jeudi 20 novembre 2014

Israël/Palestine : pourquoi la reprise des attentats était prévisible (Armin Arefi)

Six ans. Cela faisait six ans que la ville sainte n'avait pas été frappée de la sorte. Mardi matin, quatre rabbins et un policier israélien ont été sauvagement tués dans une attaque perpétrée au hachoir et au pistolet contre une synagogue ultra-orthodoxe de Har Nof, à Jérusalem-Ouest. Les photos des corps ensanglantés, diffusées par la police israélienne, ont saisi d'effroi toute une population qui se croyait épargnée par le fléau du terrorisme, grâce au "mur de séparation" avec la Cisjordanie mais aussi - et elle le sait moins - par l'intense collaboration entre police israélienne et forces de sécurité palestiniennes de Mahmoud Abbas.
Les auteurs de l'attentat, Oudaï et Ghassan Abou Jamal, deux jeunes cousins palestiniens pères de plusieurs enfants, ont été abattus peu après par la police israélienne. Revendiquée par le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), une organisation nationaliste marxiste, le massacre a été salué d'emblée par le Hamas et le Djihad islamique, qui y ont vu une réponse au suicide de Youssef Ramouni, un conducteur de bus palestinien de Jérusalem, retrouvé mystérieusement pendu dans son véhicule dimanche soir. En outre, les deux mouvements islamistes ont appelé les Palestiniens à la "poursuite des opérations".
Première attaque contre un lieu de culte à Jérusalem, l'attentat contre la synagogue fait suite à un mois de violences anti-israéliennes en Israël et en Cisjordanie, suivies de représailles israéliennes. Depuis le 22 octobre dernier, pas moins de trois attentats à la voiture bélier ainsi que de multiples attaques meurtrières au couteau ont visé des Israéliens tandis que les affrontements quotidiens - et parfois meurtriers - opposent jeunes Palestiniens et soldats israéliens. Mais il faut remonter à juin dernier et à l'assassinat d'un jeune Palestinien à Jérusalem-Est par des extrémistes juifs, en réponse au meurtre de trois jeunes adolescents israéliens, pour comprendre l'origine des violences.
Pour Benyamin Netanyahou, il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'"une vague terroriste" à laquelle il est nécessaire de répondre avec "une main de fer". Désormais, les militaires et les "gardiens d'écoles ou de jardins d'enfants" seront autorisés à conserver leurs armes en dehors de leur service et les contrôles des entrées et sorties de certains quartiers de Jérusalem-Est vont être renforcés.
"C'est justement le tout sécuritaire qui nous a conduits à la situation actuelle", peste Yves Aubin de La Messuzière, ancien directeur Afrique-Moyen-Orient au Quai d'Orsay. "Même si elles ont été approuvées par les formations palestiniennes les plus radicales, ces attaques terroristes sont le fait d'actions individuelles liées au climat général à Jérusalem, et sur l'esplanade des Mosquées", poursuit l'ex-diplomate français. L'analyse est partagée par les services de sécurité israéliens. Pas par le gouvernement.
Ainsi, Yuval Steinitz, ministre israélien du Renseignement, affirmait la semaine dernière au Point.fr que "le Hamas et le Djihad islamique essaient depuis longtemps de fomenter des émeutes en Cisjordanie, spécialement à Jérusalem-Est". Et ce proche de Benyamin Netanyahou, membre comme lui du Likoud, de dresser un parallèle entre les attentats anti-israéliens à la voiture bélier et l'attaque terroriste du Musée juif de Bruxelles, ou encore le meurtre d'une famille juive par Mohamed Merah à Toulouse. Yuval Steinitz en est convaincu : "Le but est le même : tuer des juifs, des chrétiens, des étrangers afin de mourir en martyr." 
C'est oublier que, de Jérusalem-Est aux villes de Cisjordanie, de jeunes Palestiniens manifestent quotidiennement depuis l'été, avec pour seul mot à la bouche l'occupation. Poursuite tous azimuts de la colonisation pourtant illégale (200 000 colons à Jérusalem-Est, plus de 382 000 en Cisjordanie, NDLR), arrestations par centaines, humiliations quotidiennes et marginalisation des quartiers arabes au profit des quartiers juifs, chômage galopant ou encore frustration après le nouveau conflit dévastateur à Gaza, leur colère s'exacerbe au rythme des annonces israéliennes de nouvelles colonies, ou de la multiplication des visites de juifs extrémistes et d'hommes politiques israéliens sur l'esplanade des Mosquées (mont du Temple pour les Juifs).
Jeans slim, maillots de football, baskets dernier cri et cagoules, ils sont décrits par le Washington Post comme les moteurs de la révolte, profitant de la sortie des cours pour exprimer spontanément leur exaspération, indépendamment de toute cause partisane. "Étant donné l'impasse politique actuelle, il était prévisible que la colère déborde à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, analyse Yves Aubin de La Messuzière. Et cela durera aussi longtemps qu'il n'y aura pas de perspective politique viable."
L'État palestinien qui était censé, d'après les accords de paix d'Oslo, être créé à la fin des années 1990 risque bien de ne jamais voir le jour. Et Mahmoud Abbas, qui avait renoncé à la lutte armée au lendemain de la seconde Intifada pour suivre la voie de la négociation, apparaît discrédité aux yeux de son peuple. Au sein même de son parti - le Fatah (nationaliste) -, nombreuses sont les voix qui réclament désormais le retour à la lutte armée contre Israël.
Affaibli en interne, Mahmoud Abbas est pourtant accusé par Benyamin Netanyahou d'être le principal responsable des dernières attaques, bien qu'il les ait condamnées. En cause, son appel fin octobre à la "défense de la mosquée al-Aqsa face aux colons", considéré par le Premier ministre israélien comme une "incitation à la violence". "Il est invraisemblable de mettre sur le même plan Abbas et le Hamas, réagit l'ancien diplomate Yves Aubin de La Messuzière. Au lieu d'affaiblir l'Autorité palestinienne comme il le fait, le Premier ministre israélien devrait la renforcer."
Pour sortir de l'impasse dans laquelle il est actuellement plongé, Mahmoud Abbas s'est lancé dans une vaste offensive diplomatique visant à persuader chaque pays occidental de reconnaître unilatéralement l'État palestinien, sur le modèle de la Suède. Un ultime baroud d'honneur qui ne changera pourtant rien à la donne sur le terrain.

(19-11-2014 - Armin Arefi)

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