mercredi 26 novembre 2014

Syrie: sur la ligne de feu à Alep, des ennemis unis par la peur

La ligne de front qui traverse la métropole syrienne d'Alep sépare ses habitants en deux mondes ennemis, mais une même peur les unit: celle des tireurs embusqués.
Ahmad Abou Zeid, 24 ans, doit traverser six rues à la merci des francs-tireurs pour quitter ou regagner son domicile dans le quartier Sleimane al-Halabi aux mains du régime, situé dans le centre de l'ancienne capitale économique de la Syrie en guerre.
Chaque matin avant de sortir, il récite une prière et s'adresse à Dieu: "s'ils veulent me tirer dessus qu'ils visent ma tête ou mon coeur. Qu'ils me tuent car je ne veux pas rester estropié toute ma vie".
Depuis la prise en juillet 2012 par les rebelles de la moitié de la métropole du nord syrien, une ligne de démarcation s'est constituée, rappelant fortement la "Ligne verte" de Beyrouth durant les 15 ans de guerre civile au Liban.
"Tout peut être calme puis soudain, c'est l'embrasement. Une fois, 42 obus sont tombés, dont 16 sur notre immeuble. L'un d'eux a détruit notre cuisine", raconte ce jeune à un journaliste de l'AFP sur place.
Dans une Syrie ravagée par près de quatre ans de conflit, Alep est la seule ville divisée par une ligne de démarcation longue d'une vingtaine de km, balafrant du nord au sud les quartiers ouest sous contrôle de l'armée et ceux de l'est aux mains des insurgés.
Juste en face de Sleimane al-Halabi, dans le quartier rebelle de Sakhour, Khaled Khanjou, partage la même peur qu'Abou Zeid.
"Nous sommes obligés d'emprunter quatre ou cinq rues sous le feu des francs-tireurs (de l'armée) pour aller nous approvisionner", dit ce jeune homme.
"Pour que les tireurs embusqués de Sleimane al-Halabi ne nous voient pas traverser, nous avons mis un bus au milieu de la rue", assure de son côté Abou Wajdi, un autre habitant. "Qu'avons nous, les civils, commis pour mériter cela?" s'emporte-t-il.
Tout près de lui, tapi derrière le mur d'un immeuble, un tireur épie sa proie avec un fusil à lunette.
Dans le quartier arménien de Midane (centre), contrôlé par le régime, une immense toile a été tendue dans la rue principale pour échapper au regard des rebelles postés 100 mètres plus loin, dans le quartier de Cheikh Khodr.
Fabricant d'oreillers, Samuel Krikorian habite au-delà de la pièce d'étoffe, c'est-à-dire qu'il est totalement à découvert en rentrant chez lui. "Je lève la tenture et je passe. C'est très dangereux et un homme a été tué devant moi. Mais qu'y faire?" se résigne ce quinquagénaire.
"Le matin, j'attends qu'il y ait du monde dans la rue pour me faufiler. C'est ma façon de vaincre la peur".
Outre les tireurs embusqués, les habitants des secteurs rebelles sont terrorisés par les barils d'explosifs largués par les avions du régime, tandis que les zones loyalistes craignent les obus de mortier des insurgés.
Seif, 13 ans, réside à Cheikh Khodr, à 200 mètres des positions du régime. "Chaque fois que je dois aller à l'école ou faire des courses, je cours".
Paradoxalement, les enfants semblent s'être habitués à l'anormalité de la situation. A Sleimane al-Halabi, Mohammed, 12 ans, rentre de l'école avec ses camarades et le groupe rigole en passant derrière un talus de sable où des soldats sont positionnés.
"Quand les rebelles tirent, nous fuyons", raconte ce collégien qui habite un immeuble défiguré par les obus. "Mon ami Mohammad Hajo a été blessé à la main par un tireur embusqué. Il n'est plus jamais revenu à l'école", dit-il sans émotion. A Cheikh Khodr aussi, des enfants courent dans la rue alors que d'autres font de la bicyclette.
En dépit du danger et des pénuries, de nombreuses familles continuent de vivre de chaque côté de la ligne de feu.
"Avant que les rebelles ne soient chassés de Sleimane al-Halabi par l'armée, nous étions la seule famille dans le quartier avant le retour ensuite des habitants, assure Ahmad Abou Zeid. "Où pouvons-nous aller?"
Même sentiment chez un habitant du côté rebelle, Abou Ahmad: "Nous n'avons pas un autre endroit. Nous sommes obligés de rester".

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