Abolir la détention « administrative »
La lutte du peuple palestinien pour l’abolition de la détention
« administrative » se poursuit. Le nombre de prisonniers en grève
illimitée de la faim s’élève. Mais au-delà de cette forme de détention
humiliante et arbitraire qui vise tout Palestinien qui réclame la fin de
l’occupation, c’est la mort du martyr Arafat Jaradat (30 ans) dans les
salles de torture « israéliennes » qui a finalement soulevé les masses
palestiniennes, dans tous les territoires palestiniens occupés et dans
l’exil, autour de la question des prisonniers et contre l’occupation. Le
martyre de Arafat Jaradat sous la torture ne fait aucun doute, même si
les uns et les autres semblent vouloir apaiser les esprits en réclamant
une enquête internationale « neutre », comme si la neutralité était la
marque déposée des organismes internationaux, ONU en tête. Les services
de renseignements sionistes, qui pratiquent la torture des prisonniers,
avaient refusé la demande des libéraux sionistes que les interrogatoires
soient filmés. La famille de Arafat Jaradat affirme que les soldats de
l’occupation lui ont demandé de faire ses adieux à leur fils et père,
avant de l’emmener. Le crime fut prémédité, l’entité sioniste toute
entière a décidé de donner l’exemple : la torture et l’assassinat sont
sa réponse aux prisonniers et au peuple palestinien qui se soulève. Les
organisations et organismes internationaux et les Etats « civilisés »
sont complices de ce crime, même s’ils le dénoncent ou réclament des
enquêtes. Ils sont complices car ils ont laissé et laissent faire l’Etat
de la barbarie, ils détournent l’attention de la « communauté
internationale » et des peuples vers des conflits qu’ils suscitent
ailleurs, et laissent le sort des prisonniers palestiniens entre les
mains de leurs bourreaux sionistes.
Samer Issawi, Ayman Sharawneh, sont toujours en grève de la faim,
réclamant leur libération et l’abolition de la détention
« administrative ». Leur état de santé est une fois encore critique, ils
ont été emmenés d’urgence à l’hôpital à Haïfa. Quant à Jaafar Izzidine
et Tareq Qaadane, ils ont suspendu leur grève de la faim le 28 février,
après que le tribunal sioniste ait promis de revoir leur dossier le 8
mars prochain. Si rien n’est fait, ils reprennent la grève, comme l’a
affirmé le frère de Jaafar Izzidine. Le mouvement du Jihad islamique a
estimé qu’il s’agit d’une nouvelle victoire arrachée par les prisonniers
contre la détention « administrative ».
Contrairement à ce que
pensent certains, dont des responsables politiques palestiniens, les
prisonniers grévistes ne mènent pas une lutte individuelle. Samer Issawi
et Ayman Sharawneh luttent pour que cessent également l’arrestation et
la détention des prisonniers libérés lors de l’accord d’échange
d’octobre 2010. A la suite de sheikh Khodr Adnane, qui avait entamé une
grève de la faim en décembre 2011 et qui a été libéré 66 jours après, et
dont la lutte a déclenché les manifestations dans toute la Palestine et
dans l’exil, les prisonniers combattants mènent aujourd’hui une lutte
qui s’inscrit dans l’histoire du mouvement des prisonniers et dans
l’histoire de la résistance palestinienne. Cependant, depuis la division
inter-palestinienne en 2007, le mouvement national des prisonniers a
subi le contre-coup de cette division et il est devenu extrêmement
difficile pour les prisonniers de s’unir et de mener une lutte générale
de longue durée.
