Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Vous allez vous prononcer, mardi prochain, après ce débat, dans un vote concernant la reconnaissance de l’Etat de Palestine.
Un tel débat suivi d’un scrutin n’est pas habituel : la reconnaissance
d’un Etat est en effet une prérogative de l’exécutif, et il est rare que
le Parlement se saisisse d’une telle question. Mais la situation
elle-même est exceptionnelle : l’interminable conflit
israélo-palestinien, l’attachement de la France envers les deux peuples,
le désir de notre pays de voir la paix enfin s’instaurer là-bas
expliquent votre volonté commune, même si elle s’exprime par des
positions diverses, de contribuer à une solution politique.
* * *
Je commencerai sur ce sujet par une évidence : la France est l’amie à la
fois du peuple israélien et du peuple palestinien. Et ceci devrait
guider le fond et le ton des prises de position. Nos seuls ennemis dans
cette région sont les extrémistes et les fanatiques qui, de chaque côté,
entravent la marche vers la paix par ce que j’appellerai leur « spirale
du talion ».
Dans cette recherche de la paix, notre pays s’est depuis longtemps
déclaré favorable à la solution des deux Etats. Le 29 novembre 1947,
lors du vote de l’Assemblée générale des Nations Unies sur la création
de deux Etats, la France apporta sa voix décisive. Je rappelle le texte,
en 1947, de la résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations
Unies : « les Etats indépendants arabe et juif (…) commenceront d’exister (…) le 1er octobre 1948 au plus tard ».
La France fut l’une des premières, après l’URSS et les Etats-Unis, à
reconnaître le jeune Etat d’Israël, qui dut conquérir de haute lutte son
droit à l’indépendance. Ce fut aussi la position du Général de Gaulle,
de ses successeurs – et, par un discours resté fameux prononcé à la
tribune de la Knesset en 1982, celle de François Mitterrand, qui traça
la perspective en reconnaissant l’aspiration légitime du peuple
palestinien à un Etat.
Au-delà des alternances politiques, c’est la position constante de la
diplomatie française. Les votes récents de la France en faveur de la
Palestine comme membre de l’UNESCO ou comme Etat observateur non membre à
l’ONU vont dans le même sens. C’est également la position du Président
François Hollande et du Premier Ministre Manuel Valls ; jeréaffirme
cette position. Notre conviction est que le règlement définitif du
conflit et l’avènement d’une paix durable au Proche-Orient ne pourront
être obtenus que par la coexistence de deux Etats souverains et
indépendants. La conséquence logique de cette position est claire – et
je l’exprime clairement : la France reconnaîtra l’Etat de Palestine.
Cette reconnaissance, je l’ai dit, ce n’est pas une faveur, un
passe-droit, c’est un droit.
La question qui se pose à nous n’est donc pas celle des principes,
puisque celle-ci est tranchée, mais celle des modalités : quand et
comment ? Plus largement, quelle méthode pour essayer d’aboutir
concrètement à la paix ? C’est le débat qu’appelle la proposition
soumise à votre Assemblée.
***
Mesdames et Messieurs les députés, personne ne peut nier que l’espoir de paix au Proche-Orient soit plus que jamais menacé.
Nous partageons tous devant ce conflit un sentiment d’urgence. Nous
mesurons la gravité de la situation. Nous savons les ravages que crée
des deux côtés, et ailleurs, l’absence de perspective concrète de
solution. Nous voyons l’étendue des drames humains et les atteintes,
toujours plus inquiétantes, portées à la solution des deux Etats.
C’est d’ailleurs pourquoi plus de 130 pays dans le monde ont reconnu la
Palestine. C’est aussi pourquoi, au cours des dernières semaines,
plusieurs pays ou Parlements voisins ont pris des initiatives voisines :
la Suède, le Parlement de Grande-Bretagne, d’Irlande et, très
récemment, celui d’Espagne. Ils ont voulu exprimer que, face à l’impasse
actuelle, ils refusaient le fatalisme et l’inertie. Nous sommes
nous-mêmes convaincus qu’il faut agir pour faire avancer la paix.
La paix, nous en connaissons depuis longtemps les contours. Elle doit
reposer sur l’existence de deux Etats souverains et démocratiques,
vivant côte à côte en paix et en sécurité, sur la base des lignes de
1967 et avec Jérusalem pour capitale. C’est d’ailleurs le paradoxe
tragique du conflit israélo-palestinien et sa spécificité par rapport à
d’autres conflits : les termes de sa résolution sont pour l’essentiel
déjà connus, et cependant il apparaît depuis des décennies comme le
symbole du conflit insoluble.
