jeudi 5 mars 2015

Algérie : Le Maghreb en quête d'une stratégie face à l'expansion de l'EI en Libye

Les pays du Maghreb semblent surpris par l'expansion du groupe Etat islamique (EI) en Libye mais commencent à se mobiliser pour éviter un naufrage complet de ce pays, craignant qu'il ne serve de tremplin régional aux jihadistes.
Le Maroc doit accueillir jeudi une réunion entre les deux Parlements rivaux libyens, tandis que des responsables politiques des différentes parties du conflit ont été invités la semaine prochaine en Algérie, selon la Mission d'appui des Nations unies en Libye (Manul).
Cette activité diplomatique illustre la prise de conscience de la récente aggravation de la crise libyenne, qui s'est internationalisée avec l'entrée en jeu des jihadistes de l'EI combattant déjà en Syrie et en Irak.
"La proximité géographique augmente évidemment les risques" pour la Tunisie, l'Algérie et le Maroc, relève Jamil Sayah, président de l'Observatoire tunisien de la sécurité globale.
Il est donc nécessaire que ces pays définissent "une stratégie commune pour étouffer l'EI dans les frontières libyennes", selon lui.
L'Algérie, en général muette sur ces questions, semble la "mieux armée" pour définir un cap "car elle a déjà connu une guerre de cette nature" en combattant les groupes jihadistes dans les années 1990, précise l'expert.
Chez ses voisins, la priorité jusqu'à présent semble avoir été de juguler le flux de combattants en partance pour la Syrie, l'Irak et la Libye: quelque 2000 à 3000 Tunisiens et 1500 Marocains seraient ainsi partis, selon Tunis et Rabat.
Le ministère marocain de l'Intérieur a d'ailleurs constaté "clairement" le danger, alors que l'EI "ne cesse de proclamer son intention de s'étendre dans les pays du Maghreb arabe via la Libye". Le royaume a dès lors renforcé à l'été 2014 les contrôles des voyageurs soupçonnés de vouloir rejoindre les rangs jihadistes.
La Tunisie assure aussi avoir empêché des milliers de départs et surveiller constamment ses 500 ressortissants rentrés au pays.
Mais la porosité de sa frontière avec la Libye rend la lutte en la matière extrêmement difficile. Un Tunisien a d'ailleurs participé, selon l'EI, à l'assaut contre l'hôtel Corinthia à Tripoli qui a fait 9 morts en janvier, et un autre a mené un attentat-suicide à Benghazi.
Des Tunisiens combattant avec l'EI ont par ailleurs menacé leur patrie ces derniers mois.
La situation est d'autant plus complexe que l'enjeu est aussi socio-économique, le Sud tunisien vivant largement depuis des décennies de trafics en tous genres avec la Libye. Le dilemme est donc de taille pour Tunis qui risque l'explosion sociale si la frontière devait être fermée ou si les contrôles devenaient trop minutieux.
Mais les autorités ne semblent pas suivre de ligne claire.
"Le terrorisme se nourrit de la contrebande et la contrebande cohabite avec le terrorisme", a martelé cette semaine le ministre de l'Intérieur Najem Gharsalli. "Cela doit prendre fin".
A l'inverse, le ministère de la Défense jugeait quelques jours plus tôt que "ce n'est pas la peine de s'inquiéter" parce que "les différentes parties (libyennes) se combattent les unes les autres. La Tunisie, pour elles, n'est pas une priorité".
Néanmoins, avec l'ouverture de deux consulats, Tunis tente de reprendre pied en Libye en s'orientant vers l'établissement de liens directs avec le cabinet installé par les milices de Fajr Libya à Tripoli, outre ses relations avec le gouvernement reconnu par la communauté internationale installé dans l'est libyen.
"On n'a pas l'impression qu'il y ait une stratégie claire, plutôt des tâtonnements", résume M. Sayah.
L'approche essentiellement sécuritaire adoptée par les Etats du Maghreb ne peut apporter de solution définitive car "les facteurs qui produisent ce phénomène sont toujours présents", souligne Mohammed Masbah, chercheur au centre Carnegie, en citant "la vulnérabilité économique, sociale mais aussi émotionnelle des jeunes".
"L'Etat doit repenser le développement régional, mettre le paquet dans les régions en souffrance", plaide cet expert des mouvements islamistes.
La question de la "déradicalisation" est un autre défi de taille pour ces pays. M. Masbah suggère "une approche d'intégration" qui donne l'opportunité à ceux allant faire le jihad "de revenir vers la société en gardant leurs idées radicales, sans les appliquer par la violence".
L'Algérie a récemment proposé d'accueillir un atelier sur la déradicalisation en arguant de "son expérience avérée dans ce domaine".

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