Un étudiant palestinien de l’université de Birzeit jette une
pierre en direction de soldats israéliens, après une manifestation de
soutien à ses compatriotes prisonniers en Israël. © ISSAM RIMAWI / Sipa
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Des pierres jetées par des dizaines de jeunes manifestants
encagoulés. Des soldats israéliens répliquant par des tirs à balles
réelles. Ces scènes ne sont pas sans rappeler les deux intifadas
(soulèvements, NDLR) qui ont secoué le Proche-Orient dans les années
1990 et 2000. Elles se reproduisent pourtant à nouveau depuis la semaine
dernière à Ramallah, Hébron, Naplouse ou encore Jenine, en Cisjordanie,
en solidarité avec les quelque 4 700 prisonniers palestiniens détenus
en Israël.
La mobilisation a pris une nouvelle intensité samedi, après le décès de
l’un des détenus, Arafat Jaradat. Ce militant du Fatah, au pouvoir en
Cisjordanie, avait été arrêté le 18 février à la suite de heurts près de
la colonie de Kiryat Arba, au sud de la Cisjordanie, au cours desquels
un Israélien avait été blessé. Durant ses obsèques, organisées ce lundi
près d’Hébron, les Brigades des martyrs Al-Aqsa, la branche armée du
mouvement nationaliste palestinien, ont promis "à l’occupant sioniste de
riposter".
D’après le Shin Beth, les services de sécurité intérieure de l’État
hébreu, qui a soumis le prisonnier palestinien à des interrogatoires en
prison, Arafat Jaradat aurait été victime d’un malaise. Faux, répond sa
famille, pour qui le détenu, 30 ans et père de deux enfants, était en
parfaite santé. Sa mort a en tout cas provoqué de vives réactions de la
part des dirigeants palestiniens, qui n’ont pas hésité à accuser Israël.
Le président Mahmoud Abbas a accusé lundi l’État hébreu de vouloir
délibérément "créer le chaos" dans les Territoires palestiniens.
La veille, le ministre palestinien des Prisonniers, Issa Qaraqaë, avait
imputé à Israël l’"assassinat" du militant du Fatah, mort selon lui des
suites de "tortures". Interrogé, Yaron Gamburg, porte-parole de
l’ambassade d’Israël en France, regrette que la question des prisonniers
palestiniens soit "manipulée" par les dirigeants. Désormais scandé dans
les manifestations, le nom d’Arafat Jaradat est venu s’ajouter à celui
de quatre détenus palestiniens en grève de la faim depuis plusieurs mois
(par intermittence).
Samer Issaoui, Aymane Charawneh, Jaafar Ezzeddine et Tariq Qaadane
entendent protester contre le régime de détention administrative qui
frappe 178 prisonniers palestiniens. Cette disposition spécifique,
héritée du mandat britannique sur la Palestine, permet à l’État hébreu
d’incarcérer sans inculpation ni jugement un suspect pour une période de
six mois, renouvelable indéfiniment. Leur combat est d’autant plus
sensible que deux des grévistes - Samer Issaoui et Aymane Charawneh -
faisaient partie du millier de prisonniers palestiniens relâchés en
octobre 2011, dans le cadre de l’accord sur la libération du soldat
franco-israélien Gilad Shalit.
Mais ils ont été à nouveau arrêtés par Tsahal l’année dernière, pour
avoir violé les conditions de leur libération. "Ils ont participé à des
activités qui menacent l’ordre public, comme c’est le cas à chaque fois
que des militants appartenant à des groupes terroristes commettent de
tels actes", précise Yaron Gamburg. "Ils ont été arrêtés à nouveau parce
qu’ils se trouvaient dans une zone de Cisjordanie où ils n’étaient pas
autorisés à se rendre", estime de son côté Ghassan Khatib, professeur en
études arabes contemporaines à l’université de Birzeit (Cisjordanie).
"Ceci n’a rien à voir avec des activités violentes", insiste-t-il.
"Si les autorités israéliennes possèdent des preuves de la culpabilité
de ces individus, elles n’ont qu’à les juger, au lieu de les maintenir
ainsi en détention sans accusation", souligne une source bien informée
sur place. "Israël n’est pas le seul pays au monde à utiliser ce
procédé. Les États-Unis et la Grande-Bretagne le font aussi", rappelle
pour sa part Yaron Gamburg, le porte-parole de l’ambassade israélienne.