Car il est vrai que la méfiance est forte entre les deux parties, même
si les opinions publiques des deux côtés sont majoritairement favorables
à la solution des deux Etats. La poursuite illégale des implantations
depuis les années 1970 dans les territoires occupés par Israël menace à
un terme de plus en plus rapproché la viabilité d’un Etat palestinien,
cependant que la position de certains groupes palestiniens tels le
Hamas, qui appellent à la destruction d’Israël, rejettent les accords
d’Oslo et exaltent la violence, est évidemment contraire à la volonté de
solution et à nos choix.
Bref, face à une paix nécessaire et espérée, les obstacles se multiplient.
Le processus de négociations entre les deux parties, que le Secrétaire
d’Etat américain Kerry a tenté avec ténacité de relancer en début
d’année, apparaît à l’arrêt.
L’explosion des violences provoque l’effroi, avec encore récemment
l’attentat barbare commis contre des Israéliens dans une synagogue de
Jérusalem, et cet été, la tragédie insupportable qui a frappé les
habitants de Gaza.
A Gaza précisément, rien n’est réglé, en Cisjordanie, à Jérusalem,
partout la tension grandit : une étincelle peut, à chaque instant,
conduire à l’embrasement général.
Cette situation dramatique, c’est à la fois l’expression et
l’aboutissement de décennies de tensions, avec l’engagement périodique
de négociations et l’échec périodique de ces mêmes négociations. Atel
point qu’au fil des années, ce conflit est devenu une sorte de « rocher
de Sisyphe des relations internationales ». Achaque reprise des
discussions, l’espoir renaît ; mais, quand le but approche, quand chacun
espère que les deux parties peuvent et vont conclure, la rechute hélas
se produit.
A Madrid, puis lors des accords d’Oslo, la paix a pu sembler à portée de
main. Lors des sommets de Camp David, de Taba aussi, où l’issue
paraissait proche. Mais la paix a fini toujours par se dérober, rendant
chaque fois plus amères et plus brutales les désillusions de ceux qui
croyaient en elle.
Face à cette impasse, c’est le devoir de la communauté internationale de
réagir, en particulier le devoir de la France, puissance de paix, amie
traditionnelle des Israéliens et des Palestiniens, même si nous savons
que la tâche est et sera très difficile.
***
Mesdames et Messieurs les députés,
Le texte qui vous est soumis affirme « l’urgente nécessité d’aboutir à
un règlement définitif du conflit permettant l’établissement d’un Etat
démocratique et souverain de Palestine en paix et en sécurité aux côtés
d’Israël ». Il affirme que « la solution des deux Etats, promise
avec constance par la France et l’Union européenne, suppose la
reconnaissance de l’Etat de Palestine aux côtés de l’Etat d’Israël ». Et il « invite le Gouvernement français à reconnaître l’Etat de Palestine en vue d’obtenir un règlement définitif du conflit ».
Certains parmi vous estiment que, pour des raisons constitutionnelles,
ils ne peuvent prendre position favorable, ou position tout court, car
cela empiéterait sur les pouvoirs de l’exécutif. Jeveux être clair. Ce
qu’interdit la Constitution au titre de l’article 34-1, c’est que le
Parlement inscrive à l’ordre du jour des propositions de résolution
contenant des « injonctions » à l’égard du Gouvernement. Or la
proposition examinée constitue, non une injonction, mais – ce n’est pas
une querelle sémantique – une invitation à l’adresse du Gouvernement.
Donc, pas d’ambiguïté : sur la question de la reconnaissance de l’Etat
de Palestine, le Parlement peut se prononcer, il va le faire, mais aux
termes de notre Constitution, l’exécutif – et lui seul – est juge de
l’opportunité politique.
Mesdames et Messieurs,
Comment servir le plus efficacement possible la cause de la paix ?
La France défend depuis longtemps l’idée que la reconnaissance de l’Etat
de Palestine doit intervenir dans le cadre d’un règlement global et
définitif du conflit, négocié par les deux parties. Pour une raison :
nous ne voulons pas d’une reconnaissance symbolique qui n’aboutirait
qu’à un Etat virtuel. Nous voulons un Etat de Palestine réel. Après
vingt-cinq années de « processus de paix » sans résultat, on ne peut se
contenter d’une reconnaissance en trompe-l’œil, suivie d’aucun effet
concret.
Mais l’objectif souhaitable d’une reconnaissance inscrite dans le cadre
d’un accord global n’a de sens que si les négociations s’engagent
effectivement, si elles avancent et si elles aboutissent. En d’autres
termes, nous soutenons la négociation, mais nous refusons que celle-ci
devienne le mode de gestion d’un statu quo injuste et intenable. Nous
refusons un faux-semblant où les deux parties, livrées seules à
elles-mêmes, ne parviendraient qu’à ressasser les mêmes questions sans
qu’un cadre et un terme clairs soient donnés à la négociation. Bref, la
négociation accompagnant la reconnaissance ne peut devenir un moyen, le
moyen d’éviter ou d’empêcher cette reconnaissance.
