Une rare flambée de violence secoue actuellement le Proche-Orient.
Depuis deux semaines, la Cisjordanie et Jérusalem-Est sont le théâtre de
manifestations palestiniennes quotidiennes que d'aucuns n'hésitent plus
à qualifier de troisième Intifada. De passage en France pour parler du
nucléaire iranien avec Laurent Fabius, Yuval Steinitz, le ministre
israélien du Renseignement, des Affaires stratégiques et des Relations
internationales, s'est expliqué au sujet de la crise que traverse son
pays. Une conversation à bâtons rompus, hors des traditionnels sentiers
diplomatiques.
Comment interprétez-vous la nouvelle poussée de violence à Jérusalem ? Du terrorisme ou l'expression d'une exaspération ?
Cette tactique visant à projeter des voitures, parfois avec des
explosifs, contre des foules de civils, n'est pas nouvelle en Israël.
Elle a déjà été utilisée il y a dix ans durant l'Intifada. Cette
pratique n'est pas vraiment différente des attaques-suicides à
l'explosif, du meurtre de policiers canadiens dans le Parlement à
Ottawa, de l'attaque d'un terroriste dans le Musée juif de Bruxelles, ou
du meurtre d'une famille juive - dont des enfants - à Toulouse. Le but
est le même : tuer des juifs, des chrétiens, des étrangers, afin de
mourir en martyr.
Justement, la situation ne s'était-elle pas calmée à Jérusalem depuis dix ans ?
Nous avons réussi à viser les infrastructures du Hamas, du Jihad
islamique, du Tanzim, du Front populaire palestinien, en Cisjordanie et à
Jérusalem-Est, pour mettre fin à leurs attaques. Mais elles n'ont
jamais véritablement cessé.
N'est-ce pas l'accès de juifs extrémistes sur l'esplanade des Mosquées qui a favorisé l'actuelle flambée de violence ?
On pourra toujours trouver certaines personnes, y compris certains
leaders politiques de tous les camps, souhaitant changer le statu quo en
leur faveur. Mais la position du gouvernement reste très claire à ce
sujet. Le statu quo ne sera pas changé dans la mosquée al-Aqsa ou sur le
mont du Temple, comme cela est le cas depuis plusieurs décennies
maintenant.
Mais, alors, comment expliquer ces heurts ?
Ce qui est arrivé récemment est très clair. Le Hamas et le Jihad
islamique essaient depuis longtemps de fomenter des émeutes en
Cisjordanie, spécialement à Jérusalem-Est, mais ces groupes djihadistes
n'y arriveront pas.
Mais n'effectuez-vous pas un amalgame en comparant des djihadistes au Hamas ?
Pas du tout. Pour nous, le Hamas est un groupe djihadiste sunnite. Leur
idéologie est inscrite dans leur charte : ils se considèrent comme des
moudjahidine.
Le Hamas n'est-il pas au contraire une branche des Frères musulmans
avec un agenda nationaliste, et non pas internationaliste djihadiste ?
Vous avez tort. C'est clairement un groupe djihadiste. Le Hamas souhaite
tout d'abord détruire Israël en vue d'établir un État islamique
palestinien sur toute la "Palestine". Mais il ne s'agit pour lui que
d'une première étape, avant l'établissement d'un régime islamique plus
vaste, une sorte de califat. Comme Daesh (acronyme arabe de
l'organisation État islamique, NDLR) qui souhaite débarrasser la région
des infidèles, le Hamas et le Jihad islamique veulent laver la
"Palestine" des juifs. La brutalité est la même. Il y a dix ans, le
Hamas a envoyé des centaines de bombes humaines dans nos rues.
Maintenant qu'ils ne peuvent plus en envoyer en Israël, ils jettent des
roquettes.
Mais le Hamas n'a-t-il pas créé en 2009 une police chargée d'empêcher
le tir de roquettes, diminuant considérablement leur nombre ?
Les faits sont exacts, pas l'interprétation. Depuis qu'il a pris le
contrôle de la bande de Gaza, le Hamas a tiré 16 000 roquettes sur nous.
Parfois, parce qu'Israël est trop fort, ils sont contraints de signer
des cessez-le-feu, après que nos opérations de contre-offensive leur ont
fait payer un lourd tribut. Mais ne vous y trompez pas. Cet été, le
Hamas a exécuté 150 innocents palestiniens membres du Fatah, sans
procès. Ces forces djihadistes possèdent la même idéologie fanatique et
anti-occidentale que Daesh. Il est ainsi très dangereux que certains en
Occident dissocient le Hamas de l'organisation État islamique. On ne
peut accepter en Israël cette hypocrisie.
Après le 11 septembre 2001, Ariel Sharon avait appelé Yasser Arafat
"son Ben Laden", alors qu'il n'était qu'un nationaliste palestinien.
N'êtes-vous pas en train de faire la même chose en mélangeant deux
mouvements totalement différents ?
Il existe quelques différences entre le Hamas, le Jihad islamique et
Daesh, car ce ne sont pas les mêmes organisations. Ainsi, les chaînes de
commandement, le théâtre de leurs opérations, leurs ennemis, sont
différents. Mais ces détails sont insignifiants en comparaison de leur
idéologie et de leur brutalité, qui est la même.
Dès lors, comment expliquez-vous qu'Israël ait aidé le Hamas à ses débuts ?
Cela a été une erreur, dans les années 1980, il y a 30 ans. Certains en
Israël ont pensé aider les islamistes - il n'était pas évident à ce
moment-là qu'ils allaient devenir djihadistes - afin de contrebalancer
le pouvoir des nationalistes. Cette même erreur a été commise par les
États-Unis en soutenant les talibans et certains djihadistes en
Afghanistan contre l'Union soviétique.