Si les manifestants palestiniens ont pris à leur compte les
revendications de leurs compatriotes prisonniers, le sort de ces
derniers est loin d’expliquer à lui seul les tensions actuelles.
"Les Palestiniens baignent dans la frustration", rappelle le chercheur
Ghassan Khatib. Tout d’abord parce que l’Autorité palestinienne connaît
une crise financière sans précédent. Les monarchies arabes du Golfe
peinent aujourd’hui à honorer le versement de leurs dons, indispensables
à sa survie. Quant aux États-Unis, le Congrès, dominé par les
Républicains, bloque pour le moment les 500 millions d’euros qui lui ont
pourtant été promis. Conséquence directe, les salaires des 100 000
fonctionnaires palestiniens sont versés sporadiquement. Et ce n’est pas
le blocage des taxes qu’Israël perçoit pour le compte de l’Autorité
palestinienne, en représailles à l’initiative "unilatérale" de la
Palestine à l’ONU, qui arrange la donne.
"Les 19-29 ans subissent de plein fouet la hausse du chômage", souligne
Ghassan Khatib. Pendant ce temps, la colonisation des territoires
palestiniens, interdite en vertu du droit international, se poursuit en
toute illégalité. Et avec elle, la violence des colons extrémistes
contre les populations palestiniennes. "Leur noyau idéologique,
c’est-à-dire 50 000 personnes, s’interdit de rendre aux Palestiniens ne
serait-ce qu’un pouce de la terre promise par Dieu", rappelle une source
locale. "Et aucun d’entre eux n’a été jugé jusqu’ici, alors que des
centaines d’attaques ont été recensées contre les villageois", déplore
de son côté Ghassan Khatib.
Cette poursuite de la colonisation demeure aujourd’hui la principale
entrave à la reprise des négociations de paix, bloquées depuis septembre
2010. "Ce sont les Palestiniens qui utilisent cette question pour ne
pas revenir à la table des négociations", estime Yaron Gamburg. "Israël
refuse que se développent en Cisjordanie, comme c’est le cas à Gaza, des
groupes terroristes qui lancent leurs roquettes sur Israël". Ajoutez à
cette impasse diplomatique l’échec de la réconciliation
interpalestinienne entre le Fatah et le Hamas, au pouvoir à Gaza, et
vous comprendrez pourquoi l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas est
au bord du chaos.
Opposé à la lutte armée, qu’il juge contreproductive, le président
palestinien a pourtant connu un succès relatif en novembre 2012, en
obtenant de l’Assemblée générale de l’ONU la reconnaissance de la
Palestine en tant qu’État observateur non membre. Mais l’euphorie a été
de courte durée. "Rien n’a changé sur le terrain, alors que Mahmoud
Abbas avait brandi la menace d’un recours aux instances judiciaires
internationales pour faire respecter les droits de la Palestine", note
Olivier Danino*, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique
(Ifas).
"Le désarroi est total, aujourd’hui, en Cisjordanie", affirme notre
source sur place. "Les Palestiniens se disent qu’ils n’ont plus rien à
perdre et lancent par là même un message à Barack Obama." Tandis que le
président américain s’apprête à effectuer le mois prochain une visite
historique en Israël, mais aussi en Cisjordanie, "une intifada pacifique
pourrait servir de moyen de pression à l’Autorité palestinienne pour
ramener Israël à la table des négociations", indique le chercheur
Olivier Danino. "C’est jouer avec le feu, autant pour nous, Israéliens,
que pour les Palestiniens eux-mêmes", insiste quant à lui Yaron Gamburg.
La menace est en tout cas prise très au sérieux par l’État hébreu. Face à
une mobilisation qui persiste dans la durée et gagne en intensité,
Benyamin Netanyahou a exigé de l’Autorité palestinienne qu’elle prenne
ses "responsabilités" en empêchant les violences en Cisjordanie.
Problème, les forces de sécurité palestiniennes n’ont elles-mêmes pas
été payées le mois dernier. Voilà peut-être ce qui explique pourquoi le
Premier ministre israélien a décidé à la hâte dimanche de dégeler le
transfert des taxes dues à l’Autorité palestinienne pour le mois de
décembre.
(25-02-2013 - Armin Arefi)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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