Le titre du débat comporte une problématique qui suscite, depuis quatre
ans, des discussions et des combats idéologiques interminables, tant au
sein des partis politiques arabes que parmi les intellectuels, de gauche
notamment. Certains pensent que les événements survenus durant ces
dernières années constituent des soulèvements et aussi des révolutions
dont les points de départ (et les causes) ne sont autres que les régimes
réactionnaires, inféodés au capitalisme mondial, et les dictatures
instaurées dans les années cinquante du XXème siècle et qui ont suivi
des politiques répressives, tantôt au nom du nationalisme arabe, tantôt
au nom de la cause palestinienne. Par contre, d’autres analystes
prêchent que les soulèvements n’ont rien de révolutionnaire, et qu’ils
ont été commandités par « le diable » impérialiste qui tente, à la suite
de l’explosion de sa crise structurelle, de mettre en exécution son
nouveau plan pour la région arabe et moyen orientale et, en même temps,
de couper l’herbe sous les pieds de ceux qui pensaient profiter de la
situation de crise afin de procéder à des changements notoires.
Cette problématique fut aussi posée par le Parti Communiste libanais.
Mais, elle acquiert plus d’importance aujourd’hui dans le cadre de la
préparation des documents du XXIème congrès du Parti ; et, cela, pour
deux raisons essentielles.
La première est que les vingt-quatre dernières années, qui ont
suivi la chute des régimes socialistes, en Union Soviétique et dans les
autres pays socialistes européens, furent marquées par une crise
généralisée au sein de tous les partis communistes (et, même, de
gauche). Cette crise s’est concrétisée, dans notre région surtout, par
un repli sur soi du Mouvement de Libération Nationale Arabe ainsi que du
projet que ce mouvement avait formulé concernant la lutte pour une
libération nationale, politique et économique, et contre
l’assujettissement à l’impérialisme que les régimes réactionnaires et
bourgeois – l’oligarchie financière notamment – avaient mis au point
depuis la fin de la première moitié du XXème siècle.. A cela s’est
ajouté un désistement complet de la responsabilité de la lutte contre le
sionisme et pour la cause palestinienne au moment où le projet dit du «
moyen Orient » - sous toutes ses formes – était mis en avant et, avec
lui, une distribution de rôles nouveaux, non seulement pour Israël, mais
également pour certaines puissances régionales, la Turquie en premier
lieu.
La seconde raison réside, quant à elle, dans ce que nous
appelons, nous Communistes libanais, le lien entre les facteurs internes
et externes environnants. En effet, et à la lumières de l’expérience
vécue dans les années soixante-dix du siècle dernier, le changement
démocratique au Liban est presque impossible si nous ne prenons pas en
considération la situation environnante qui peut soit l’aider à se
raffermir ou l’en empêcher (l’intervention syrienne et arabe, en
général, en 1976-1977).
A partir de cette vision globale, nous allons nous arrêter sur les
événements des quatre dernières années, à commencer par le 22 octobre
2010, c’est-à-dire deux mois avant le mouvement révolutionnaire en
Tunisie, qui mit fin à la dictature de Ben Ali..
Ce jour-là, eut lieu, sous l’instigation du PCL, la première rencontre
d’une vingtaine de partis appartenant à la gauche arabe. Le thème de
cette rencontre était la nécessité de se regrouper dans un « Forum de la
gauche arabe » dans le but de mettre au point une réponse commune à
trois impératifs : Comment organiser la lutte contre les politiques
d’agression et d’occupation impérialiste - israélienne. Comment
renforcer l’action de la gauche dans les rangs de la classe ouvrière,
des paysans et des masses populaires. Afin de mettre en marche le
programme du développement et du changement social Comment œuvrer pour
l’établissement des libertés, de la démocratie et de l’égalité
Le résultat de cette première rencontre fut la mise au point d’un
programme politique et socio-économique pour le changement dans les pays
arabes, avec un grand titre, celui de l’instauration d’Etats
patriotiques et démocratiques dans le but du socialisme et afin d’en
finir avec les régimes dépendants, inféodés à l’impérialisme. Il fut
convenu, durant cette réunion, d’élargir le cercle à tous les partis de
la gauche arabe, les appelant à coordonner leurs efforts et leurs luttes
et de s’ouvrir aux autres forces démocratiques afin de mettre au point
un programme de coopération qui répondrait aux aspirations des peuples
arabes dans la libération nationale et l’unité face à l’ennemi
impérialiste – sioniste.
