mardi 11 novembre 2014

Israël/Palestine : "La reconnaissance d'un État palestinien signifierait la fin du processus de paix" (Yuval Steinitz)

Une rare flambée de violence secoue actuellement le Proche-Orient. Depuis deux semaines, la Cisjordanie et Jérusalem-Est sont le théâtre de manifestations palestiniennes quotidiennes que d'aucuns n'hésitent plus à qualifier de troisième Intifada. De passage en France pour parler du nucléaire iranien avec Laurent Fabius, Yuval Steinitz, le ministre israélien du Renseignement, des Affaires stratégiques et des Relations internationales, s'est expliqué au sujet de la crise que traverse son pays. Une conversation à bâtons rompus, hors des traditionnels sentiers diplomatiques.

Comment interprétez-vous la nouvelle poussée de violence à Jérusalem ? Du terrorisme ou l'expression d'une exaspération ?
Cette tactique visant à projeter des voitures, parfois avec des explosifs, contre des foules de civils, n'est pas nouvelle en Israël. Elle a déjà été utilisée il y a dix ans durant l'Intifada. Cette pratique n'est pas vraiment différente des attaques-suicides à l'explosif, du meurtre de policiers canadiens dans le Parlement à Ottawa, de l'attaque d'un terroriste dans le Musée juif de Bruxelles, ou du meurtre d'une famille juive - dont des enfants - à Toulouse. Le but est le même : tuer des juifs, des chrétiens, des étrangers, afin de mourir en martyr.

Justement, la situation ne s'était-elle pas calmée à Jérusalem depuis dix ans ?
Nous avons réussi à viser les infrastructures du Hamas, du Jihad islamique, du Tanzim, du Front populaire palestinien, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, pour mettre fin à leurs attaques. Mais elles n'ont jamais véritablement cessé.

N'est-ce pas l'accès de juifs extrémistes sur l'esplanade des Mosquées qui a favorisé l'actuelle flambée de violence ?
On pourra toujours trouver certaines personnes, y compris certains leaders politiques de tous les camps, souhaitant changer le statu quo en leur faveur. Mais la position du gouvernement reste très claire à ce sujet. Le statu quo ne sera pas changé dans la mosquée al-Aqsa ou sur le mont du Temple, comme cela est le cas depuis plusieurs décennies maintenant.

Mais, alors, comment expliquer ces heurts ?
Ce qui est arrivé récemment est très clair. Le Hamas et le Jihad islamique essaient depuis longtemps de fomenter des émeutes en Cisjordanie, spécialement à Jérusalem-Est, mais ces groupes djihadistes n'y arriveront pas.

Mais n'effectuez-vous pas un amalgame en comparant des djihadistes au Hamas ?
Pas du tout. Pour nous, le Hamas est un groupe djihadiste sunnite. Leur idéologie est inscrite dans leur charte : ils se considèrent comme des moudjahidine.

Le Hamas n'est-il pas au contraire une branche des Frères musulmans avec un agenda nationaliste, et non pas internationaliste djihadiste ?
Vous avez tort. C'est clairement un groupe djihadiste. Le Hamas souhaite tout d'abord détruire Israël en vue d'établir un État islamique palestinien sur toute la "Palestine". Mais il ne s'agit pour lui que d'une première étape, avant l'établissement d'un régime islamique plus vaste, une sorte de califat. Comme Daesh (acronyme arabe de l'organisation État islamique, NDLR) qui souhaite débarrasser la région des infidèles, le Hamas et le Jihad islamique veulent laver la "Palestine" des juifs. La brutalité est la même. Il y a dix ans, le Hamas a envoyé des centaines de bombes humaines dans nos rues. Maintenant qu'ils ne peuvent plus en envoyer en Israël, ils jettent des roquettes.
 
Mais le Hamas n'a-t-il pas créé en 2009 une police chargée d'empêcher le tir de roquettes, diminuant considérablement leur nombre ?
Les faits sont exacts, pas l'interprétation. Depuis qu'il a pris le contrôle de la bande de Gaza, le Hamas a tiré 16 000 roquettes sur nous. Parfois, parce qu'Israël est trop fort, ils sont contraints de signer des cessez-le-feu, après que nos opérations de contre-offensive leur ont fait payer un lourd tribut. Mais ne vous y trompez pas. Cet été, le Hamas a exécuté 150 innocents palestiniens membres du Fatah, sans procès. Ces forces djihadistes possèdent la même idéologie fanatique et anti-occidentale que Daesh. Il est ainsi très dangereux que certains en Occident dissocient le Hamas de l'organisation État islamique. On ne peut accepter en Israël cette hypocrisie.

Après le 11 septembre 2001, Ariel Sharon avait appelé Yasser Arafat "son Ben Laden", alors qu'il n'était qu'un nationaliste palestinien. N'êtes-vous pas en train de faire la même chose en mélangeant deux mouvements totalement différents ?
Il existe quelques différences entre le Hamas, le Jihad islamique et Daesh, car ce ne sont pas les mêmes organisations. Ainsi, les chaînes de commandement, le théâtre de leurs opérations, leurs ennemis, sont différents. Mais ces détails sont insignifiants en comparaison de leur idéologie et de leur brutalité, qui est la même.

Dès lors, comment expliquez-vous qu'Israël ait aidé le Hamas à ses débuts ?
Cela a été une erreur, dans les années 1980, il y a 30 ans. Certains en Israël ont pensé aider les islamistes - il n'était pas évident à ce moment-là qu'ils allaient devenir djihadistes - afin de contrebalancer le pouvoir des nationalistes. Cette même erreur a été commise par les États-Unis en soutenant les talibans et certains djihadistes en Afghanistan contre l'Union soviétique.
 
