En mai 1948, avant même la proclamation de « l’indépendance » de la
colonie sioniste en Palestine, les bandes armées de la colonie sèment la
terreur et la mort en Palestine : attentats meurtriers dans les villes,
invasions de villages et bourgades, massacres collectifs, nettoyage
ethnico-religieux dans les zones livrées par l’ONU à « l’Etat juif »
selon le plan de partage voté en novembre 1947 : c’est la Nakba
palestinienne dont les dirigeants actuels de l’Etat d’Israël craignent
le rappel, puisqu’ils ont interdit sa commémoration dans les territoires
occupés en 1948. Entre 1948 et 1952, les massacres et expulsions se
poursuivent, notamment dans les zones « gagnées » par la guerre : la
partie occidentale d’al-Qods et la région du Naqab principalement. La
Nakba, c’est l’exil forcé de plus de la moitié du peuple palestinien, et
de la majorité des Palestiniens vivant dans les territoires devenus
l’Etat sioniste.
« Citoyens minoritaires » dans leur propre pays
En 1948, seuls 150.000 Palestiniens ont réussi à demeurer dans leur
patrie occupée. Ils comptent à présent plus de 1.200.000 Palestiniens
répartis dans le nord (Jalil), le sud (Naqab), les villes côtières
(Haïfa et les monts du Karmel, Akka, Yafa) et la région du
« Muthallath » (Triangle) avec les villes d’Umm al-Fahem et Kafr Qassem,
et les villes « mixtes » de Lid et Ramlé. Les Palestiniens de 48 ne
représentent que 17 à 18% de la population en « Israël », ce qui
explique largement pourquoi l’Etat colonial n’a pas privé ces
Palestiniens du droit de vote, contrairement à l’Afrique du Sud de
l’apartheid, où la population noire africaine est restée majoritaire
dans son pays. Après l’expulsion de la majorité des Palestiniens,
devenus réfugiés, des territoires formant à présent l’entité sioniste,
les Palestiniens de 48 sont devenus une minorité dans leur propre pays.
Devenus « citoyens » malgré eux de cet Etat, ils ont utilisé tous les
moyens possibles pour demeurer dans leur patrie, lutter contre leur
expropriation, obtenir leurs droits humains, politiques et sociaux, non
pas parce qu’ils ont foi dans cette entité, mais parce qu’ils se
considèrent chez eux, dans leur patrie, témoins vivants de l’histoire de
la Palestine.
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la participation des
Palestiniens de 48 aux élections de la Knesset, malgré l’avis de plus en
plus partagé sur la nécessité de les boycotter. Après la Nakba en 1948,
seul le parti communiste israélien, qui se proclame anti-sioniste mais
qui a reconnu le plan de partage de l’ONU en 1947, se présente comme
« défenseur des intérêts des masses arabes » dans l’Etat colonial
fraîchement fondé. La reconnaissance par les partis communistes arabes
du plan de partage et par conséquent, de l’existence de l’Etat sioniste,
par allégeance au grand frère soviétique, entraînera leur mise à
l’écart par les sociétés arabes pendant des décennies et causera les
multiples scissions et crises internes vécues par ces partis. Le parti
communiste « israélien » n’échappe pas à ces crises et scissions,
jusqu’à devenir aujourd’hui composé en majorité de Palestiniens et
considéré comme faisant partie de la mouvance nationale palestinienne
dans les territoires occupés en 1948. De plus, c’est ce parti qui a
accueilli tous les Palestiniens nationalistes dans les années 50 et 60,
désireux de lutter « légalement » contre l’entité coloniale, lorsque les
dirigeants sionistes ont banni toute expression palestinienne arabe
nationale et expulsé plusieurs de ses porte-parole, comme le poète
Mahmoud Darwish. Cependant, le poète et écrivain Tawfiq Ziyyad, maire et
député de Nasra à l’époque de la Journée de la Terre le 30 mars 1976,
fut l’une des principales figures du parti communiste, dans sa version
nationale palestinienne.
Panorama des partis palestiniens participant à la Knesset sioniste
Jusqu’à la première intifada en 1987, le parti communiste fut le seul
parti à représenter les « intérêts des masses arabes » à la Knesset,
contre les partis sionistes, malgré la formation de partis électoraux de
gauche, qui eurent du mal à se maintenir. Il fut représenté à la
Knesset sioniste par trois ou quatre députés, pendant toutes ces années,
obtenant entre 20% et 51% (en 1977 où il obtient 5 sièges) de
l’électorat palestinien, et c’est en 1977 qu’il forme le « Front
démocratique pour la paix et l’égalité » (Front). Il réclame, dans ses
luttes et son programme électoral, l’égalité des droits pour tous les
« citoyens » dans l’Etat d’Israël. Il réclame la formation d’un Etat
palestinien sur les frontières de juin 1967 (Cisjordanie et bande de
Gaza) aux côtés d’un Etat d’Israël débarrassé du sionisme. Mais s’il se
bat pour le retour des réfugiés « internes » (les Palestiniens déplacés
de leurs terres et propriétés mais qui sont demeurés dans l’Etat
sioniste) à leurs villages et bourgs d’origine, le retour des réfugiés
expulsés de Palestine en 1948 ne fait pas partie de son programme. Aux
dernières élections en 2009, le Front a obtenu 3 sièges à la Knesset
(deux palestiniens arabes et un israélien juif).
En 1988, en pleine Intifada, le « parti arabe démocratique » est
fondé par Abdel Wahab Darawshé, député transfuge du parti travailliste
sioniste, pour protester contre la répression sauvage de l’Intifada
palestinienne. C’est le premier parti composé uniquement de Palestiniens
à entrer dans l’arène politique, celle de la Knesset, et son programme
politique ne diffère en rien de celui du parti communiste, mais les
analystes le classent comme le parti représentant la nouvelle
« bourgeoisie » palestinienne de l’intérieur !! Son représentant actuel
est Talab Sane’, du Naqab. En 1996, le parti s’allie avec le mouvement
islamique (branche sud) pour former la « liste arabe unifée » qui
obtient, depuis, 4 sièges à la Knesset, représentant près de 10% de
l’électorat palestinien.
Les accords d’Oslo signés en 1993 entre l’OLP et l’Etat de
l’occupation va transformer le paysage politique palestinien dans l’Etat
colonial. Du côté du mouvement nationaliste, le « Rassemblement
national démocratique » se constitue en 1996 à partir de la fusion de
plusieurs formations de gauche et nationalistes, dont « la Charte pour
l’égalité » dirigée par dr. Azmi Bishara. Quant au mouvement Abna’
al-balad, il fait scission, quelques-uns de ses cadres (‘Awad Abdel
Fattah) rejoignent le Rassemblement et les autres poursuivent le chemin
tracé, celui du refus de participer aux élections de la Knesset. Le
« Rassemblement » se présente comme un parti nationaliste et
démocratique, et se bat pour une société palestinienne autonome à
l’intérieur de l’Etat colonial. Il critique la position du parti
communiste qui se contente de réclamer l’égalité de tous les citoyens,
considérant que l’affirmation de l’identité nationale palestinienne
permet de revendiquer des droits nationaux légitimes. Bien qu’il se soit
formé en adversaire du « Front », le « Rassemblement » mènera sa
première bataille électorale en alliance avec lui, propulsant dr. Azmi
Bishara à la Knesset. Entre 1996 et 2012, les positions du Rassemblement
évoluent, il réclame dorénavant « l’Etat de tous ses citoyens » avec
l’espoir de pouvoir transformer la société coloniale, et le retour des
réfugiés palestiniens à leur terre et leurs biens. Mais c’est par son
dynamisme et par les débats idéologiques et politiques qu’il suscite,
que le « Rassemblement » s’est distingué, depuis sa formation. Il a
obtenu trois sièges lors des dernières élections de la Knesset.
Aujourd’hui, l’une de ses candidates qui a déjà un siège à la Knesset,
Hanine Zo’bi, risque de voir sa candidature refusée par la commission
électorale de la Knesset sioniste.
Du côté du mouvement islamique, qui se développe depuis dans les
années 70, les retombées des accords d’Oslo sont catastrophiques,
puisqu’il fait scission en 1996, date prévue pour les élections de la
knesset. La branche sud dirigée par un des fondateurs du mouvement,
Abdallah Nimr Darwish, souhaite participer et même envoyer des
candidats, alors que la branche nord, dirigée par sheikh Raed Salah et
sheikh Kamal Khatib, refuse net toute participation à la vie politique
sioniste. Si les élections de la knesset furent l’occasion de cette
scission, des études approfondies font remonter les divergences
politiques au sein du mouvement islamique au tout début, lorsque le
dirigeant Abdallah Nimr Darwish, emprisonné pour avoir soutenu des
actions « terroristes », se repent dès sa libération et commence à
accepter l’idée de la formation d’un Etat palestinien aux côtés de
l’Etat sioniste, dont il ne remet plus en cause la légitimité, tout en
le voulant « non-sioniste ». En 1996, la branche sud du mouvement
islamique s’allie au « parti arabe démocratique » pour former « la liste
arabe unifiée », qui a obtenu 4 sièges à la Knesset, dont l’un au parti
islamique.