Il est vrai que le premier « Forum de la gauche arabe » n’avait pas
prévu tout ce qui allait se passer quelques mois plus tard ; cependant,
il faut convenir que nous avions vu clair dans le fait que la crise dans
les pays arabes, née des politiques néolibérales suivies par les
régimes à la solde du capitalisme dans notre région, ne pouvait être
résolue en dehors du changement de ces régimes, c’est-à-dire sans des
révolutions sociales qui poursuivraient, en même temps, deux grands
objectifs, patriotique et de classe. Voilà pourquoi nous ne fûmes pas
très surpris par les révolutions qui ont eu lieu successivement en
Tunisie et en Egypte, parce que ces deux grands changements étaient
l’aboutissement logique des décennies de répression, de
sous-développement et d’inféodation à l’impérialisme dans la majorité
des pays arabes… Sans oublier que ces changements radicaux étaient aussi
l’aboutissement des milliers de mouvements sociaux de tous genres
(grèves, manifestations, insubordination civile) que les peuples de ces
deux pays avaient organisés durant les vingt dernières années.
Sur cette base, le deuxième « Forum de la gauche arabe », réuni
exceptionnellement en février 2011, avait pour but de penser à la
sauvegarde des révolutions survenues en Tunisie et en Egypte, tenant
compte (en plus de notre expérience libanaise en 1976-1977) du fait que
les forces de la contre-révolution ne tarderaient pas à agir avec le
soutien des puissances impérialistes et des régimes réactionnaires
arabes afin de récupérer, d’une part, les positions perdues et de
recourir à des actions préventives dans d’autres pays arabes, d’autre
part. De plus, durant cette réunion, nous avons insisté sur la nécessité
de mettre au point une stratégie pouvant faire face à de possibles
recours à l’arme religieuse ou confessionnelle ou ethnique, ou aux trois
en même temps qui avaient déjà bouleversé le climat politique arabe,
tant au Liban qu’au Soudan ou en Egypte et dont nous voyons,
aujourd’hui, les méfaits en Syrie, en Irak et au Liban sous la forme de
groupuscules terroristes (Etat Islamique en Irak et en Syrie – DAESH… et
autres).
Et, là, il nous faut nous arrêter quelque peu sur deux projets très dangereux et très liés qui ont fait surface dernièrement.
Le premier est celui des forces terroristes nouvelles mais qui
nous rappellent de très près l’organisation d’AL Qaeda, vu qu’elles se
mettent sous la bannière de la religion.
Le second est le nouveau projet étasunien qui se base sur une
nouvelle coalition mélangeant l’Union européenne, l’OTAN et les régimes
réactionnaires arabes (l’Arabie saoudite notamment) et moyen orientaux
qui sont connus pour avoir, pendant de longues années, nourri le
terrorisme et les divisions confessionnelles et ethniques sous toutes
leurs formes.
En effet, le projet initial étasunien occupe à nouveau l’avant-scène de
la région, après les coups durs qu’il avait encaissés en Irak et en
Afghanistan. Il tire profit des conflits nouveaux, sunnites-chiites
(Irak, Liban) ou sunnites-alaouites (Syrie), ou encore entre l’Arabie
saoudite et l’Iran, ou entre les sunnites eux-mêmes (Egypte, Libye,
Afghanistan), afin de récupérer une partie du terrain perdu ; mais le
plus dangereux réside dans le fait que certaines forces politiques anti
impérialistes misent aujourd’hui sur l’intervention armée de la nouvelle
coalition, pensant réellement que cette coalition tente réellement
d’éradiquer le terrorisme, tandis que nous savons que c’est
l’impérialisme qui avait nourri les groupes terroristes, leur procurant –
à travers le Qatar, l’Arabie saoudite, la Turquie et, même, Israël –
toute l’aide militaire et financière dont ils avaient besoin.