Le début des violences à Jérusalem ne correspond-il pas au meurtre en juin d'un jeune Palestinien en réponse à l'assassinat de trois adolescents israéliens ?
Il y a eu en effet quelques incidents, mais ils ne diffèrent guère de ceux qui peuvent émailler quelques banlieues à Paris ou ailleurs en France. Ce qui a changé la donne, c'est le fait que, en septembre dernier, Abou Mazen (nom de guerre de Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne, NDLR) a pour la première fois utilisé la rhétorique des djihadistes en appelant - je cite - "tous les musulmans palestiniens dévoués à défendre la mosquée d'al-Aqsa contre les colons, par tous les moyens". Quand il évoque les colons, il parle de tous les juifs, qu'ils soient de Tel-Aviv ou de Haïfa. Pour lui, nous sommes tous des colons. Ce qu'il veut, c'est provoquer une guerre de religion. Ses déclarations ont au final fait leur effet.

Pour nombre de diplomates européens, la cause des violences est plutôt à chercher dans la poursuite tous azimuts de la colonisation israélienne...
Il est tout à fait inadéquat d'utiliser le mot colonisation. La vérité est que les Palestiniens sont en colère et frustrés - comme nous - après la guerre de cet été à Gaza. C'est très naturel. Il y a également une autre raison : leur situation économique. Jusqu'à il y a deux ans, celle-ci était très bonne en Cisjordanie, parce que l'ex-Premier ministre palestinien Salam Fayyad coopérait avec nous. Le problème, c'est que celui-ci a été démis de ses fonctions par Abou Mazen, parce qu'il coopérait avec l'économie israélienne, mais surtout parce qu'il s'était mis en tête de combattre la corruption au sein de l'Autorité palestinienne. Or, en s'attaquant à ce fléau, il a atteint les cercles d'Abou Mazen, y compris ses fils. Avec le départ de Fayyad, l'économie palestinienne a chuté.

Mais la nouvelle chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, n'a-t-elle pas elle-même annoncé à Jérusalem que la poursuite de la colonisation était le principal obstacle à la paix ?
Je ne suis pas du tout d'accord. Nous ne pouvons accepter que les gens ignorent les faits et recherchent des excuses pour être anti-israéliens. Le conflit israélo-palestinien ne date pas de 1967 (fin de la guerre des Six-Jours et début de la colonisation, NDLR). Nous avons déjà démantelé les colonies juives à Gaza pour donner aux Palestiniens l'occasion de diriger (un territoire) afin de voir si un État palestinien démilitarisé pouvait vivre en paix avec nous. C'est la raison pour laquelle j'ai personnellement soutenu le désengagement de Gaza. Et qu'avons-nous obtenu en retour ? Un cauchemar ! 16 000 roquettes en neuf ans. Et maintenant, ces hypocrites qui, il y a neuf ans à peine, nous encourageaient à nous retirer de Gaza et nous disaient qu'ils se tiendraient à nos côtés si nous étions attaqués nous condamnent lorsque nous sommes forcés de riposter aux attaques de Gaza. Après cette expérience négative, il appartient désormais à Abou Mazen de nous prouver que ce qui est arrivé à Gaza n'arrivera plus jamais si nous prenons d'autres initiatives ailleurs.

La colonisation n'est-elle pas illégale au regard du droit international ?
Il est très dérangeant qu'Israël soit sans cesse discriminé par toutes les organisations des Nations unies, ce qu'a d'ailleurs récemment rappelé le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon. En outre, ce n'est pas au Conseil des droits de l'homme de l'ONU, où siègent un grand nombre de dictatures arabes, de décider ce qui est légal ou pas. Il y a tellement d'autres problèmes dans le monde, regardez la terrible guerre en cours en Syrie. Israël est une vibrante démocratie à l'occidentale, avec un système judiciaire fort et indépendant.

Est-ce vrai que la charte du Likoud (parti de droit nationaliste au pouvoir auquel appartient Yuval Steinitz) est opposée à la création d'un État palestinien ?
Israël est dirigé par un gouvernement, pas par un parti. Et il est nécessaire de rappeler que tous les Premiers ministres israéliens des vingt dernières années ont adhéré à l'idée de deux États vivant côte à côte, en paix.

Êtes-vous inquiet du nombre grandissant d'initiatives en Europe qui, sur le modèle de la Suède, appellent à la proclamation unilatérale d'un État palestinien ?
Cela m'inquiète et me perturbe. Cela pourrait signifier la fin du processus de paix. Toute la logique des accords d'Oslo était qu'Israël obtienne la paix et la sécurité en échange d'un État palestinien. Ce qui est arrivé a l'effet inverse. C'est irresponsable, stupide et totalement anti-israélien. C'est abandonner tout espoir de paix au Moyen-Orient. C'est créer un État palestinien sans paix ni sécurité pour Israël, sans aucune condition, sans engagement de démilitarisation. Si vous mettez Israël sous pression, vous n'obtiendrez aucune concession douloureuse. Maintenant, il ne s'agit que de la Suède, ce n'est pas un pays important, comme la France et le Royaume-Uni. En revanche, si Paris, sous la pression de l'extrême gauche ou de sa communauté musulmane, se livrait à un tel vote anti-israélien, ce serait vraiment dommageable, car d'autres pays suivraient.

(10-11-2014 - Propos recueillis par Armin Arefi)

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