lundi 25 février 2013

Israël/Palestine : Les manifestations populaires - et parfois violentes - se multiplient dans les territoires palestiniens, suscitant l’inquiétude d’Israël. (Armin Arefi)

Un étudiant palestinien de l’université de Birzeit jette une pierre en direction de soldats israéliens, après une manifestation de soutien à ses compatriotes prisonniers en Israël. © ISSAM RIMAWI / Sipa

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Des pierres jetées par des dizaines de jeunes manifestants encagoulés. Des soldats israéliens répliquant par des tirs à balles réelles. Ces scènes ne sont pas sans rappeler les deux intifadas (soulèvements, NDLR) qui ont secoué le Proche-Orient dans les années 1990 et 2000. Elles se reproduisent pourtant à nouveau depuis la semaine dernière à Ramallah, Hébron, Naplouse ou encore Jenine, en Cisjordanie, en solidarité avec les quelque 4 700 prisonniers palestiniens détenus en Israël.
La mobilisation a pris une nouvelle intensité samedi, après le décès de l’un des détenus, Arafat Jaradat. Ce militant du Fatah, au pouvoir en Cisjordanie, avait été arrêté le 18 février à la suite de heurts près de la colonie de Kiryat Arba, au sud de la Cisjordanie, au cours desquels un Israélien avait été blessé. Durant ses obsèques, organisées ce lundi près d’Hébron, les Brigades des martyrs Al-Aqsa, la branche armée du mouvement nationaliste palestinien, ont promis "à l’occupant sioniste de riposter".
D’après le Shin Beth, les services de sécurité intérieure de l’État hébreu, qui a soumis le prisonnier palestinien à des interrogatoires en prison, Arafat Jaradat aurait été victime d’un malaise. Faux, répond sa famille, pour qui le détenu, 30 ans et père de deux enfants, était en parfaite santé. Sa mort a en tout cas provoqué de vives réactions de la part des dirigeants palestiniens, qui n’ont pas hésité à accuser Israël. Le président Mahmoud Abbas a accusé lundi l’État hébreu de vouloir délibérément "créer le chaos" dans les Territoires palestiniens.
La veille, le ministre palestinien des Prisonniers, Issa Qaraqaë, avait imputé à Israël l’"assassinat" du militant du Fatah, mort selon lui des suites de "tortures". Interrogé, Yaron Gamburg, porte-parole de l’ambassade d’Israël en France, regrette que la question des prisonniers palestiniens soit "manipulée" par les dirigeants. Désormais scandé dans les manifestations, le nom d’Arafat Jaradat est venu s’ajouter à celui de quatre détenus palestiniens en grève de la faim depuis plusieurs mois (par intermittence).
Samer Issaoui, Aymane Charawneh, Jaafar Ezzeddine et Tariq Qaadane entendent protester contre le régime de détention administrative qui frappe 178 prisonniers palestiniens. Cette disposition spécifique, héritée du mandat britannique sur la Palestine, permet à l’État hébreu d’incarcérer sans inculpation ni jugement un suspect pour une période de six mois, renouvelable indéfiniment. Leur combat est d’autant plus sensible que deux des grévistes - Samer Issaoui et Aymane Charawneh - faisaient partie du millier de prisonniers palestiniens relâchés en octobre 2011, dans le cadre de l’accord sur la libération du soldat franco-israélien Gilad Shalit.
Mais ils ont été à nouveau arrêtés par Tsahal l’année dernière, pour avoir violé les conditions de leur libération. "Ils ont participé à des activités qui menacent l’ordre public, comme c’est le cas à chaque fois que des militants appartenant à des groupes terroristes commettent de tels actes", précise Yaron Gamburg. "Ils ont été arrêtés à nouveau parce qu’ils se trouvaient dans une zone de Cisjordanie où ils n’étaient pas autorisés à se rendre", estime de son côté Ghassan Khatib, professeur en études arabes contemporaines à l’université de Birzeit (Cisjordanie). "Ceci n’a rien à voir avec des activités violentes", insiste-t-il.
"Si les autorités israéliennes possèdent des preuves de la culpabilité de ces individus, elles n’ont qu’à les juger, au lieu de les maintenir ainsi en détention sans accusation", souligne une source bien informée sur place. "Israël n’est pas le seul pays au monde à utiliser ce procédé. Les États-Unis et la Grande-Bretagne le font aussi", rappelle pour sa part Yaron Gamburg, le porte-parole de l’ambassade israélienne. Si les manifestants palestiniens ont pris à leur compte les revendications de leurs compatriotes prisonniers, le sort de ces derniers est loin d’expliquer à lui seul les tensions actuelles.
