Six ans. Cela faisait six ans que la ville sainte n'avait pas été
frappée de la sorte. Mardi matin, quatre rabbins et un policier
israélien ont été sauvagement tués dans une attaque perpétrée au hachoir
et au pistolet contre une synagogue ultra-orthodoxe de Har Nof, à
Jérusalem-Ouest. Les photos des corps ensanglantés, diffusées par la
police israélienne, ont saisi d'effroi toute une population qui se
croyait épargnée par le fléau du terrorisme, grâce au "mur de
séparation" avec la Cisjordanie mais aussi - et elle le sait moins - par
l'intense collaboration entre police israélienne et forces de sécurité
palestiniennes de Mahmoud Abbas.
Les auteurs de l'attentat, Oudaï et Ghassan Abou Jamal, deux jeunes
cousins palestiniens pères de plusieurs enfants, ont été abattus peu
après par la police israélienne. Revendiquée par le Front populaire de
libération de la Palestine (FPLP), une organisation nationaliste
marxiste, le massacre a été salué d'emblée par le Hamas et le Djihad
islamique, qui y ont vu une réponse au suicide de Youssef Ramouni, un
conducteur de bus palestinien de Jérusalem, retrouvé mystérieusement
pendu dans son véhicule dimanche soir. En outre, les deux mouvements
islamistes ont appelé les Palestiniens à la "poursuite des opérations".
Première attaque contre un lieu de culte à Jérusalem, l'attentat contre
la synagogue fait suite à un mois de violences anti-israéliennes en
Israël et en Cisjordanie, suivies de représailles israéliennes. Depuis
le 22 octobre dernier, pas moins de trois attentats à la voiture bélier
ainsi que de multiples attaques meurtrières au couteau ont visé des
Israéliens tandis que les affrontements quotidiens - et parfois
meurtriers - opposent jeunes Palestiniens et soldats israéliens. Mais il
faut remonter à juin dernier et à l'assassinat d'un jeune Palestinien à
Jérusalem-Est par des extrémistes juifs, en réponse au meurtre de trois
jeunes adolescents israéliens, pour comprendre l'origine des violences.
Pour Benyamin Netanyahou, il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'"une
vague terroriste" à laquelle il est nécessaire de répondre avec "une
main de fer". Désormais, les militaires et les "gardiens d'écoles ou de
jardins d'enfants" seront autorisés à conserver leurs armes en dehors de
leur service et les contrôles des entrées et sorties de certains
quartiers de Jérusalem-Est vont être renforcés.
"C'est justement le tout sécuritaire qui nous a conduits à la situation
actuelle", peste Yves Aubin de La Messuzière, ancien directeur
Afrique-Moyen-Orient au Quai d'Orsay. "Même si elles ont été approuvées
par les formations palestiniennes les plus radicales, ces attaques
terroristes sont le fait d'actions individuelles liées au climat général
à Jérusalem, et sur l'esplanade des Mosquées", poursuit l'ex-diplomate
français. L'analyse est partagée par les services de sécurité
israéliens. Pas par le gouvernement.
Ainsi, Yuval Steinitz, ministre israélien du Renseignement, affirmait la
semaine dernière au Point.fr que "le Hamas et le Djihad islamique
essaient depuis longtemps de fomenter des émeutes en Cisjordanie,
spécialement à Jérusalem-Est". Et ce proche de Benyamin Netanyahou,
membre comme lui du Likoud, de dresser un parallèle entre les attentats
anti-israéliens à la voiture bélier et l'attaque terroriste du Musée
juif de Bruxelles, ou encore le meurtre d'une famille juive par Mohamed
Merah à Toulouse. Yuval Steinitz en est convaincu : "Le but est le même :
tuer des juifs, des chrétiens, des étrangers afin de mourir en
martyr."
C'est oublier que, de Jérusalem-Est aux villes de Cisjordanie, de jeunes
Palestiniens manifestent quotidiennement depuis l'été, avec pour seul
mot à la bouche l'occupation. Poursuite tous azimuts de la colonisation
pourtant illégale (200 000 colons à Jérusalem-Est, plus de 382 000 en Cisjordanie, NDLR),
arrestations par centaines, humiliations quotidiennes et
marginalisation des quartiers arabes au profit des quartiers juifs,
chômage galopant ou encore frustration après le nouveau conflit
dévastateur à Gaza, leur colère s'exacerbe au rythme des annonces
israéliennes de nouvelles colonies, ou de la multiplication des visites
de juifs extrémistes et d'hommes politiques israéliens sur l'esplanade
des Mosquées (mont du Temple pour les Juifs).
Jeans slim, maillots de football, baskets dernier cri et cagoules, ils sont décrits par le Washington Post
comme les moteurs de la révolte, profitant de la sortie des cours pour
exprimer spontanément leur exaspération, indépendamment de toute cause
partisane. "Étant donné l'impasse politique actuelle, il était
prévisible que la colère déborde à Jérusalem-Est et en Cisjordanie,
analyse Yves Aubin de La Messuzière. Et cela durera aussi longtemps
qu'il n'y aura pas de perspective politique viable."
L'État palestinien qui était censé, d'après les accords de paix d'Oslo,
être créé à la fin des années 1990 risque bien de ne jamais voir le
jour. Et Mahmoud Abbas, qui avait renoncé à la lutte armée au lendemain
de la seconde Intifada pour suivre la voie de la négociation, apparaît
discrédité aux yeux de son peuple. Au sein même de son parti - le Fatah
(nationaliste) -, nombreuses sont les voix qui réclament désormais le
retour à la lutte armée contre Israël.
Affaibli en interne, Mahmoud Abbas est pourtant accusé par Benyamin
Netanyahou d'être le principal responsable des dernières attaques, bien
qu'il les ait condamnées. En cause, son appel fin octobre à la "défense
de la mosquée al-Aqsa face aux colons", considéré par le Premier
ministre israélien comme une "incitation à la violence". "Il est
invraisemblable de mettre sur le même plan Abbas et le Hamas, réagit
l'ancien diplomate Yves Aubin de La Messuzière. Au lieu d'affaiblir
l'Autorité palestinienne comme il le fait, le Premier ministre israélien
devrait la renforcer."
Pour sortir de l'impasse dans laquelle il est actuellement plongé,
Mahmoud Abbas s'est lancé dans une vaste offensive diplomatique visant à
persuader chaque pays occidental de reconnaître unilatéralement l'État
palestinien, sur le modèle de la Suède. Un ultime baroud d'honneur qui
ne changera pourtant rien à la donne sur le terrain.
(19-11-2014 - Armin Arefi)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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