jeudi 20 décembre 2012

Algérie : "Je connais les attentes du peuple algérien concernant la colonisation" (François Hollande)

Pour sa première visite d’état en Algérie, le président français, François Hollande a accordé une interview exclusive à El Watan et El Khabar.

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La reconnaissance des exactions commises lors des événements du 17 Octobre 1961 a été perçue par les Algériens comme un pas positif dans le sillage d’une réconciliation, mais a été jugée également insuffisante par rapport aux crimes commis pendant la période. Qu’allez-vous dire substantiellement lors de votre première visite en Algérie en tant que chef d’Etat ?
La répression sanglante de la manifestation du 17 Octobre 1961 à Paris n’avait jamais été reconnue par la République française. J’ai voulu le faire parce que je suis convaincu qu’un regard lucide sur l’histoire est nécessaire à la construction de l’avenir. Je connais les attentes du peuple algérien à l’égard de la France en ce qui concerne la colonisation et je partage pleinement la volonté, exprimée le 8 mai dernier par le président Bouteflika, d’avoir une lecture objective de l’histoire pour parvenir enfin à dépasser les séquelles d’un passé douloureux. Je souhaite que ma visite d’Etat en Algérie soit l’occasion d’avancer dans ce sens, de franchir une étape dans la relation entre nos deux pays. Le moment est venu, en cette année du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie. J’aurai l’occasion de m’exprimer devant les représentants du peuple algérien au cours de ma visite. J’aborderai la question de la mémoire avec lucidité et responsabilité. Nous le devons aux victimes, à toutes les victimes et au peuple algérien. Nous le devons à la France. Nous le devons à l’Algérie.

Vous préconisez, Monsieur le Président, un partenariat privilégié d’égal à égal avec l’Algérie. Quels sont ses fondements, ses modalités, son contenu ?
Le principe de ce partenariat, c’est l’égalité. La France et l’Algérie sont deux grands pays, des acteurs essentiels dans la région et qui comptent dans le monde. Notre relation doit correspondre à l’intensité des liens qui unissent nos peuples et aux défis auxquels nous avons à faire face ensemble. Notre partenariat accordera une place importante à la jeunesse, qui est notre chance et notre avenir.
C’est l’objet de la déclaration politique que je signerai avec le président Bouteflika. Elle fixe quatre priorités. Le dialogue politique, qui passera par la création d’un comité intergouvernemental de haut niveau, présidé par les Premiers ministres et dont la première réunion sera organisée au cours de l’année 2013. Les échanges humains, ensuite : nous aurons à cœur de favoriser le plus largement possible la mobilité entre nos deux pays. Le troisième enjeu est celui de la culture et de l’éducation, qui fera l’objet d’un document cadre pour les cinq années à venir. Enfin, les relations économiques avec l’adoption d’un partenariat industriel et technologique, pour favoriser l’investissement, la création d’emplois et les transferts de technologie.

La dimension humaine de la relation bilatérale franco-algérienne est très importante et très dense, impliquant des individus, des familles, des associations de la société civile. Que proposez-vous pour qu’ils puissent circuler sans entraves entre les deux pays ?
La circulation des personnes doit être facilitée dans le respect de nos législations respectives et de nos engagements internationaux. Des progrès ont d’ores et déjà été enregistrés. Près de 200 000 Algériens reçoivent chaque année un visa dans nos consulats. Le taux de délivrance des visas par la France augmente et atteint près de 75%, alors même que les demandes sont en hausse. Nous avons mis un terme au projet envisagé par le gouvernement précédent de prélever une taxe d’entrée sur le territoire français au moment de la demande, en plus du prix du visa lui-même. Nous allons encore prendre des mesures pour faciliter l’accueil des demandeurs pour que les documents soient délivrés plus vite par nos consulats. Nous attendons aussi de l’Algérie qu’elle prenne des engagements pour faciliter les démarches des Français qui souhaitent se rendre sur son territoire. La mobilité entre nos deux peuples est une richesse, une question de respect et d’intérêt mutuel.

Les Français d’origine algérienne sont très nombreux (plus de trois millions). Comment faire pour que cette population soit un levier du partenariat bilatéral au bénéfice mutuel des deux pays ?
Mes concitoyens d’origine algérienne représentent, par leur travail, leur talent et leur pleine intégration, une richesse pour la France. Ils sont aussi des acteurs de la relation entre nos deux pays. Des dizaines de milliers de familles françaises, algériennes ou franco-algériennes, franchissent aussi la Méditerranée tous les ans dans les deux sens.
Je suis heureux d’être accompagné dans cette visite par de très nombreuses personnalités économiques, culturelles ou artistiques, qui ont des liens étroits avec l’Algérie. Notre partenariat n’est pas seulement un accord entre gouvernements, mais un lien entre nos deux sociétés pour développer des projets concrets au bénéfice des Français comme des Algériens. A nous de faire en sorte que ce soit le cas en mettant au cœur de notre relation la formation, l’emploi, la culture. C’est le sens du soutien qu’apporte la France à la création d’instituts d’enseignement supérieur technologique en Algérie, dont l’objet est de favoriser la formation professionnelle, et donc l’emploi des jeunes Algériens.