Ils sont aujourd’hui 14 prisonniers à mener la lutte de la grève
illimitée de la faim : outre les quatre résistants, Mona Qaadane,
prisonnière sœur de Tareq Qaadane, maintes fois arrêtée et détenue, et
libérée lors de l’accord d’échange, Maher Younes, doyen des prisonniers
palestiniens, originaire des territoires occupés en 1948, a entamé la
grève illimitée de la faim à partir du 25 février. Ayman Saqr, Umar
Ayoub, Sufyan Rabi’, Hazem Tawil, Younes Haroub, Ibrahim Khalil Ali
Sheikh (détenu depuis le 31 mai 2012), Mohammad Ahmad Najjar (détenu
depuis le 30 octobre 2012) et Abdallah Mohammad Hadiya (détenu depuis le
24/12/2012) refusent leur détention « administrative ».
A la demande de la mère de Samer Issawi et de Samer Issawi lui-même,
sheikh Khodr Adnane a cessé la grève de la faim qu’il avait commencée
dans les locaux du CICR, d’autant plus que sa présence devant la prison
de Ofer, dans la ville d’al-Khalil ou ailleurs en Cisjordanie, a
largement contribué à développer le mouvement de la solidarité populaire
avec les prisonniers. Cependant, le prisonnier libéré Thaer Halahla,
qui avait mené la grève de la faim et obligé l’Etat de l’occupation à
prononcer sa libération, a entamé la grève de la faim dans sa ville
al-Khalil, en solidarité avec les prisonniers en lutte.
Le tribunal de l’occupation a refusé l’appel présenté par l’avocat du
prisonnier « administratif » Ayed Mohammad Doudeen (46 ans) de Doura,
dans la province d’al-Khalil. Doudeen est détenu depuis un an et demi
sans charge autre que des « éléments secrets » fournis par les services
de renseignements sionistes. Le prisonnier Doudeen a été détenu pendant 8
ans en détention « administrative ». Sa dernière arrestation a eu lieu
le 9 août 2011, deux mois après avoir été libéré. Le Shabak prétend que
Doudeen est un des principaux dirigants de la résistance dans la ville
d’al-Khalil.
Statistiques
Plusieurs prisonniers libérés lors de l’accord d’échange en octobre 2010
ont à nouveau été arrêtés : outre Ayman Sharawneh (Hamas), Samer Issawi
(FDLP), Mona Qaadane (Jihad islamique), Iyad Funoun de Bethlehem, Ali
Jumaa (al-Khalil), Ibrahim Abu Hajleh (FDLP), Youssef Ishtiwi
(Qalqylia), Ayman Abou Daoud (al-Khalil), Mohammad Jumaa Teem (Nablus)
et Abdel Rahman Dahbour (Qalqilya) ont été arrêtés et mis en détention
« administrative ». Les autorités sionistes discutent de leur
emprisonnement selon les charges qui avaient été retenues contre eux,
c’est-à-dire la résistance à l’occupation, avant leur libération.
Mohammad Teem et Youssef Ishtiwi ont déjà été condamnés à la poursuite
de leurs anciennes condamnations.
203 résistants faits prisonniers sont décédés dans les prisons de
l’occupation depuis 1967, à cause de la torture, de la négligence
médicale ou de l’assassinat. 71 résistants sont tombés martyrs du fait
de la torture, 51 résistants du fait de la négligence médicale, 74
résistants furent assassinés de sang-froid après leur arrestation et 7
résistants furent tués par les forces sécuritaires à l’intérieur des
prisons. 7 résistants prisonniers furent assassinés dans la prison de
Meggido.
Ayant rompu l’accord d’octobre 2010, les autorités de l’occupation
continuent à isoler plusieurs dirigeants résistants : Darrar Abou Sissi,
Samer Abou Kweik, Tamer Rimawi, Awad Qa’idi et Imad Serhan.
Enlèvement et emprisonnement d’un caricaturiste
Le célèbre caricaturiste palestinien, Mohammad Sabaane (34 ans), a été
arrêté par les forces de l’occupation le 16 février dernier alors qu’il
revenait de Jordanie. Sabaane a été transféré à la prison de Ascalan le
25 février. Le 28 février, sa détention a été renouvelée de 8 jours.Son
frère a affirmé que la famille n’avait aucune nouvelle de Mohammad car
les avocats ont été empêchés de le voir. Mohammad Sabaane a reçu
plusieurs prix palestiniens et arabes pour ses caricatures qui traitent
de l’occupation et de la situation interne palestinienne.