Afin d’être membres de la Knesset sioniste, les candidats élus
doivent prêter un serment d’allégeance envers l’Etat sioniste,
promettant de ne pas remettre en cause la nature « juive et
démocratique » de cet Etat.
La liste unique et le haut comité représentatif des masses arabes
Au cours et après les précédentes élections, qui ont assisté à une très
forte baisse du nombre des votants arabes, plusieurs études ont souligné
que les masses arabes souhaitaient une liste arabe unifiée de tous les
partis, et ce pour plusieurs raisons : d’abord, une liste unifiée
pouvait remporter plus de sièges et peser sur les décisions de la
Knesset en faveur des Palestiniens, ensuite, les revendications
présentées par les listes arabes concurrentes sont à peu près les
mêmes : refus du sionisme et du racisme inhérent, défense des droits des
Palestiniens, à la terre, au travail, à la santé et à l’éducation,
défense des villages non-reconnus dans al-Naqab et contre les mesures de
nettoyage ethnico-religieux, défense des sites religieux musulmans et
chrétiens. Les sondages d’opinion avaient nettement montré qu’une liste
unifiée de tous les partis arabes aurait permis de baisser le taux
d’abstention qui a atteint les 47% en 2009.
Malgré ces études et ces sondages, les partis arabes n’ont pas réussi
à former cette liste, pour raisons politiques, idéologiques ou
personnelles, en vue des prochaines élections. Certaines personnalités
refusent de s’éclipser, notamment celles qui ont pris l’habitude de
siéger dans cette institution coloniale. Par ailleurs, il semble que le
parti communiste refuse de faire alliance avec « la liste unifiée » qui
comprend un membre du mouvement islamique, et vice-versa. Le
Rassemblement, quant à lui, a clamé haut et fort son désir de former
cette liste unique, disant qu’il n’y avait pour lui aucune ligne
« rouge », ni celle représentée par le Front et son candidat israélien,
ni celle représentée par le mouvement islamique. Mais telle n’était pas
la position du Rassemblement lors des élections en 2009, où il avait mis
plutôt l’accent sur la nécessité pour les partis de mettre en avant
leurs revendications spécifiques.
Les mouvements et les personnalités qui refusent la participation à
ces élections soutiennent depuis plusieurs années que l’existence du
« haut comité représentatif des masses arabes » (al-Lujna al-Ulya)
permet de faire l’impasse de la Knesset en le transformant en
institution représentative et élue par les Palestiniens. Sans vouloir
détailler l’histoire et la formation de ce haut comité, il suffit de
savoir que depuis l’intifada al-Aqsa, son rôle s’est élargi, grâce à sa
participation aux mouvements de protestation. Depuis plusieurs années
déjà, des personnalités et des partis élèvent la voix pour que le haut
comité soit réformé et qu’il puisse être directement élu par les masses
arabes, au lieu d’avoir une partie de ses membres désignée par les
partis arabes. Le parti communiste qui est largement représenté dans ce
haut comité (puisqu’il rassemble également les maires arabes élus)
refuse les réformes proposées, d’abord pour ne pas perdre sa place et
ensuite, parce qu’il considère qu’il s’agit d’une mesure « séparatiste »
envers l’Etat sioniste.
Pour le mouvement islamique (nord) et le mouvement Abna’ al-Balad,
seul un haut comité réformé pourrait représenter la volonté populaire
des Palestiniens de 48. En attendant qu’une telle réforme puisse avoir
lieu, le haut comité n’est qu’un organe supplémentaire représentant les
Palestiniens, sans véritable pouvoir, bien qu’il ait formé des
commissions qui essaient, avec les associations civiles, de défendre les
droits des Palestiniens dans l’éducation notamment, d’empêcher la
destruction des maisons et des villages, de soutenir les prisonniers et
de défendre les personnalités poursuivies.
Fadwa Nassar
26 décembre 2012
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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