Les autorités algériennes ont entamé un processus de réformes politiques au lendemain de ce qui est communément appelé « le printemps arabe ». Pensez-vous que ce qui a été entrepris est suffisant pour faire valoir une démocratisation dans le pays ou d’autres efforts sont-ils requis pour être en adéquation avec les aspirations du peuple algérien et de sa jeunesse notamment ?
La Méditerranée connaît des bouleversements profonds dont il est encore difficile de mesurer toutes les conséquences. Ils montrent combien l’aspiration à la liberté et à la justice est universelle. Ils sont aussi porteurs d’incertitudes. L’Algérie a suivi, depuis 1989, une trajectoire très différente de ses voisins et en retire une expérience qui ne saurait être comparée à aucun autre pays. Il y a aussi, en Algérie comme ailleurs, une aspiration à un mieux-vivre et à une plus grande participation de la société à la vie démocratique et sociale. Le président Bouteflika a annoncé, en avril 2011, une série de réformes qui doivent conduire à une révision de la Constitution dans le sens d’un renforcement de la démocratie. C’est aux Algériens, et à eux seuls, qu’il appartiendra d’en juger.

La France a perdu du terrain au niveau économique, les entreprises françaises hésitant à investir en Algérie. Du côté algérien, les autorités s’attellent à améliorer le climat d’affaires. Les intérêts des deux pays n’imposent-ils pas une impulsion plus forte dans ce domaine ?
La France, par ses entreprises, est le premier investisseur étranger en Algérie si l’on met de côté le secteur, très particulier, des hydrocarbures. 450 entreprises françaises sont implantées en Algérie. La France est aussi l’un des tout premiers partenaires commerciaux de l’Algérie dont elle est le premier fournisseur et le quatrième client. Nos relations économiques sont donc solides. Mais nous pouvons faire plus et mieux encore. C’est le message que je délivrerai jeudi matin, lors des rencontres économiques franco-algériennes. Je souhaite que cette visite soit l’occasion de sceller un partenariat industriel et technologique, pour stimuler la croissance économique dans nos deux pays, créer des emplois et nous engager ensemble en direction de nouveaux marchés.
L’usine Renault qui sera construite à Oran et dont cette visite a permis de finaliser le projet constitue un exemple emblématique, puisqu’elle doit permettre de produire davantage en Algérie, d’opérer un transfert de savoir-faire au profit de ce pays et d’y créer des emplois sans pour autant en supprimer en France. La co-localisation des activités de production est aussi une voie à explorer pour donner une nouvelle impulsion à nos relations économiques. Elle permet d’associer au mieux les compétences disponibles au sein de nos entreprises et de créer des emplois dans nos deux pays.

La position française favorable au Maroc sur le Sahara occidental est incomprise. La France ne devrait-elle pas avoir une attitude plus équilibrée sur cette question pour pouvoir influer sur le règlement de ce qui reste le dernier cas de décolonisation en Afrique ?
La France est pleinement consciente de l’enjeu que représente la question sahraouie pour les populations concernées, pour le Maroc et pour l’Algérie.
Elle soutient une solution négociée et mutuellement acceptable, conformément aux résolutions et paramètres clairement définis par le Conseil de sécurité, le réalisme et l’esprit de compromis doivent permettre de parvenir à une solution politique à ce différend qui n’a que trop duré. La France est disponible pour aider les parties à progresser vers une solution.

Le phénomène du terrorisme est devenu endémique, au point de représenter un danger réel pour les pays de la région. Quelle perception avez-vous de l’émergence d’AQMI et de ses ramifications, comme le Mujao, au Sahel ? Que préconise la France comme solution pour enrayer ledit phénomène ? Pensez-vous que l’option militaire à elle seule soit à même de résoudre le problème au Mali, sans risque d’atomiser la région ? Comment percevez-vous le rôle de l’Algérie dans le traitement du dossier du Mali et qu’en est-il des divergences entre Paris et Alger concernant les voies et moyens qui devraient être mis en œuvre pour éviter l’escalade militaire, ainsi que sur la problématique du payement de rançons ?
Il existe un consensus international exprimé par les résolutions du Conseil de sécurité pour lutter contre le terrorisme au Sahel et aider le Mali à recouvrer son intégrité territoriale. L’occupation du Nord-Mali par des groupes terroristes est une menace pour la région et pour la communauté internationale. Ce sont les autorités maliennes, l’Union africaine et la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) qui ont demandé aux Nations unies de les aider à mettre un terme à cette situation inacceptable. La France et l’Algérie – dont je n’oublie pas qu’elle a été une victime du terrorisme – s’inscrivent dans ce consensus qui, seul, permettra de ramener la paix au Sahel. Nos deux pays s’entendent sur la poursuite d’une double approche, à la fois politique et sécuritaire, de cette crise. Nous devons renforcer notre dialogue sur les questions internationales et régionales, y compris, naturellement, sur la situation au Sahel et sur la crise malienne.

Les échanges culturels entre les deux pays ont beaucoup régressé si l’on se réfère aux années 1970-1980. Quelles sont les initiatives à engager pour les promouvoir de nouveau ?
Les échanges culturels entre la France et l’Algérie sont d’ores et déjà très denses. L’Algérie est le deuxième pays s’exprimant en français dans le monde. Cet attachement à la diversité culturelle et linguistique est une force pour notre relation. Nous devons développer l’enseignement du français en Algérie, comme l’enseignement de l’arabe en France.
Je me réjouis aussi du dynamisme du réseau culturel français en Algérie dont témoigne la création, en 2012, de l’Institut français d’Algérie. Nous devons aller plus loin car les échanges culturels sont essentiels au rapprochement de nos peuples. L’année 2013 nous en donnera l’occasion puisque Marseille, cette ville si liée à l’Algérie, sera la capitale européenne de la culture. Je souhaite que l’Algérie participe pleinement à cet événement important pour la France, pour l’Europe et pour la Méditerranée.

(20 Décembre 2012 - Propos recueillis par Nadjia Bouzeghrane, Slimane Hammiche et Hafid Soualili)

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