Libération
Ayman Shaath de la bande de Gaza a été libéré après 20 ans
d’emprisonnement dans les prisons sionistes. Ayman faisait partie de la
branche armée du Fateh, au temps de la première Intifada en 1987. Il fut
arrêté à l’âge de 16 ans, avec son frère Ameen (15 ans), qui a été
libéré après 12 ans d’emprisonnement. Ils furent accusés d’avoir tué un
officier sioniste et furent condamnés à la perpétuité. Mais à cause de
leur jeune âge, la peine fut allégée à 12 et 20 ans de prison.
Lettre de prison
De la prison de Gilboa, Maher Younes, un des plus anciens prisonniers
palestiniens (son cousin Karim Younes étant le doyen) et détenu depuis
1983, a transmis une lettre adressée au peuple palestinien, à sa
direction politique, annonçant qu’il entame la grève de la faim.
« Aux masses de notre peuple héroïque palestinien, aux dirigeants,
cadres et membres des organisations nationales et islamiques, aux
membres du comité exécutif de l’OLP, au président de l’Etat de
Palestine, à son chef de gouvernement et à notre gouvernement unifié,
aux membres du comité de suivi arabe dans l’intérieur palestinien
(territoires occupés en 1948), au secrétaire général de la Ligue des
Etats arabes, à tous les Etats membres, à tous les amis du peuple
palestinien et aux êtres libres de ce monde, je vous transmet le salut
de la liberté.
Je m’adresse à vous de cette sombre cellule où l’occupation a avalé plus
de 30 ans de ma vie… Est-il possible que je ne puisse toucher ou
embrasser les mains de ma mère depuis plus de trois décennies, alors
qu’elle se trouve à la distance d’un baiser ! Et mon père qui fut
enterré sans que je lui dise adieu ! et ma famille qui s’agrandit et
s’élargit, sans que je ne la connaisse ! Et la femme à la volonté de
fer, l’amie et l’épouse qui n’a pas dépassé les limites de la pensée
abstraite dans mon esprit ! Il est vrai que j’ai sacrifié (ma vie) et je
crois toujours au sacrifice en faveur de la chère Palestine. Mais
comment un combattant comme moi et comment des centaines d’autres que
moi ont été abandonnés entre les mains de l’occupant, alors que ce qui
s’appelle le processus de paix se déroule au-dessus de nos âmes et de
nos vies depuis plus de 20 ans ? Comment nos dirigeants vivent leur vie
ordinaire alors que nous n’avons pas de vie pendant tout ce temps, et
sans qu’ils agissent pour nous libérer par tous les moyens possibles ?
Afin que j’allume l’espoir dans la vie qui me reste, à moi et mes frères
et camarades, que je mette toutes les parties palestiniennes et
internationales face à leurs responsabilités humaines, que je dénonce
les pratiques répressives et racistes de l’occupation envers nous-mêmes,
et que je poursuive le chemin difficile de ceux qui l’ont emprunté
avant moi, je me remets à Dieu et à mon cher peuple palestinien, j’ai
décidé de mener la grève illimitée de la faim, à partir du 25 février
2013, pour les motifs suivants :
1 – pour la liberté des prisonniers, sans distinction entre eux, et les anciens prisonniers avant tout.
2 – Israël est un Etat d’apartheid à tous les niveaux (politique,
juridique, législatif, civil, etc..), la preuve étant notre présence en
prison toutes ces années. Bien qu’il n’y ait aucune comparaison entre la
victime et le bourreau, je ferai cette remarque : les juifs qui ont
assassiné des Palestiniens, sur des bases nationales, et qui ont été
condamnés à la perpétuité, ont été libérés après 7 ans de détention….