"Les Palestiniens baignent dans la frustration", rappelle le chercheur Ghassan Khatib. Tout d’abord parce que l’Autorité palestinienne connaît une crise financière sans précédent. Les monarchies arabes du Golfe peinent aujourd’hui à honorer le versement de leurs dons, indispensables à sa survie. Quant aux États-Unis, le Congrès, dominé par les Républicains, bloque pour le moment les 500 millions d’euros qui lui ont pourtant été promis. Conséquence directe, les salaires des 100 000 fonctionnaires palestiniens sont versés sporadiquement. Et ce n’est pas le blocage des taxes qu’Israël perçoit pour le compte de l’Autorité palestinienne, en représailles à l’initiative "unilatérale" de la Palestine à l’ONU, qui arrange la donne.
"Les 19-29 ans subissent de plein fouet la hausse du chômage", souligne Ghassan Khatib. Pendant ce temps, la colonisation des territoires palestiniens, interdite en vertu du droit international, se poursuit en toute illégalité. Et avec elle, la violence des colons extrémistes contre les populations palestiniennes. "Leur noyau idéologique, c’est-à-dire 50 000 personnes, s’interdit de rendre aux Palestiniens ne serait-ce qu’un pouce de la terre promise par Dieu", rappelle une source locale. "Et aucun d’entre eux n’a été jugé jusqu’ici, alors que des centaines d’attaques ont été recensées contre les villageois", déplore de son côté Ghassan Khatib.
Cette poursuite de la colonisation demeure aujourd’hui la principale entrave à la reprise des négociations de paix, bloquées depuis septembre 2010. "Ce sont les Palestiniens qui utilisent cette question pour ne pas revenir à la table des négociations", estime Yaron Gamburg. "Israël refuse que se développent en Cisjordanie, comme c’est le cas à Gaza, des groupes terroristes qui lancent leurs roquettes sur Israël". Ajoutez à cette impasse diplomatique l’échec de la réconciliation interpalestinienne entre le Fatah et le Hamas, au pouvoir à Gaza, et vous comprendrez pourquoi l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas est au bord du chaos.
Opposé à la lutte armée, qu’il juge contreproductive, le président palestinien a pourtant connu un succès relatif en novembre 2012, en obtenant de l’Assemblée générale de l’ONU la reconnaissance de la Palestine en tant qu’État observateur non membre. Mais l’euphorie a été de courte durée. "Rien n’a changé sur le terrain, alors que Mahmoud Abbas avait brandi la menace d’un recours aux instances judiciaires internationales pour faire respecter les droits de la Palestine", note Olivier Danino*, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique (Ifas).
"Le désarroi est total, aujourd’hui, en Cisjordanie", affirme notre source sur place. "Les Palestiniens se disent qu’ils n’ont plus rien à perdre et lancent par là même un message à Barack Obama." Tandis que le président américain s’apprête à effectuer le mois prochain une visite historique en Israël, mais aussi en Cisjordanie, "une intifada pacifique pourrait servir de moyen de pression à l’Autorité palestinienne pour ramener Israël à la table des négociations", indique le chercheur Olivier Danino. "C’est jouer avec le feu, autant pour nous, Israéliens, que pour les Palestiniens eux-mêmes", insiste quant à lui Yaron Gamburg.
La menace est en tout cas prise très au sérieux par l’État hébreu. Face à une mobilisation qui persiste dans la durée et gagne en intensité, Benyamin Netanyahou a exigé de l’Autorité palestinienne qu’elle prenne ses "responsabilités" en empêchant les violences en Cisjordanie. Problème, les forces de sécurité palestiniennes n’ont elles-mêmes pas été payées le mois dernier. Voilà peut-être ce qui explique pourquoi le Premier ministre israélien a décidé à la hâte dimanche de dégeler le transfert des taxes dues à l’Autorité palestinienne pour le mois de décembre.

(25-02-2013 - Armin Arefi)

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