***
Dès lors, constatant le blocage actuel, nous pensons qu’il est légitime
de retenir une approche permettant de donner une réelle et peut-être
ultime chance à la négociation.
Nous considérons qu’il est indispensable de sortir d’un face-à-face
solitaire entre Israéliens et Palestiniens, méthode qui a fait la preuve
de son peu d’efficacité. Leconstat historique de ces dernières
décennies est en effet sans appel : seules, ou même avec le concours des
Etats-Unis, les deux parties réussissent – difficilement – à discuter
mais elles ne parviennent pas à conclure. Notamment pour des raisons de
politique intérieure, elles ne parviennent pas à accomplir les dernières
concessions qu’impose la signature d’un compromis.
Il faut donc essayer de faire évoluer cette méthode. Il faut un
accompagnement, certains diront une pression de la communauté
internationale pour aider les deux parties à faire le geste final
indispensable et accomplir le pas ultime qui mènera à la paix.
C’est ce à quoi le Gouvernement français s’emploie en ce moment même.
Aux Nations Unies, nous travaillons avec nos partenaires pour essayer de
faire adopter une résolution du Conseil de Sécurité en vue d’une
relance et d’une conclusion des négociations, pour laquelle le terme de
deux ans est le plus souvent évoqué. Le Gouvernement français peut
reprendre ce chiffre à son compte.
Après tant d’efforts et d’échecs, le résultat n’est pas assuré. Mais
nous ne voulons écarter aucune chance de paix. Les objectifs de cette
résolution espérée sont clairs. Fixer un cap : nous voulons éviter
l’écueil de négociations sans fin, qui reprendraient depuis le départ
des efforts déjà accomplis depuis des années. Des paramètres précis pour
un règlement du conflit adoptés en amont par la communauté
internationalefourniront la base des futures négociations. Et nous
devons fixer un calendrier. Car en l’absence de calendrier, comment
convaincre qu’il ne s’agira pas d’un énième processus sans perspective
réelle d’aboutir ?
Parallèlement à ces négociations aux Nations Unies, la France plaide
pour créer les conditions d’un effort collectif au service de la paix.
L’expérience nous enseigne, je l’ai souligné, que les Israéliens et les
Palestiniens ne parviennent pas à conclure seuls. Les décisions à
prendre sont si délicates qu’un accompagnement et un soutien extérieurs
sont indispensables, avec et au-delà même des Etats-Unis qui ont un rôle
majeur à jouer. D’autres pays sont par ailleurs directement concernés
par la solution du conflit : je cite notamment l’Egypte ou la Jordanie,
qui accueillent de nombreux réfugiés palestiniens depuis des décennies
ou exercent des responsabilités particulières sur les Lieux saints.
La France souhaite entraîner dans cette démarche à la fois l’Union
européenne, la Ligue arabe, les membres permanents du Conseil de
Sécurité, dont les Etats-Unis, dans une mobilisation collective en
faveur de la paix au Proche-Orient. Une conférence internationale
pourrait être organisée afin d’appuyer cette dynamique indispensable. La
France est disposée à en prendre l’initiative. Dans cette négociation
diplomatique, la reconnaissance de l’Etat palestinien constituera un
instrument du règlement définitif du conflit, un levier au service de la
paix.
Et si ces efforts échouent, dira-t-on ? Si cette ultime tentative de
solution négociée n’aboutit pas ? Alors, il faudra que la France prenne
ses responsabilités, en reconnaissant sans délai l’Etat de Palestine.
Nous y sommes prêts.
***
Mesdames et Messieurs les Députés,
La position du Gouvernement français se veut à la fois positive et
équilibrée. Pas question d’un statu quo qui, en réalité, menace la
solution des deux Etats. Pas question non plus de céder sur la sécurité
d’Israël. Et pas question d’« importer » chez nous le conflit
israélo-palestinien. Dans notre esprit, les votes qui vont intervenir
n’opposeront pas d’un côté ceux qui soutiennent les Palestiniens et de
l’autre ceux qui soutiennent les Israéliens : la reconnaissance de
l’Etat de Palestine est en effet nécessaire aussi pour assurer
durablement le développement et la sécurité d’Israël, elle devrait donc
logiquement être soutenue par tous les amis d’Israël. Inversement, nous
pensons qu’être un ami d’Israël n’est nullement être un ennemi de la
Palestine. Le point de rencontre est la recherche de la paix qui
implique de reconnaître l’Etat palestinien, selon la méthode et au
moment les plus efficaces pour servir cette paix. Sur ce chemin escarpé,
nous ne ménageons pas nos efforts. Car nous savons comme vous que le
temps est compté à celles et ceux qui, dans cette région et pour cette
région, veulent sincèrement la paix.
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