable russe avait ensuite été sévèrement repris par le Kremlin. Diplomatiquement, cela se traduit par un démenti du ministère russe des Affaires étrangères, affirmant que la Russie n’avait "jamais changé et ne changera jamais sa position".

"Cela fait un an et demi, soit depuis avril 2011, que l’on entend les responsables occidentaux annoncer la fin proche de Bachar el-Assad", rappelle Rami Abdul Rahmane, directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme, une ONG basée à Londres et disposant d’un vaste réseau d’observateurs et de militants en Syrie. "Or, le régime syrien pouvant se reposer sur une armée de 400 000 soldats et sur 200 000 agents de sécurité, en sachant qu’environ 50 000 d’entre eux ont été arrêtés, blessés ou tués par l’opposition, il reste encore à Bachar el-Assad au moins 400 000 hommes", estime le militant syrien.

En dépit de ce déséquilibre des forces sur le terrain, les médias occidentaux relaient, depuis plusieurs semaines, des avancées spectaculaires des rebelles, qui ont pris le contrôle de plusieurs casernes de l’armée syrienne. Disposant désormais de missiles sol-air, les opposants ont réussi à s’unir sous l’égide d’un commandement commun. Une première étape avant la possible levée de l’embargo européen sur les armes à destination de la Syrie, autrement dit de l’armement des rebelles par l’Occident.

Toutefois, ces mêmes médias, qui s’appuient en majorité sur les informations de l’Observatoire syrien des droits de l’homme, n’oublient pas de préciser que les plus importantes percées "rebelles" sont à attribuer à Jabhat al-Nosra (Front de défense du peuple syrien), un groupe djihadiste exclusivement composé de Syriens, qui a revendiqué plusieurs attentats-suicides. L’organisation liée à al-Qaïda a récemment été placée par les États-Unis sur leur liste des organisations terroristes, provoquant l’ire de l’opposition syrienne.
Mais d’après le chercheur spécialiste de la Syrie, Fabrice Balanche*, les dernières avancées rebelles sont également à attribuer à une stratégie délibérée de l’armée de Bachar el-Assad. "L’armée régulière adopte une méthode de contre-insurrection", explique-t-il. "Elle se retire des zones où les populations lui sont hostiles, et où elle pourrait donc facilement être la proie des rebelles, pour se replier sur les grandes villes." Rami Abdul Rahmane confirme que le régime contrôle toujours la plupart des grandes métropoles du pays : al Hasaka, Idleb, Hama, Homs et Damas, ainsi que la côte ouest, peuplée par les populations alaouites (minorité religieuse à laquelle appartient Bachar el-Assad).

"Quant aux villes disputées comme Alep, et Deir Ezzor, le régime y conserve toujours une présence militaire, lui permettant de contrôler certains pans", ajoute le directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme. "Cette configuration permet au régime de lancer des offensives quand bon lui semble." Pour Fabrice Balanche, la Syrie demeure aujourd’hui divisée en trois zones : la moitié du pays aux mains de Bachar el-Assad, une zone aux mains des rebelles, et une autre disputée. "En termes de population, cela se traduit par 50 % pour le régime, 15 à 20 % pour les rebelles et 25 % pour les zones disputées, car il ne faut pas oublier les 8 % de la population syrienne aux mains des milices kurdes", dans le nord du pays, précise le chercheur.

Autre stratégie menée par les forces loyalistes, celle dite du pourrissement. "L’armée régulière attend que les rebelles soient rejetés par la population avant de mener leur offensive." L’entrée dans une ville de combattants de l’Armée syrienne libre (ASL) est souvent suivie de bombardements des chars des forces loyalistes, et aujourd’hui de ceux des avions de combats de Damas. Malgré le froid, les populations n’ont d’autre choix que de fuir, nourrissant le flot ininterrompu de réfugiés quittant le pays.

"Ces populations ne sont pas pro-Bachar el-Assad, mais partisanes d’un retour à la stabilité dans le pays", estime Fabrice Balanche. "Ainsi, elles accueillent favorablement le retour de l’armée." Le meilleur moyen pour les journalistes de vérifier ces dires reste le reportage sur place. Mais en raison du nombre extrêmement limité de visas délivrés par Damas, les reporters occidentaux n’ont d’autre choix que de rentrer en Syrie via la Turquie pour couvrir les zones de conflit.

Et en temps de guerre, les journalistes demeurent étroitement surveillés par les combattants de l’ASL, qui n’aiment pas que leurs convives rapportent la multiplication des exactions commises contre ceux qu’ils accusent d’être des "informateurs" du régime syrien. Des violences que les confrères pourraient peut-être couvrir plus librement s’ils effectuaient, par exemple, des reportages au sein de l’armée de Bachar el-Assad. À moins que le président syrien ne souhaite pas que le monde sache précisément ce qui se passe dans son pays.

(20 Décembre 2012 - Armin Arefi)

(*) Fabrice Balanche, maître de conférences à l’université Lyon-II et directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo).

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