mercredi 26 novembre 2014

Israël/Palestine : la méfiance grandit entre Palestiniens et Israéliens à Jérusalem

Elles portent le même maquillage un peu forcé et les mêmes vêtements à la mode. Seuls leurs prénoms, Avital et Imane, les désignent comme Israélienne et Palestinienne, mais leur complicité, un exemple rare à Jérusalem, est menacée par les violences.
Les deux jeunes femmes travaillent ensemble dans une boutique de prêt-à-porter de Jérusalem. Elles passent leur journée à bavarder, mais l'une et l'autre ont toujours gardé la distance qu'entretiennent entre eux les habitants de la Ville sainte.
Entre Israéliens qui clament que Jérusalem est leur capitale "éternelle et indivisible" et Palestiniens qui n'ont qu'un statut précaire de "résident", sans véritable nationalité et sous le régime de l'occupation et de l'annexion proclamée par l'Etat hébreu, peu de contacts se nouent.
"Nous travaillons depuis plusieurs mois ensemble, cela crée des liens", explique Imane, 21 ans et qui préfère ne pas donner son nom de famille, étouffant un fou rire en regardant sa collègue. Mais, interrogée sur les récentes violences, la vendeuse, habitante de Beit Safafa, un quartier palestinien à cheval sur Jérusalem-Est et Ouest, ajoute d'un air sombre: "on évite de parler de ce qui se passe parce qu'on sait, l'une comme l'autre, que la discussion pourrait très mal finir".
Avital, 22 ans, habitante de Talpiot, le quartier de Jérusalem-Ouest où se trouve le magasin, à quelques centaines de mètres de Beit Safafa, acquiesce: "on ne parle pas des événements. Il y a ce qui se passe dans le magasin, et il y a ce qui se passe en dehors".
La spirale des violences qui a happé Jérusalem depuis quelques mois menace le fragile équilibre qui prévalait entre Israéliens et Palestiniens dans quelques lieux publics, en nombre limité, de la ville --centres commerciaux, promenades, certains jardins publics-- et dans les services municipaux --autobus, crèches-- dans lesquels travaillent de nombreux Palestiniens.
Même si les deux communautés vivent, à de très rares exceptions près, dans des quartiers séparés de la Ville Sainte, elles sont obligées de se côtoyer quotidiennement en raison de l'imbrication et de la proximité de ces quartiers et de la dépendance économique des habitants de Jérusalem-Est par rapport à la partie occidentale de la Ville, où se trouve la grande majorité des commerces, des services et des entreprises.
Mais l'attentat de mardi dernier contre une synagogue, le plus meurtrier depuis 2008, commis par deux Palestiniens de Jérusalem-Est, a changé la donne. En plus d'un renforcement des forces policières déjà très présentes dans la ville, il a provoqué une accélération des licenciements ou des menaces de licenciements de travailleurs palestiniens et une escalade de la méfiance entre les deux communautés.
"J'ai peur d'être virée", souffle d'ailleurs Imane.
Raada, qui travaille depuis près de dix ans comme puéricultrice dans une crèche de Talpiot, dit quant à elle souffrir de la méfiance croissante des parents juifs à son égard.
"J'ai appris que certains parents avaient demandé à la directrice que le Shin Beth (service de sécurité intérieure israélien) fasse une enquête sur moi", explique la résidente de Jérusalem-Est, qui accepte de parler, mais sous le couvert de l'anonymat.
"Après toutes ces années à m'occuper d'enfants juifs! Cela ne leur suffit pas que le matin leurs enfants se jettent sur moi pour m'embrasser?", s'insurge-t-elle.
Même au club sportif YMCA, une institution chrétienne qui se veut pourtant traditionnellement un havre de paix inter-communautaire, la tension est palpable. Dans la piscine, des maîtres nageurs israéliens et palestiniens assurent des cours de natation à un public cosmopolite --juif, arabe et expatrié.
"Cette semaine, ça a pété dans les vestiaires. On a entendu plusieurs disputes. Et puis après l'attentat (contre la synagogue) la piscine a été vide pendant deux jours", explique Rotem Lehman, une Israélienne qui assure les cours de natation pour enfants avec Oussama Jouda, un Palestinien de Jérusalem-Est.
"Mais nous, rien ne pourra jamais nous séparer. On se connaît depuis trop longtemps", lance Oussama, en prenant affectueusement sa collègue par l'épaule.
Nuha Tannous, directrice du personnel du YMCA, dit ne pas craindre une contagion des violences inter-communautaires à l'établissement. "Ce qui m'inquiète ce n'est pas ce qui se passe ici. Les employés et les visiteurs du YMCA ne sombreront jamais dans la haine de l'autre", explique Nuha, qui y travaille depuis plus de 20 ans.
"Mon cauchemar c'est que nous soyons la cible, parce que nous vivons ensemble, d'un extrémiste fou qui pourrait venir du côté palestinien comme du côté israélien".

(24-11-2014)

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