D’ailleurs, il ne faut pas oublier que c’est la Turquie qui fut la
plaque tournante du terrorisme depuis le début de la crise syrienne et
que ce pays, gouverné par les « Frères musulmans », a beaucoup aidé la
contre-révolution en Egypte et en Tunisie et qu’il tente de changer la
carte de la Syrie et d’autres pays de la région arabe.
Pendant tout ce temps, Israël profite des guerres religieuses arabes et
régionales afin de faire avancer son projet dit « Etat des Juifs dans le
monde ». Projet qui vise à liquider la cause palestinienne, mais aussi à
donner un nouveau souffle au projet initial du sionisme, à savoir la
création d’un Etat allant du Nil à l’Euphrate (Le Grand Israël) et dont
les nouveaux instigateurs profitent du besoin qu’a le capitalisme en
crise des services israéliens afin de continuer à régner sur les
richesses de la région.
Et, là, je voudrais attirer l’attention sur la propagande qui se fait
autour du désintéressement récent des Etats-Unis quant au pétrole et au
gaz arabes, remplacés par le gaz de schiste et autres sources d’énergie…
Cette propagande tente de faire oublier aux peuples de la région arabe
les visées stratégiques de l’impérialisme étasunien, qui ne consistent
pas seulement à accaparer les sources d’énergie de la région afin de
pourvoir aux besoins des Etats-Unis, mais aussi afin de consolider son
leadership branlant du fait des coups durs reçus en Amérique latine et,
même, en Europe (sans oublier le rôle futur de la Chine). Parce que la
domination de la région arabe, tant en Orient qu’au nord de l’Afrique,
aide à imposer la volonté de Washington vis-à-vis de la Chine et de
l’Europe occidentale, toutes deux ayant besoin du pétrole arabe et moyen
oriental. De plus, il ne faut pas oublier que le Maghreb arabe a un
rôle essentiel dans le projet de mainmise impérialiste étasunien sur
l’Afrique très importante dans les guerres futures que Washington
prépare (aidé par Tel Aviv) sous les deux slogans des guerres de l’eau
et de la nourriture.
C’est pourquoi nous pensons que le programme de lutte défini par le
quatrième « Forum de la gauche arabe », tenu à l’orée de la seconde
Révolution égyptienne (30 juin 2013), qui fit tomber le gouvernement des
« Frères musulmans », peut constituer un projet de lutte pour cette
étapes transitoire qui doit prendre en considération l’union entre la
lutte pour la libération sociale (contre les forces, notamment les
forces politiques islamistes, opposées aux mouvements révolutionnaires)
et la lutte de libération de l’impérialisme. En effet, et à partir de
cette union entre les impératifs de la libération nationales et ceux du
changement social, à partir de l’opposition aux projets politiques,
socio-économiques et idéologiques de l’impérialisme (dans le but de
mettre fin à la dépendance, et à l’inféodation aux puissances
impérialistes, et de suivre une politique de développement et de
progrès), nous pouvons dire que l’étape actuelle conduit vers une autre
plus importante, celle de « la révolution nationale démocratique » qui
vise à mettre fin au régime de l’oligarchie financière et à instaurer à
sa place un Etat patriotique démocratique résistant à l’occupation de
notre sol et de nos richesses mais aussi – et c’est, là, le plus
important – aux projets de domination impérialiste. Etape que les masses
populaires arabes ont définie dans les mots d’ordre qu’elles ont
brandis et que nous pouvons résumer comme suit : Liberté – démocratie –
Dignité humaine – Progrès social.
Ce programme de lutte ne peut se faire sans un outil important : un
Front de Résistance Patriotique arabe dont la tâche première est de
combattre les projets impérialistes et terroristes, complémentaires,
afin de faire naître l’ère du changement.
D. Marie NASSIF-DEBS
Secrétaire Générale Adjointe du PCL
90ème anniversaire du Parti communiste libanais
UNESCO - Beyrouth, lundi 26 octobre 2014
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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