Malgré les manifestations, les affrontements et la violence de ces
trois dernières semaines, l’affluence samedi devant les bureaux de vote
était difficile à croire. Quatre heures de queue à Shubra, deux heures à
Sayyeda Zeinab, un quartier populaire du Caire. Devant une petite école
du quartier convertie en bureau de vote, toute la rue est occupée par
une immense file. "C’est pas des conditions pour voter", grommelle
Shaban. Un vieil homme tout simple et entièrement glabre, partisan, non
des Frères musulmans, mais de la stabilité : "Je n’ai pas lu le projet
de Constitution, je le reconnais. Mais il faut en finir avec cette
transition. Relancer l’économie. On n’a pas fait la révolution pour être
au chômage."
Il s’apprête à entrer dans l’école, sous le regard des militaires. Le
référendum était placé sous haute surveillance : 120 000 soldats et 130
000 policiers ont été chargés d’éviter tout débordement. Et à part les
râleurs dans les files d’attente, tout s’est plutôt bien passé. Ahmad
Ali, magistrat au conseil de la municipalité du Caire, est arrivé à 8
heures pour repartir à 20 heures... Puis à 23 heures : l’horaire de
fermeture des bureaux de vote a été décalé pour faire face à
l’affluence.
Dans ce bureau de vote, pas de trace des nombreuses fraudes dénoncées
par l’opposition dans cette salle de classe. Le ballet est bien
organisé. Ahmad Ali a passé sa journée à tamponner les bulletins à toute
allure : "Je fais mon devoir en étant ici. Je ne suis pas au service
d’un camp ou de l’autre. Je suis au service de l’Égypte." Il fait partie
des 9 000 juges - sur les 35 000 que compte la magistrature égyptienne -
qui ont accepté de superviser le référendum, malgré l’appel au boycott
lancé par le Club des juges.
Devant l’affluence impressionnante, le référendum a dû être organisé en
deux fois. Pour ce premier tour, Le Caire votait. Et confirmait dans la
foulée son statut de fief "anti-Frères" : 57 % des Cairotes ont voté
non. "Je vote non à ce projet de Constitution mal fait, imposé en coup
de force par Mohamed Morsi. Il y a eu des centaines de blessés et une
dizaine de morts à cause de ça. Je ne comprends même pas pourquoi il n’a
pas démissionné", fulminait Ahmed, un concierge du quartier de Sayyeda
Zeinab. Sur le pas de sa porte toute la journée, il a le nez collé dans
le Coran quand il ne dévore pas les journaux d’opposition. Il est un de
ces Égyptiens qui considèrent que les Frères musulmans détournent
l’islam à des fins politiques.
La journée a été un peu folle. Les rumeurs de fraude ont circulé à toute
vitesse - une constante des élections égyptiennes. Certaines ONG pour
la protection des droits de l’homme ont déjà appelé à réorganiser le
scrutin. Elles dénoncent pêle-mêle le manque de juges et des pro-Morsi
qui ont fait campagne jusque dans les bureaux de vote. Les premiers
chiffres tombent. Ils sont donnés par le Parti de la liberté et de la
justice, le mouvement politique de la confrérie. Ils estiment que le
"oui" l’a emporté à 56 % - les Frères espéraient 70 %. Un petit "oui",
franc, sans être massif. Mais déjà un coup dur pour l’opposition, qui ne
se prononcera qu’après le second tour, le 22 décembre.
Il ne faut pas en attendre grand-chose. Les zones les plus libérales se
sont exprimées. Au tour des provinces les plus conservatrices de se
prononcer. Et le "oui" a toutes les chances d’être confirmé.
Le camp pro-Morsi sortira certainement vainqueur de cette confrontation.
Mais vainqueur d’une Égypte de plus en plus polarisée entre les
islamistes au pouvoir et les adversaires.
(17 Décembre 2012 - Samuel Forey)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire