lundi 1 juillet 2013

Israël : "Pas de McDo dans les colonies" (Danièle Kriegel)

(Enseigne d’un McDonald’s à Tel-Aviv. © Maxppp)

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Appels au boycott, attaques tous azimuts... Depuis quelques jours, McDonald’s Israël est dans l’oeil du cyclone. La raison ? Le numéro un de l’industrie du fast-food local - 180 restaurants et 70 % de parts de marché - refuse d’ouvrir une succursale à Ariel, une colonie de 20 000 habitants située au coeur de la Cisjordanie. Le roi israélien des supermarchés discount, Rami Levy, y construit un centre commercial qui devrait comprendre une cinquantaine de boutiques, restaurants et cafés. Il y a sept mois, lors du lancement du projet, il a contacté Omri Padan, le propriétaire de la franchise en Israël, pour lui proposer d’ouvrir un McDo dans le futur "mall". "Non !" lui fut-il répondu, sans autre précision. Cela étant, en Israël, tout le monde sait qu’Omri Padan, un des fondateurs du mouvement anti-occupation La Paix maintenant devenu un homme d’affaires de premier plan, n’a jamais dévié d’un principe : ne pas faire de business au-delà de la ligne verte, c’est-à-dire en territoire occupé.
Publiée d’abord dans la presse économique, l’information a très vite fait les gros titres des médias généralistes pour être reprise en boucle sur les sites en ligne et les réseaux sociaux. Les colons sont appelés à ne plus se rendre dans les restos surmontés du célèbre logo aux arches dorées sur fond rouge. "McDonald’s est passé du domaine des affaires à celui d’une organisation dotée d’un agenda politique anti-israélien", explique Ygal Delmoni, le numéro deux du mouvement des implantations, avant d’ajouter : "Nous attendons des citoyens israéliens, et notamment de ceux vivant en Judée-Samarie [le nom biblique de la Cisjordanie, NDLR], qu’ils prennent cela en compte avant de franchir le seuil d’un McDo en Israël !"
Pour sa part, le maire d’Ariel, Eliyahu Shaviro, a qualifié de "malheureuse" la décision de ne pas ouvrir de succursale dans sa ville. "C’est de la discrimination à l’égard de mes concitoyens !" En face, les proches d’Omri Padan accusent Rami Levy de "faire du buzz autour de son projet de centre commercial à Ariel, alors que le patron de McDo Israël n’a jamais fait mystère de sa position à ce sujet". Interrogé, Yariv Oppenheimer, l’actuel dirigeant de La Paix maintenant, a invoqué le droit démocratique des individus comme des entreprises d’agir en fonction de leurs valeurs, qu’elles soient idéologiques ou morales. "En Israël, le secteur des affaires est la cible de fortes pressions pour investir et opérer en Cisjordanie. Se faire l’avocat du droit à choisir est important. On ne peut pas forcer les entreprises à aider les colonies", ajoute-t-il.
En contre-écho, des élus de la droite nationaliste et de l’extrême droite religieuse répondent en arguant du fait que "la Judée-Samarie est une partie intégrante d’Israël". Sur sa page Facebook, Elie Yshaï, l’un des dirigeants du Shass, le parti ultraorthodoxe sépharade, fait même dans la promesse ironique : celle d’envoyer à Omri Padan une carte des frontières actuelles d’Israël. Quant au principal concurrent de McDonald’s en Terre promise, Burger Ranch, il s’est empressé d’annoncer qu’il irait s’installer à Ariel, "pour la plus grande gloire d’Israël".
Reste que ce n’est pas la première fois que cette ville-colonie se retrouve au coeur d’une controverse politique. Déjà l’année dernière, une polémique avait eu lieu autour de l’ouverture d’un grand centre culturel avec salle de théâtre hypermoderne, le tout financé par l’État. Une soixantaine d’artistes de premier plan avaient annoncé leur refus de monter sur scène à Ariel, provoquant l’ire de la ministre de la Culture du moment. Limor Livnat avait alors menacé de priver de leurs subventions les théâtres dont les comédiens refuseraient de se produire à Ariel. Plus récemment, nouvelle tempête. Avec cette fois la décision du gouvernement de transformer le collège d’enseignement supérieur d’Ariel en université, et ce, en dépit de l’avis défavorable du Conseil de l’enseignement supérieur et de l’opposition de près de deux cents éminents universitaires.
L’été à peine commencé, voilà donc Israël embarqué dans une nouvelle bataille : le camp de plus en plus minoritaire des anti-colonisation contre celui des tenants du Grand Israël. Reste la remarque que l’on a pu lire sous la plume de certains éditorialistes : dans le domaine des affaires et dans celui de la politique, les règles pour gagner ne sont pas les mêmes. D’où leur analyse : avec des centaines de restaurants en Europe et dans le monde arabe, il se pourrait bien que la décision de McDonald’s de ne pas participer à la politique de colonisation d’Israël soit la meilleure possible pour que la chaîne américaine continue à prospérer.

(30-06-2013 - Danièle Kriegel )

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