3 – J’appelle mon peuple dans l’intérieur palestinien a agir et à
participer au mouvement qui se déroule en Cisjordanie et dans al-Quds.
4 – J’appelle notre peuple à organiser un grand rassemblement populaire à
Ramallah le jour de la visite du président américain Obama afin
d’exposer la situation des prisonniers. Soyez présents dans la tente de
la protestation face au siège de l’ONU à Ramallah et faites-lui porter
la responsabilité de la protection de nos droits fondamentaux après que
l’Etat de Palestine ait été reconnu.
Chères sœurs, chers frères
Je vous promets d’être fidèle à tous les principes et les valeurs
révolutionnaires par lesquelles nous avons été éduqués, jusqu’à ce que
nous nous retrouvions libres sous le ciel de la liberté dans al-Quds
libérée.
…
Maher Abdel Latif Younes
25 Février 2013 – Prison centrale de Gilboa. »
Solidarité
Le peuple palestinien résiste à l’occupation. Avant même le martyre de
Arafat Jaradat, assassiné dans la prison de Meggido, les manifestations
devant les prisons de Ofer, de Hawwara et de Ascalan ont rassemblé des
centaines de Palestiniens en colère réclamant la libération des
prisonniers en lutte pour la dignité, sans compter les centaines de
manifestants dans les villes de Cisjordanie, et notamment dans la ville
d’al-Quds, et plus précisément à al-Issawiya.
Le martyre de Arafat Jaradat a élargi le mouvement de protestation. Dans
la ville d’al-Khalil et sa région, lieu d’origine du martyr, les
Palestiniens sont entrés en confrontation avec les soldats de
l’occupation, la veille de la remise de sa noble dépouille et le jour de
son enterrement. A Ramallah comme toutes les agglomérations, ce fut un
soulèvement généralisé, de sorte que les forces de l’occupation ont
parlé de « troisième intifada » qui commençait. L’attitude de l’Autorité
palestinienne de Ramallah et notamment du président Mahmoud Abbas fut
d’accuser les sionistes de provoquer les Palestiniens, comme si
l’occupation en soi n’était pas une raison pour se soulever et lutter,
comme si les barrages, les arrestations quotidiennes, le vol des terres
et les crimes des colons contre « la pierre et l’humain » n’étaient pas
des provocations ! Mais la logique de l’Autorité Palestinienne de
Ramallah n’est certainement pas celle du peuple ni des résistants.
De nombreux commentateurs discutent de la « nouvelle intifada »,
comparant ce qui se passe aujourd’hui en Cisjordanie aux précédents
soulèvements. Certains mettent en avant son caractère « non-violent »,
d’autres parlent de spontanéité de la « rue » et l’absence des
organisations de la résistance, certains la craignent, évoquant la
« violence », d’autres la souhaitent et appelent à une large
mobilisation populaire contre l’occupation. Cependant, les organisations
de la résistance sont présentes dans le mouvement et les multiples
actions réclamant la libération des prisonniers sont en majorité menées
par ces organisations.
Dans plusieurs capitales et villes américaines et européennes, avant et
après l’assassinat du martyr Jaradat, plusieurs manifestations ont eu
lieu réclamant l’abolition de la détention « administrative » et la
libération des prisonniers palestiniens. Les manifestants ont affirmé
leur solidarité avec le héros Samer Issawi, dont la grève de la faim a
dépassé les 220 jours. Des centaines d’articles sont parus dans la
presse arabe et internationale, pour rendre hommage à ce nouvel héros
palestinien, soulignant parfois que le peuple palestinien n’a pas fini
d’étonner le monde par ses formes de lutte et son courage.
Les camps palestiniens au Liban ont décidé une grève générale dans les
camps en soutien aux prisonniers palestiniens et pour protester contre
la torture ayant entraîné le martyre de Arafat Jaradat. Devant le siège
de l’ESCWA, un rassemblement unitaire palestinien a eu lieu le 28
février.
("Baladi", Mars 2013)
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