"Le peuple veut un parti Ennahda en acier", "Le peuple veut Ennahda
de nouveau", "Le peuple est musulman et ne se rendra jamais", scande la
foule. Sur l’avenue Habib-Bourguiba, ce samedi, plus de 10 000 personnes
se sont réunies pour "soutenir" le mouvement islamique, contre quelque 5
000 la semaine dernière. Mais cette fois, des SMS auraient été envoyés
aux militants pour aller manifester. D’autres témoins faisaient état sur
les réseaux sociaux de l’arrivée de bus dès hier soir.
Devant le Théâtre national, un gigantesque drapeau d’Ennahda a été
déployé. Des étendards tunisiens, ceux du parti, mais aussi les drapeaux
noirs sur lesquels est inscrit "Il n’y a de Dieu que Dieu", flottent
les uns à côté des autres. L’odeur caramélisée des chouchous embaume
l’air. Taycir, la vingtaine, est habillée en rouge et blanc, les
couleurs nationales, un drapeau tunisien noué autour de son cou. Cette
étudiante en commerce international estime qu’Ennahda "a été attaqué.
L’opposition dit que nous sommes une minorité. Mais elle oublie que le
peuple a voté pour Ennahda. On est arrivés au pouvoir via les urnes, on
n’en repartira que par les urnes ! Nous sommes en démocratie". Le 23
octobre 2011, le mouvement islamique a raflé 89 sièges sur les 217 de
l’Assemblée nationale constituante.
Pour cette jeune militante d’Ennahda, qui avait participé à
l’organisation du congrès du parti en juillet dernier, "un gouvernement
de technocrates (défendu par le Premier ministre et secrétaire général
du parti, Hamadi Jebali) n’est pas une mauvaise idée. Mais il vaut mieux
élargir la coalition au pouvoir". La veille, Adnan Manser, le
porte-parole de la présidence de la République, a déclaré que la troïka
était terminée. Une nouvelle "alliance pentapartite", selon les dires du
porte-parole, devrait être créée. Mais tous les manifestants ne sont
pas pour cette proposition. "On veut garder le gouvernement. On veut des
ministres qui émanent de la troïka. Il y a eu des élections. Il faut
attendre les prochaines pour changer le gouvernement", fustige Nasr, 28
ans.
"Nous sommes contre la violence, peu importe d’où elle vient",
"Assassinat politique... un crime contre la Tunisie", peut-on lire sur
certaines pancartes. L’assassinat de Chokri Belaïd a plongé la Tunisie
dans sa plus grave crise politique depuis le départ de Ben Ali, le 14
janvier 2011. Le soir même, Hamadi Jebali a annoncé qu’il formerait un
gouvernement de compétences nationales apolitiques. Une proposition
rapidement réfutée par son parti. Rached Ghannouchi, le patron
d’Ennahda, a de son côté prôné un gouvernement mixte, alliant des
technocrates et des membres de partis politiques. Si Hamadi Jebali peut
se targuer d’être soutenu par l’opposition, le principal syndicat du
pays et une large partie de la société civile, Ennahda fait bloc avec le
parti du président Moncef Marzouki, membre de la coalition au pouvoir,
et deux autres petites formations politiques. Hier, à Dar Dhiafa, les
bureaux du Premier ministre à Carthage, une douzaine de partis
politiques se sont réunis pour débattre de la nouvelle feuille de route
du pays. Ce samedi, Hamadi Jebali devait présenter son futur cabinet ou
sa démission si celui-ci n’était pas accepté. Mais sa déclaration a été
reportée à lundi.
"Ce sont des tractations gouvernementales, je reste optimiste, je suis
sûr qu’il en sortira quelque chose de bien", assure Hamadi, en
coupe-vent coloré et un bonnet sur la tête. L’an dernier, il a voté
"pour la gauche, mais c’était plus pour faire plaisir à un ami.
Maintenant les choses ont changé". Pour Saif, 30 ans et ingénieur,
"l’important est que la majorité des partis s’entendent pour le bien de
la Tunisie". Une barbe fournie, des lunettes de soleil, il dit avoir
voté pour le parti de Moncef Marzouki, le CPR (parti de gauche laïque),
le 23 octobre 2011. Mais si aujourd’hui il a rejoint la foule, c’est
pour "défendre la légitimité l’Assemblée nationale constituante", qu’il
estime "affaiblie". Quelques membres de la Ligue de protection de la
révolution, dont le président a présenté sa démission récemment,
défilent également.
Un drapeau de Jabhat el-Islah, parti salafiste légalisé au printemps
dernier, à la main, Ahmed est aussi venu "soutenir Ennahda", tout comme
Abdallah, présent pour "supporter [ses] frères". Qamis, barbe et calotte
sur la tête, imam d’Hammamet, n’a pas voté en octobre 2011, mais il
défend le fait qu’Ennahda a "le droit de diriger le pays". Nida Tounes,
formation politique de "gauche" née en 2012 et accusée par les
islamistes de recycler des anciens du régime de Ben Ali, ainsi que la
France sont tour à tour accusés de "vouloir déstabiliser le
gouvernement". "Nous sommes indépendants et libres depuis 1956. Il faut
que le gouvernement français arrête de s’ingérer, déclare Abdallah. Il
essaie de faire croire qu’Ennahda n’est pas légitime."
(15-02-2013 - Julie Schneider)
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