Le début des violences à Jérusalem ne correspond-il pas au meurtre en
juin d'un jeune Palestinien en réponse à l'assassinat de trois
adolescents israéliens ?
Il y a eu en effet quelques incidents, mais ils ne diffèrent guère de
ceux qui peuvent émailler quelques banlieues à Paris ou ailleurs en
France. Ce qui a changé la donne, c'est le fait que, en septembre
dernier, Abou Mazen (nom de guerre de Mahmoud Abbas, le président de
l'Autorité palestinienne, NDLR) a pour la première fois utilisé la
rhétorique des djihadistes en appelant - je cite - "tous les musulmans
palestiniens dévoués à défendre la mosquée d'al-Aqsa contre les colons,
par tous les moyens". Quand il évoque les colons, il parle de tous les
juifs, qu'ils soient de Tel-Aviv ou de Haïfa. Pour lui, nous sommes tous
des colons. Ce qu'il veut, c'est provoquer une guerre de religion. Ses
déclarations ont au final fait leur effet.
Pour nombre de diplomates européens, la cause des violences est
plutôt à chercher dans la poursuite tous azimuts de la colonisation
israélienne...
Il est tout à fait inadéquat d'utiliser le mot colonisation. La vérité
est que les Palestiniens sont en colère et frustrés - comme nous - après
la guerre de cet été à Gaza. C'est très naturel. Il y a également une
autre raison : leur situation économique. Jusqu'à il y a deux ans,
celle-ci était très bonne en Cisjordanie, parce que l'ex-Premier
ministre palestinien Salam Fayyad coopérait avec nous. Le problème,
c'est que celui-ci a été démis de ses fonctions par Abou Mazen, parce
qu'il coopérait avec l'économie israélienne, mais surtout parce qu'il
s'était mis en tête de combattre la corruption au sein de l'Autorité
palestinienne. Or, en s'attaquant à ce fléau, il a atteint les cercles
d'Abou Mazen, y compris ses fils. Avec le départ de Fayyad, l'économie
palestinienne a chuté.
Mais la nouvelle chef de la diplomatie européenne, Federica
Mogherini, n'a-t-elle pas elle-même annoncé à Jérusalem que la poursuite
de la colonisation était le principal obstacle à la paix ?
Je ne suis pas du tout d'accord. Nous ne pouvons accepter que les gens
ignorent les faits et recherchent des excuses pour être anti-israéliens.
Le conflit israélo-palestinien ne date pas de 1967 (fin de la guerre
des Six-Jours et début de la colonisation, NDLR). Nous avons déjà
démantelé les colonies juives à Gaza pour donner aux Palestiniens
l'occasion de diriger (un territoire) afin de voir si un État
palestinien démilitarisé pouvait vivre en paix avec nous. C'est la
raison pour laquelle j'ai personnellement soutenu le désengagement de
Gaza. Et qu'avons-nous obtenu en retour ? Un cauchemar ! 16 000
roquettes en neuf ans. Et maintenant, ces hypocrites qui, il y a neuf
ans à peine, nous encourageaient à nous retirer de Gaza et nous disaient
qu'ils se tiendraient à nos côtés si nous étions attaqués nous
condamnent lorsque nous sommes forcés de riposter aux attaques de Gaza.
Après cette expérience négative, il appartient désormais à Abou Mazen de
nous prouver que ce qui est arrivé à Gaza n'arrivera plus jamais si
nous prenons d'autres initiatives ailleurs.
La colonisation n'est-elle pas illégale au regard du droit international ?
Il est très dérangeant qu'Israël soit sans cesse discriminé par toutes
les organisations des Nations unies, ce qu'a d'ailleurs récemment
rappelé le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon. En outre, ce n'est
pas au Conseil des droits de l'homme de l'ONU, où siègent un grand
nombre de dictatures arabes, de décider ce qui est légal ou pas. Il y a
tellement d'autres problèmes dans le monde, regardez la terrible guerre
en cours en Syrie. Israël est une vibrante démocratie à l'occidentale,
avec un système judiciaire fort et indépendant.
Est-ce vrai que la charte du Likoud (parti de droit nationaliste au
pouvoir auquel appartient Yuval Steinitz) est opposée à la création d'un
État palestinien ?
Israël est dirigé par un gouvernement, pas par un parti. Et il est
nécessaire de rappeler que tous les Premiers ministres israéliens des
vingt dernières années ont adhéré à l'idée de deux États vivant côte à
côte, en paix.
Êtes-vous inquiet du nombre grandissant d'initiatives en Europe
qui, sur le modèle de la Suède, appellent à la proclamation unilatérale
d'un État palestinien ?
Cela m'inquiète et me perturbe. Cela pourrait signifier la fin du
processus de paix. Toute la logique des accords d'Oslo était qu'Israël
obtienne la paix et la sécurité en échange d'un État palestinien. Ce qui
est arrivé a l'effet inverse. C'est irresponsable, stupide et
totalement anti-israélien. C'est abandonner tout espoir de paix au
Moyen-Orient. C'est créer un État palestinien sans paix ni sécurité pour
Israël, sans aucune condition, sans engagement de démilitarisation. Si
vous mettez Israël sous pression, vous n'obtiendrez aucune concession
douloureuse. Maintenant, il ne s'agit que de la Suède, ce n'est pas un
pays important, comme la France et le Royaume-Uni. En revanche, si
Paris, sous la pression de l'extrême gauche ou de sa communauté
musulmane, se livrait à un tel vote anti-israélien, ce serait vraiment
dommageable, car d'autres pays suivraient.
(10-11-2014 - Propos recueillis par Armin Arefi)
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